Nemlin Hie Arnaud Oulepo
Doctorant, Laboratoire de Recherche sur la Coopération Internationale et le Développement, Faculté des Sciences Juridiques, Economiques et Sociales de Marrakech, Université Cadi Ayyad de Marrakech, Maroc
Edition: AHRY Volume 3
Pages: 483 - 501
Citation: NHA Oulepo ‘L’affaire Armand Guehi c. Tanzanie et la question du droit à l’assistance consulaire: l’intrusion d’une nouvelle préoccupation dans le corpus juridique des droits de l’homme en Afrique’ (2019) 3 Annuaire africain des droits de l’homme 483-501 http://doi.org/10.29053/2523-1367/2019/v3a25
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RÉSUMÉ:
Le 7 décembre 2018, la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples rendait son arrêt dans l’affaire Armand Guehi c. Tanzanie. L’affaire Guehi donnera l’occasion à la Cour de connaitre d’un nouveau grief, et par la même occasion d’expérimenter pour la première fois un mécanisme procédural prévu par son Protocole. En effet la Cour sera confrontée à la question de la violation du droit à l’assistance consulaire prévu par l’article 36 de la Convention de Vienne sur les Relations Consulaires. Ce commentaire argue que l’interprétation peu développée, fournie par la Cour, tend à confondre assistance judiciaire et assistance consulaire. Ce faisant elle s’éloigne de la jurisprudence constante de la Cour Internationale de Justice en la matière et compromet la prise en compte du droit d’assistance consulaire dans le corpus juridique des droits de l’homme en Afrique. Par ailleurs en ayant eu recours au mécanisme de l’intervention dans la présente instance, la République de Côte-d’Ivoire remet en avant la volonté certes timide mais nécessaire des Etats africains de protéger les intérêts de leurs ressortissants. L’auteur propose un aperçu historique de la question de l’assistance consulaire avant de pointer les failles de l’interprétation donnée par la Cour d’Arusha.
TITLE AND ABSTRACT IN ENGLISH:
The Armand Guehi v Tanzania case and the issue of the right to consular assistance: the introduction of a new concern into African human rights law
ABSTRACT:
On 7 December 2018, the African Court on Human and Peoples’ Rights delivered its ruling in Armand Guehi v Tanzania. The Guehi case gave the opportunity to the Court to deal with a right and a procedural mechanism which have not been raised before it in the past. The Court dealt with the violation of the right to consular assistance provided for under article 36 of Vienna Convention on Consular Relations. This case commentary argues that the interpretation provided by the Court was wrong because its interpretation conflated judicial assistance and the right to consular assistance. Such an interpretation departs from the position constantly adopted by the International Court of Justice regarding the right to consular assistance. This right may thus be considered as not forming part of the African human rights corpus. Further, the intervention of Côte d’Ivoire in the proceedings demonstrates the willingness by African countries to stand by their citizens before international courts. The case commentary begins by briefly providing the historical background of the right to consular assistance before discussing weaknesses of the Court’s interpretative approach.
MOTS CLÉS: Armand Guehi c. Tanzanie, Tanzanie, assistance consulaire; Convention de Vienne sur les Relations Consulaires; article 36; Cour africaine des droits de l’homme et des peuples
SOMMAIRE:
2 Le droit de notification à l’assistance consulaire: un retard africain difficilement comblé
2.1 Evolution du droit relatif à l’assistance consulaire
2.2 L’état de la jurisprudence internationale
3 Evaluation de la décision de la Cour
3.1 Assistance judiciaire et assistance consulaire : une confusion par la Cour
3.2 L’intervention de la République de Côte-d’Ivoire : un rôle de pionnier
4 Des perspectives encourageantes
1 INTRODUCTION
Le 7 décembre 2018, lors de sa session délocalisée à Tunis, la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (Cour) rendait un arrêt en l’affaire Armand Guehi c. Tanzanie.1 Ce faisant la Cour de Arusha venait ainsi de mettre fin à plus de trois années de contentieux relatives à la condamnation à la peine capitale d’un ressortissant ivoirien par la Tanzanie. Cette affaire, aux contours les plus mystérieux dignes de scénarios « hollywoodiens », a pour origine une dispute conjugale. Le 4 octobre 2005, le couple Guehi (Armand Guehi et KS Angèle) originaire de Côte d’Ivoire, respectivement stagiaire et secrétaire au sein du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) se rend à leur lieu de fonction. A bord de leur véhicule, le sieur Guehi non content de la tenue de son épouse, lui fait part de sa désapprobation et par la même occasion lui suggère d’en mettre une plus commode. Face au refus de son épouse, Monsieur Guehi allègue être descendu du véhicule, la laissant s’en aller seule à bord.2 Ce sera le voyage de non-retour.
Constatant son absence, le TPIR émet un signalement en coordination avec les autorités tanzaniennes. La dépouille de KS Angèle est retrouvée le 5 octobre 2005, dans la région de Mkufi Estate, le corps marqué d’hématomes, encore plus important la mini-jupe de la discorde déchirée.3 Dernière personne vue en compagnie de son épouse, A. Guehi est arrêté le 6 octobre 2005 par les agents de sécurité du TPIR et remis aux autorités tanzaniennes. Interrogé sur le fait qu’il n’ait pas signalé la disparition de son épouse, il indiquera aux enquêteurs qu’il ne l’a pas jugé utile, dans la mesure où lors d’une précédente dispute, celle-ci avait séjourné pendant une semaine, hors du domicile conjugal, chez une amie. Il a donc estimé qu’elle aurait trouvé refuge chez cette dernière.4 Guehi connaîtra ainsi les vicissitudes du système judiciaire tanzanien, dont le récent arrêt de la Cour ne constitue pas l’épilogue.5 Pour autant que l’affaire Guehi soit identique aux autres affaires relatives à la condamnation à la peine capitale portées devant la Cour, elle diffère et de ce fait mérite analyse pour deux raisons.6 D’une part sur un plan purement procédural, l’affaire Guehi demeure à ce jour la première affaire dans laquelle, invité par la Cour, un Etat a effectivement fait valoir son droit d’intervention au titre de l’article 5(2) du Protocole portant création de la Cour.7 S’apparentant à une forme de protection diplomatique, les Etats n’avaient jusque-là jamais fait usage de cette disposition qui sombrait dans une désuétude.8 D’autre part, le requérant demandait à la Cour d’ordonner sa libération, en constatant entre autres griefs, que son droit à l’assistance consulaire de la Côte-d’Ivoire son Etat d’origine, a été violé par la Tanzanie.9
En effet, l’affaire Guehi présentait à la Cour l’opportunité de se prononcer pour la première fois sur un sujet tout aussi important que celui du droit d’accès et de notification à l’assistance consulaire au regard du droit international, notamment l’article 36(1)(b) et (c) de la Convention de Vienne sur les Relations Consulaires de 1963 (CVRC). L’article précité dispose:
Afin que l’exercice des fonctions consulaires relatives aux ressortissants de l’Etat d’envoi soit facilité :
b) Si l’intéressé en fait la demande, les autorités compétentes de l’Etat de résidence doivent avertir sans retard le poste consulaire de l’Etat d’envoi lorsque, dans sa circonscription consulaire, un ressortissant de cet Etat est arrêté, incarcéré, ou mis en détention préventive ou toute autre forme de détention. Toute communication adressée au poste consulaire par la personne arrêtée, incarcérée ou mise en état de détention préventive ou toute autre forme de détention préventive doit également être transmise sans retard par lesdites autorités. Celles-ci doivent sans retard informer l’intéressé de ses droits aux termes du présent alinéa.
c) Les fonctionnaires consulaires ont le droit de se rendre auprès d’un ressortissant de l’Etat d’envoi qui est incarcéré, en état de détention préventive, ou toute autre forme de détention, de s’entretenir et de correspondre avec lui et de pourvoir à sa représentation en justice. Ils ont également le droit de se rendre auprès d’un ressortissant de l’Etat d’envoi qui, dans leur circonscription, est incarcéré ou détenu en exécution d’un jugement. Néanmoins, les fonctionnaires consulaires doivent s’abstenir d’intervenir en faveur d’un ressortissant incarcéré ou mis en état de détention préventive ou toute autre forme de détention lorsque l’intéressé s’y oppose expressément.
L’effort attendu de la Cour, était d’affirmer une position reconnue par la jurisprudence internationale. La violation du droit d’assistance consulaire mérite réparations sous diverses formes: libération ou réexamen de l’affaire ainsi que la révision du verdict de culpabilité et de la peine prononcée.10 Dans son interprétation, la Cour va affirmer une position qui s’écarte de la jurisprudence internationale, en assimilant les droits reconnus par l’article 36 de la CVRC à ceux de l’article 7 de la Charte africaine des droits de l’homme et des Peuples (Charte). En effet, de l’avis de la Cour étant donné que les garanties prévues par l’article 36 de la CVRC notamment le droit à un conseil, dont le requérant aurait pu bénéficier sont également prévues par l’article 7 de la Charte, la question d’un droit à l’assistance consulaire ne se posait plus. Nous proposons ainsi à travers ce commentaire de passer en revue l’interprétation du droit d’assistance consulaire par la Cour à la lumière de la jurisprudence internationale. Nous sommes d’avis qu’à travers une interprétation aussi restrictive de ce droit, la Cour a manqué l’opportunité d’affirmer une position africaine sur un droit tout aussi important que celui de l’assistance consulaire. L’affaire Guehi soulève plus globalement la problématique suivante : l’absence de violation par la Tanzanie de l’article 7 de la Charte l’exonère-t-elle pour autant de ses obligations au titre de l’article 36 de la CVRC? La violation des droits prévus par l’article 36 de la CVRC a parfois conduit à des relations tendues entre Etats.11
Par souci de logique, notre commentaire partira d’une présentation générale du droit de notification relative à l’assistance consulaire (2) en accentuant le retard africain en la matière, de ce constat nous évaluerons la décision de la Cour (3), avant d’établir ses éventuelles conséquences (4).
2 LE DROIT DE NOTIFICATION A L’ASSISTANCE CONSULAIRE: UN RETARD AFRICAIN DIFFICILEMENT COMBLE
Des informations disponibles, à l’exception de deux décisions de la Haute Cour de Malawi, les tribunaux africains n’avaient jusque là pas été sollicités pour se prononcer sur la question du droit à l’assistance consulaire tel que le prévoit l’article 36 de la CVRC.12 Cette observation qui contraste pourtant avec la réalité, peut s’expliquer par deux hypothèses.13 La première est celle de l’ignorance des dispositions de la Convention tant par les individus que par les praticiens. La seconde concerne l’approche particulière des Etats africains vis-à-vis de la protection diplomatique ou consulaire.
Notre exposé nous conduira ainsi à définir les contours du droit d’assistance consulaire au sens de la CVRC à travers un bref survol historique (2.1), tout en relevant les positions adoptées par diverses juridictions internationales (2.2).
2.1 Evolution du droit relatif à l’assistance consulaire
Le droit à l’assistance consulaire part de l’idée toute simple qu’en vertu du lien de nationalité unissant un individu et un Etat, ce dernier est en droit de lui accorder sa protection.14 Cette protection est d’autant plus importante lorsque leur ressortissant est confronté au système judiciaire d’un Etat étranger. Bien avant l’adoption de la CVRC, les Etats avaient opté pour la voie bilatérale. Plusieurs traités d’amitié, de commerce et de navigation conclus entre les Etats-Unis d’Amérique et d’autres Etats comportaient ainsi une disposition relative à la notification consulaire en cas d’arrestation d’un ressortissant étranger.15 L’article 3(2) du Traité d’amitié, de commerce et de navigation entre les Etats-Unis d’Amérique et le Danemark dispose ainsi:16
Si un ressortissant de l’une des Parties est accusé d’un délit et mis en état d’arrestation dans les territoires de l’autre Partie, le représentant consulaire de son pays, dans le poste le plus proche devra être immédiatement avisé, dès lors que l’intéressé en fera la demande. Ledit ressortissant devra:
(a) être traité d’une manière équitable et humaine ;
(b) être informé officiellement et immédiatement des accusations portées contre lui ;
(c) être traduit en justice sans autre délai que celui dont il a besoin pour préparer convenablement sa défense; et
(d) bénéficier de toutes les facilités nécessaires, dans les limites raisonnables, pour assurer sa défense, notamment les services d’un conseil compétent.
Cette tendance au bilatéralisme, reflétait l’état général des relations consulaires entre Etats sur le plan international, qui en l’absence de traité multilatéral, étaient régies essentiellement par le droit international coutumier et les principes de coexistence pacifique et de relations amicales entre Etats. En 1949, la décision fut prise d’entamer un projet de codification portant sur les relations consulaires et les immunités. Tâche qui échoira à la Commission de Droit International (CDI) des Nations-Unies. Le 24 avril 1963 est adopté la Convention de Vienne sur les Relations Consulaires (CVRC), la résultante de compromis et de tractations si l’on en juge par les nombreux amendements et commentaires formulés par les Etats, depuis le projet de la Commission jusqu’à son adoption.17 Tenant en 79 articles, la Convention témoigne de la conviction de ses rédacteurs qui restent « persuadés qu’une convention internationale sur les relations, privilèges et immunités consulaires contribuerait elle aussi à favoriser les relations d’amitié entre les pays, quelque soit la diversité de leurs régimes constitutionnels et sociaux ».18 Pour l’essentiel, la CVRC définit l’étendue des fonctions consulaires, régit les procédures de nomination et d’acceptation du personnel consulaire ainsi que les immunités rattachées à l’exercice de leur fonction. Traité classique au sens du droit international public, la CVRC mènerait son existence à l’image d’un long fleuve tranquille, en l’absence de l’inclusion d’une disposition au bénéfice de l’individu. En effet au cours des dernières décennies, la CVRC a gagné en notoriété du fait de son article 36. Cet article cité précédemment oblige les autorités de l’Etat de résidence en cas d’arrestation, de détention ou incarcération d’un ressortissant étranger, d’informer sans retard les autorités consulaires de l’individu en question. Dans le cadre des traités d’amitié, de commerce et de navigation, la notification ne se faisait que sur demande expresse du ressortissant étranger arrêté, détenu ou incarcéré. L’innovation de l’article 36 est d’exiger que les autorités de l’Etat de résidence procèdent proprio motu à la notification.19
Du fait de l’obligation qu’elle fait peser sur les autorités de l’Etat de résidence, l’article 36 était l’une des dispositions les plus âprement discutées.20 Il a ainsi réussi à faire naitre au bénéfice de l’individu un droit de très grande importance, dans une convention dont le but initial était principalement de régir les relations consulaires entre Etats. Conscients du fait que les dispositions de la Convention méritent application, les Etats ont par acte séparé prévu de soumettre tous litiges pouvant survenir quant à l’interprétation ou l’application de la CVRC à la Cour Internationale de Justice.21 Plusieurs cours et tribunaux internationaux ont ainsi eu à se prononcer sur le droit à l’assistance consulaire.
2.2 L’état de la jurisprudence internationale
Comme indiqué, l’article 36 de la CVRC a très souvent été invoqué dans les cas où la vie d’un ressortissant étranger encourt un risque de préjudice irréparable. Dans l’affaire LaGrand, la République Fédérale d’Allemagne priait la Cour de dire qu’en manquant de l’informer de l’arrestation des frères LaGrand ainsi que de notifier ces derniers de leurs droits à l’assistance consulaire, les Etats-Unis d’Amérique étaient en flagrante violation de l’article 36 de la CVRC.22 En effet l’Allemagne alléguait de l’information tardive de l’arrestation de Karl et Walter LaGrand. Elle ne l’aurait pas apprise officiellement par les autorités américaines mais plutôt par les détenus eux-mêmes.23 Le risque de préjudice irréparable étant réel en l’espèce, c’est à bon droit que la Cour ordonna des mesures conservatoires tendant à surseoir toute exécution jusqu’à la fin de l’instance.24 Les deux ressortissants allemands seront toutefois exécutés en dépit de l’ordonnance portant mesures conservatoires. Ce non-respect de l’ordonnance va ramener la Cour à une situation qu’elle avait déjà connue, celle dans laquelle, une requête introductive d’instance est devenue sans objet et donc aucune possibilité de restitutio in integrum. En effet, dans une affaire similaire relative à la violation du droit à l’assistance consulaire, le Paraguay s’est désisté de l’instance dans la mesure où son ressortissant, le sieur Angel Fernando Breard a été exécuté par les autorités de l’Etat de Virginie en dépit de l’ordonnance portant mesures conservatoires.25
En ce qui concerne l’affaire LaGrand, la Cour devait se prononcer sur trois points essentiels. Premièrement, la nature obligatoire de ses ordonnances de mesures conservatoires. A ce sujet la Cour après un examen minutieux de l’article 94 de la Charte des Nations-Unies conclut à propos de l’ordonnance de mesures conservatoires: 26
Celle-ci ne constituait pas une simple exhortation. Elle avait été adoptée en vertu de l’article 41 du Statut. Ladite ordonnance avait par suite un caractère obligatoire et mettait une obligation à la charge des Etats-Unis.
Deuxièmement, la Cour devait rendre sa décision sur la violation de l’article 36(1) de la CVRC par les Etats-Unis. Par l’affirmative, elle reconnaitra cette violation.27 Finalement quant à la réparation, la Cour se rendant compte de l’impossibilité de toute restitutio in integrum, va plutôt envisager un ensemble de mesures au choix de l’Etat défendeur. Ces mesures consistent par exemple en le réexamen et la révision du verdict de culpabilité et de la peine.28 L’affaire LaGrand sera prémonitoire d’un autre contentieux portant sur la violation de la CVRC par les Etats-Unis d’Amérique: l’affaire Avena.
Dans cette affaire, le Mexique saisissait la Cour pour des griefs similaires de violation de l’article 36 de la CVRC au sujet d’une cinquantaine de ses ressortissants incarcérés aux Etats-Unis. En se basant sur le précédent établi par l’affaire LaGrand, la Cour conclura en des termes similaires à la violation par les Etats-Unis de l’article 36 de la CVRC.29 La consœur sud-américaine de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples a également eu à connaitre une telle thématique. En effet, la Cour interaméricaine des droits de l’homme exerçant sa compétence non-contentieuse sur saisine du Mexique, était appelée à donner un avis sur le droit de notification et d’assistance consulaire. Concrètement, le Mexique demandait à la Cour de dire si toute condamnation d’un ressortissant étranger à la peine de mort sans l’avoir au préalable informer des droits prévus à l’article 36 de la CVRC, constituait une condamnation arbitraire. En soumettant cette question, le Mexique avait en vue l’article 6(1) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.30 La Cour à la majorité, et par l’affirmative a estimé qu’une telle condamnation en de pareille circonstance est arbitraire et engage la responsabilité internationale de l’Etat ayant failli à l’obligation imposée par l’article 36 de la CVRC.31
Dans une perspective africaine, l’on ne saurait manquer de relever l’importance du contentieux ayant opposé la République de Guinée à la République Démocratique du Congo: l’affaire Ahmadou Sadio Diallo.32 Exerçant sa protection diplomatique au profit du sieur Diallo, la Guinée indiquait au nombre des griefs qu’elle imputait à la République Démocratique du Congo, la violation du droit d’assistance consulaire.33 A sa décharge, la République Démocratique du Congo excipait qu’il ressortait des éléments factuels de l’affaire que la République de Guinée par ses représentants diplomatiques sur le territoire congolais avait parfaitement pris connaissance de l’arrestation de Monsieur Diallo. En concluant à la violation de l’article 36 de la CVRC, la Cour internationale de Justice a apporté une précision importante. En effet pour la Cour, il importe peu de savoir si les autorités de l’Etat d’envoi au sens de l’article 36 de la CVRC ont appris de quelque manière que ce soit l’arrestation, la détention ou l’incarcération de leur ressortissant. Pour la Cour, le but de l’article 36 est que la notification du droit à l’assistance consulaire doit impérativement provenir des autorités de l’Etat de résidence.34
3 EVALUATION DE LA DECISION DE LA COUR
A propos de la violation de l’article 36 de la CVRC dans l’affaire Guehi, la Cour de Arusha avait estimé qu’il était inopportun de s’y prononcer dans la mesure où selon elle, les droits consacrés par cet article le sont également par l’article 7(1)(c) de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples.35 Raisonnement contestable, il appelle des observations préliminaires. Dans les affaires relatives à l’article 36 de la CVRC que nous avons analysé, l’invocabilité de cette convention ne souffrait d’aucune contestation tant l’Etat présumé en violation de celle-ci que l’Etat de nationalité de l’individu présumé victime de cette violation, étaient tous les deux parties à la Convention. La situation se compliquait dans l’affaire Guehi, dans la mesure où son Etat d’origine la Côte-d’Ivoire n’a pas ratifié ladite convention.
3.1 Assistance judiciaire et assistance consulaire: une confusion par la Cour
La Cour a conclu à la similarité des droits prévus par les articles 36 de la CVRC et 7(1)(c) de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples. En effet pour la Cour, en invoquant l’article 36 de la CVRC, Guehi faisait aussi référence à l’article 7 de la Charte qui prévoit entre autres le droit de toute personne à être assistée par un conseil de son choix.36 Par cette interprétation la Cour a failli à établir une différence entre le droit à l’assistance judiciaire et le droit à l’assistance consulaire, bien qu’elle eut rappelé que pour le requérant « [...] une assistance consulaire, ne doit pas être confondue avec une assistance judiciaire ».37
L’assistance judiciaire est celle à titre d’exemple, que l’on pourrait déduire du célèbre Miranda warning, rendu populaire à travers les séries télévisées américaines. Ainsi tout officier de police américain diligent ne manquera pas de rappeler lors d’une arrestation la phrase suivante: 38
You have the right to remain silent. Anything you say can be used against you in court. You have the right to talk to a lawyer with you during questioning. If you cannot afford a lawyer, one will be appointed for you or before any questioning if you wish. If you decide to answer questions now without a lawyer present, you have the right to stop answering at any time.
L’assistance judiciaire est ainsi le droit de tout individu de se faire assister par un conseil de son choix dès l’instant où une suspicion ou une accusation est portée à son encontre. Pour les personnes indigentes, il est communément accepté sur la base du principe de l’égalité des armes, qu’elles soient représentées par des conseils fournis par l’Etat. C’est dans cette logique que la commission d’office et l’aide juridictionnelle sont présentes tant dans les systèmes juridiques de common law que de droit civil.39 Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) considère d’ailleurs l’assistance judiciaire comme l’une des garanties dont tout accusé doit bénéficier.40
Toute personne accusée d’une infraction pénale a droit, en pleine égalité, au moins aux garanties suivantes :
d) à être présente au procès et à se défendre elle-même ou à avoir l’assistance d’un défenseur de son choix ; si elle n’a pas de défenseur, à être informée de son droit d’en avoir un, et, à chaque fois que l’intérêt de la justice l’exige, à se voir attribuer un défenseur, sans frais, si elle n’a pas les moyens de le rémunérer.
La confusion faite par la Cour entre assistance judiciaire et assistance consulaire est d’autant plus surprenante que dans un passé relativement récent elle avait eu à se prononcer sur la question de l’assistance judiciaire. En effet en se basant sur l’article 14(3) (f) du PIDCP lu conjointement avec l’article 7 de la Charte, la Cour avait estimé que la Tanzanie, dans les affaires Alex Thomas et Mohamed Abubakari, pour n’avoir pas fournir de conseils aux requérants était en violation de son obligation d’assistance judicaire alors que leur état d’indigence était avéré.41
La Cour africaine, elle-même dispose d’une liste de conseils, qu’elle affecte à des requérants dont la situation d’indigence est avérée.42 Il ressort des éléments factuels de l’affaire Guehi, que le requérant a bien reçu une assistance judiciaire par la Tanzanie, qui lui a pourvu des conseils pour assurer sa représentation devant les tribunaux.43
L’assistance consulaire quant à elle part d’une autre logique. Elle se base sur le lien de nationalité entre l’individu et son Etat d’origine. Dans le cadre spécifique de la CVRC, l’article 36 selon les termes d’un auteur joue le rôle de « cultural bridge ».44 En effet seul face au système judiciaire d’un Etat étranger, il est plausible que l’individu souhaiterait avoir une attache avec les autorités de son Etat d’origine. Il pèse ainsi une double charge à l’égard des autorités de l’Etat de résidence, d’une part informer le ressortissant de ses droits prévus par l’article 36 de la CVRC, et d’autre part transmettre sans retard l’information relative à l’arrestation, la détention ou l’incarcération d’un ressortissant étranger à ses autorités consulaires. La formule du paragraphe 91 de l’arrêt Guehi selon laquelle « [qu’] Au cours de l’audience publique, l’Etat défendeur a affirmé qu’il n’était nullement tenu de fournir une assistance consulaire » est incorrecte.45 En effet Guehi n’étant pas un ressortissant tanzanien, la Tanzanie ne pouvait pas matériellement fournir une assistance consulaire au requérant. Elle a plutôt au regard de la CVRC l’obligation de faciliter l’accès des ressortissants étrangers à l’assistance consulaire de leur Etat d’origine. Là se situe la nuance.
L’enchainement des sous-paragraphes de l’article 36(1) nous indique que la notification du droit à l’assistance consulaire précède l’assistance matérielle. Il est évident qu’un ressortissant étranger et son Etat d’origine laissés l’un et l’autre dans l’ignorance de leurs droits selon la CVRC ne pourront jamais interagir.
La lecture de l’article 36(1)(c) dévoile ainsi les composantes de cette assistance consulaire. D’une part, un droit de visite, qui est très souvent l’occasion pour les autorités consulaires de l’Etat d’envoi de s’enquérir directement avec leur ressortissant sur les circonstances de son arrestation, les faits qui lui sont reprochés ainsi que son état de santé. Et dans bien des cas, assurer la correspondance dans le pays d’origine avec les parents du ressortissant arrêté, détenu ou incarcéré.
D’autre part, « les fonctionnaires consulaires ont le droit de [...] pourvoir à sa représentation en justice ».46 Nous soupçonnons que l’origine de la similitude que la Cour a semblé déduire des articles 7 de la Charte et 36 de la CVRC, provient de cette disposition. En effet il n’est pas rare d’observer, en fonction du niveau de développement, que les ambassades ou consulats des Etats à l’étranger maintiennent une liste de conseils locaux capables de communiquer dans la langue officielle des autorités consulaires de l’Etat d’envoi.47
Pourvoir à la représentation en justice signifie tout simplement, mettre en relation le ressortissant étranger et un conseil local à même de le conseiller sur la spécificité du système judiciaire de l’Etat de résidence. Ce droit demeure valable, en dépit du fait qu’un conseil ait déjà été attribué par les autorités de l’Etat de résidence. La Cour Internationale de Justice a apporté une clarification à ce sujet dans l’affaire Jadhav.48
L’alinéa c) du paragraphe 1 de l’article 36 prévoit que les fonctionnaires consulaires ont le droit de pourvoir à la représentation en justice d’un ressortissant de l’Etat d’envoi en détention. Il présuppose que les fonctionnaires consulaires puissent organiser cette représentation en justice sur la base des conversations et de la correspondance qu’ils ont eues avec l’intéressé. La Cour estime que, même si elle est établie, l’affirmation du Pakistan selon laquelle M. Jadhav a choisi d’être représenté par un officier défenseur possédant les qualifications requises pour assurer une représentation en justice alors qu’il avait été autorisé à désigner l’avocat de son choix ne rend pas superflu le droit des fonctionnaires consulaires de pourvoir à la représentation en justice de l’intéressé.
Il ressort qu’en l’espèce, Guehi n’a jamais pu communiquer avec les autorités consulaires ivoiriennes. Ces dernières n’ayant pas été informées conformément à l’article 36 de la CVRC.
A sa décharge, la Tanzanie excipait à bon droit, l’inapplicabilité de la CVRC en l’espèce, étant donné que la Côte-d’Ivoire n’est pas partie à la Convention. Toutefois la Cour n’aurait-elle pas dû voir dans le droit d’assistance consulaire, la codification d’un droit international coutumier?
Dans l’affirmative, elle aurait dû rechercher la pratique des Etats les plus susceptibles d’avoir une activité récurrente en la matière.49 Les Etats-Unis d’Amérique plusieurs fois parties à des affaires relatives à la violation du droit d’assistance consulaire, abondent dans le sens d’une reconnaissance de l’application du droit international coutumier. A cet effet un manuel de procédure à disposition des autorités policières dispose clairement ce qui suit:50
While consular relations are now largely governed by the treaties [...] the United States of America still looks to customary international law as a basis to insisting upon adherence to consular notification and access requirement by a small number of countries not party to VCCR or any other bilateral agreement. The Department of State takes the view that consular notification and access [...] in the VCCR is a universally accepted, basic practice that should be followed even for nationals of countries not party to VCCR or the applicable bilateral agreement [...]
Thus, in all cases not covered by a mandatory notification agreement, and the minimum requirements are to inform an arrested, detained foreign national that his/her consular officers may be notified upon arrest; to notify these consular officers if the national requests; and to permit the consular officers to provide consular assistance if they wish to do so.
Even these customary international law requirements will not apply to the arrest of a foreign national if the United States and the foreign national’s government have not made arrangement for the conduct of consular relations [...]
It could nevertheless be appropriate in such situations to inform the foreign national’s government of an arrest or detention as a matter of courtesy.
Invité par la Commission de droit international à fournir ses commentaires sur la thématique « Formation and Evidence of Customary International Law », le Royaume-Uni de Grande Bretagne et d’Irlande du Nord a affirmé que dans les affaires, Linda Anita Carty c. Doug Dretke et Khrishna Mahara c. The Secretary for the Department of Corrections for the State of Florida, les Etats-Unis étaient en violation du droit d’assistance consulaire à l’égard de ressortissants britanniques. Ce droit selon le Royaume-Uni fait partie du droit international coutumier.51
L’esprit et la lettre de l’article 36 de la CVRC vont innerver dans un certain nombre de résolutions de l’Assemblée Générale des Nations Unies, et de conventions relatives à la protection des droits de l’homme. A titre d’exemple, la règle 62(1) de l’Ensemble des règles minima des Nations-Unies pour le traitement des détenus, rebaptisé « Règles Nelson Mandela » dispose:52
Les détenus de nationalité étrangère doivent pouvoir bénéficier de facilités raisonnables pour communiquer avec les représentants diplomatiques et consulaires de l’Etat dont ils sont ressortissants.
Le principe 16(2) de l’Ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d’emprisonnement, abonde dans le même sens:53
S’il s’agit d’une personne étrangère, elle sera aussi informée sans délai de son droit de communiquer par des moyens appropriés avec un poste consulaire ou une mission diplomatique de l’Etat dont elle a la nationalité [...].
Dans la logique de cette reconnaissance du droit d’assistance et de notification consulaire, certains Etats ont prévu dans leurs codes de procédure pénale des dispositions allant dans le sens de son respect. Ainsi l’Australian Crimes Act dans sa section 23P intitulée « Right of non-Australian nationals to communicate with consular office », dispose comme suit:54
Subject to section 23L, if a person who is under arrest or a protected suspect is not an Australian citizen, an investigating official must, as soon as practicable:
a) inform the person that if he or she requests that the consular office of:
i) the country of which he or she is a citizen; or
ii) the country to which he or she claims a special connection;
b) if the person so requests- notify that consular office accordingly; and
c) inform the person that he or she may communicate with, attempt to communicate with, that consular office; and
d) give the person reasonable facilities to do so; and
e) forward any written communication from the person to that consular office and;
f) allow the person a reasonable time to, or to attempt to, communicate with the consular office.
Au Royaume-Uni, la procédure pénale exige la même déférence à ce principe surtout lorsque l’individu arrêté ou détenu est un ressortissant étranger. Ainsi l’article 7(1) du Code of Practice C, Police and Criminal Evidence Act (1984), « Citizen of independent Commonwealth and foreign nationals », dispose:55
A detainee who is a citizen of an independent Commonwealth country or a national of a foreign country, including the Republic of Ireland, has the right upon request, to communicate at any time with the appropriate High Commission, Embassy or Consulate. That detainee must be informed as soon as possible of this right and asked if they want to have their High Commission, Embassy or Consulate told of their whereabouts and the grounds for their detention. Such a request should be acted upon as soon as practicable.
Il en est de même pour l’article 14(1) et 14(2) du Criminal Justice Act (1984) en Irlande qui prévoit que:56
The member of in charge shall without delay inform or cause to be informed any arrested person who is a foreign national and he may communicate with his consul and, if so wishes, the consul will be notified of his arrest. The member in charge shall, on request, cause the consul to be notified as soon as practicable. Any communication addressed to him shall be forwarded as soon as practicable. Consular officers shall be entitled to visit one of their national [...] who is an arrested person and to converse and correspond with him and to arrange for his legal representation.
Les exemples ci-dessus démontrent clairement que le droit à l’assistance consulaire relève du droit international coutumier comme en atteste la pratique des Etats. Ce constat aurait dû conduire la Cour à la reconnaissance d’une violation de ce droit à l’encontre du requérant. L’argument de la Tanzanie selon lequel seul le Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR) avait la charge de notifier les autorités consulaires ivoiriennes de l’arrestation de Guehi, est inopérant.57
3.2 L’intervention de la République de Côte-d’Ivoire: un rôle de pionnier
L’affaire Guehi présentait aussi à la Cour l’occasion d’être confrontée pour la première fois à l’exercice par un Etat de son droit d’intervention dans une affaire impliquant son ressortissant.58 En effet l’intervention de la Côte-d’Ivoire aura permis de sortir le mécanisme de la « désuétude » dans laquelle il sombrait. L’intervention nécessite la réunion de deux dispositions importantes du Protocole et du Règlement de la Cour. Premièrement, les articles 35(2)(b) et 35(3) du Règlement de la Cour prévoient la communication de toute requête introductive d’instance, tant à l’Etat partie dont le ressortissant allègue une violation qu’à un certain nombre de parties désignées.59
Ce faisant, la deuxième disposition peut ainsi être accomplie. En effet, une fois informé d’une requête dans laquelle son ressortissant allègue être victime de violation de droits de l’homme par un autre Etat, l’Etat de nationalité peut exercer son droit d’intervention conformément à l’article 5(2) du Protocole.
Mécanisme laissé à l’appréciation des Etats, ces derniers sont seuls juges de l’opportunité de l’exercice de ce droit. Par exemple, un Etat invité par la Cour à intervenir dans une instance, a décliné l’opportunité.60 L’autre raison du non recours au mécanisme de l’intervention, tient au fait que la majorité des affaires portées devant la Cour concerne des violations alléguées de droits de l’homme, commises par des Etats contre leurs propres ressortissants.
Sans repère précédent sur la manière dont s’exerce concrètement l’intervention à une instance, la République de Côte-d’Ivoire va rechercher l’avis de la Cour, qui la renverra aux articles 53(1), 53(2) et 53(3) du Règlement de la Cour.61 Dans sa mise en œuvre, l’intervention est centrée sur deux points essentiels d’une part celui de l’intérêt juridique à intervenir dans une instance, et d’autre part le lien existant entre l’Etat intervenant et les parties. En ce qui concerne l’intérêt juridique, la Côte-d’Ivoire entendait protéger ses intérêts ainsi que ceux de son ressortissant qui courait un sérieux risque de préjudice irréparable, en atteste la demande en indication de mesures conservatoires qu’elle adressera à la Cour.62 D’autre part, la Côte-d’Ivoire mentionnera plusieurs instruments juridiques internationaux, auxquels elle et la République de Tanzanie, étaient toutes les deux parties, en plus du lien de nationalité l’unissant au requérant.
Tout en épousant l’ensemble des griefs de son ressortissant, la Côte-d’Ivoire adoptera une position timide quant à la violation du droit à l’assistance consulaire. Etant certainement consciente qu’elle n’est pas partie à la CVRC, elle se contentera d’affirmer que « l’Etat défendeur avait le devoir de [...] prendre les mesures nécessaires pour qu’il bénéficie de l’assistance consulaire ».63 Tout en ayant pas changé la condamnation de son ressortissant, l’intervention dans l’instance de la République de Côte-d’Ivoire démontre encore l’intérêt qu’ont les Etats africains à assurer la protection des droits de leurs ressortissants.
4 DES PERSPECTIVES ENCOURAGEANTES
La Cour a rejeté la violation du droit à l’assistance consulaire. Sa compétence ratione materiae élargie, comparativement à ses consœurs sud-américaine et européenne, lui permettait pourtant d’aller au-delà des dispositions de la Charte.64 En concluant à la similitude des droits de l’article 36 de la CVRC et ceux de l’article 7 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, la Cour confirme l’importance de celle-ci dans l’évaluation des violations alléguées de droits de l’homme. Toutefois cet attachement aux dispositions de la Charte pourrait dans certains cas compromettre la prise en considération d’autres droits tout aussi importants que celui de l’assistance consulaire, ce qui ne doit pas occulter quelques avancées dans d’autres juridictions sur le continent. Au Malawi, par exemple dans deux affaires impliquant la violation de l’article 36 de la CVRC, la Haute Cour a ordonné des réparations en conformité avec la jurisprudence internationale.
Dans l’affaire Lameck Bandawe Phiri c. The Republic, après avoir constaté la violation de l’article 36 de la CVRC, la Cour en réparation du préjudice subi, a commué la condamnation à la peine de mort à trente années d’emprisonnement. Dans une autre affaire similaire, Mabvuto Alumeta c. The Republic, la Cour a ordonné la libération immédiate d’un ressortissant mozambicain suite à la violation de son droit à l’assistance consulaire.65
Ces deux exemples laissent présager que les Etats africains seront désormais plus regardants à l’égard de leurs obligations de faciliter l’accès à l’assistance consulaire conformément à la CVRC. Un fait encourageant serait à titre d’exemple l’inclusion par les Etats africains de dispositions relatives à l’assistance consulaire dans leurs codes de procédure pénale, tel que l’avait suggéré le Mexique dans l’affaire Avena l’opposant aux Etats-Unis.66 A l’heure de l’intégration africaine avec son corollaire de migration intra-régionale, il existe de fortes raisons de croire que l’affaire Guehi ne restera pas un cas isolé pour la Cour de Arusha. Elle sera certainement appelée à en connaître davantage. En prélude à ces nouvelles affaires, la Cour devrait être invitée à se prononcer à nouveau sur le droit à l’assistance consulaire, cette fois-ci en vertu de sa compétence consultative.
5 CONCLUSION
Les professeurs Christof Heyns et Sandra Babcock, intervenant en tant que amici curiae avaient cerné l’enjeu de l’affaire Guehi, lorsqu’ils affirmaient: 67
[...] The Honourable Court has itself influenced regional judicial standards. Amici curiae see this case as an opportunity for the Honourable Court to do so in relation to consular assistance, enshrining the right as an indispensable part of fair trial standards. To do so would provide valuable guidance for future cases across the African continent and throughout the globe.
L’enjeu était donc clairement d’affirmer une position africaine sur un sujet important du droit international. L’interprétation avancée par la Cour, a ainsi confondu assistance judiciaire et assistance consulaire. Il n’en demeure pas moins que par l’affaire Guehi, la question du droit à l’assistance consulaire s’est introduite dans le système juridictionnel des droits de l’homme en Afrique. Le récent jugement de la Cour Internationale de Justice dans l’affaire Jadhav confirme la jurisprudence constante de la Cour allant dans le sens du respect de l’article 36 de la Convention de Vienne sur les Relations Consulaires (CVRC).68
2. Affaire 1/2015 Armand Guehi c. Tanzanie CAfDHP, mémoire en réplique, para 21-22 (document à disposition de l’auteur).
3. Affaire 1/2015 Armand Guehi c. Tanzanie CAfDHP, mémoire en réponse de la République de Tanzanie, para 2 (document à disposition de l’auteur).
5. Un recours a été ainsi porté devant la Cour d’Appel de Arusha. Cause List Arusha, Armand Guehi c. The Republic, 3/05/2016, https://tls.or.tz/wp-content/uploads/2018/06/CAUSE-LIST-ARUSHAnew.pdf (consulté le 20 juillet 2019)
6. Quelques affaires relatives à une condamnation à la peine capitale devant la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples: Affaire No 007/2015 Ally Rajab & Others c. Tanzania (18 Mars 2018), ordonnance portant mesures conser-vatoires. Affaire No016/2017 Dexter Eddie Johnson c. Ghana (26 Mars 2019), arrêt.
7. Ainsi dans l’Affaire No003/2015 Kennedy Owino Onyachi, Charles John Mwanini Njoka CAfDHP (28 Septembre 2017) arrêt, para 44. La Cour conformément à l’article 5(2) de son Protocole a invité la République du Kenya à formuler une requête d’intervention si elle souhaite, car l’affaire implique deux ressortissants kenyans. Le Kenya n’interviendra pas
8. Email du Greffe de la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples confirmant que l’affaire Armand Guehi c. Tanzanie est à ce jour la seule dans laquelle un Etat a exercé son droit d’intervention, 16 juillet 2019.
L’article 5(2) du Protocole portant création de la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples dispose: ‘Lorsqu’un Etat partie estime avoir un intérêt dans une affaire, il peut adresser à la Cour une requête aux fins d’interventions’. Cet article doit être lu concomitamment à l’article 35(2)(b) du Règlement de la Cour:
2. Sauf décision contraire de la Cour, le Greffier communique copie du dossier, selon le cas :
b) à l’Etat partie dont le ressortissant est victime de la violation alléguée.
9. Le requérant arguait entre autres de la violation par la Tanzanie de son droit à un procès équitable, de son droit à être jugé dans un délai raisonnable ainsi que de son droit de propriété.
10. The Republic c. Mabvuto Alumeta (2017), Sentence Rehearing Case No 36, High Court of Malawi; Affaire LaGrand République Fédérale d’Allemagne c. Etats-Unis d’Amérique CIJ (27 juin 2001) (2001) CIJ Recueil 466; Affaire Avena Mexique c. Etats-Unis d’Amérique CIJ (31 mars 2004) (2004) CIJ Recueil 12; Affaire Jadhav Inde c. Pakistan CIJ (17 juillet 2019).
11. Nous en voulons pour preuve les échanges vifs entre l’Inde et le Pakistan à propos de l’affaire Jadhav.
12. The Republic c. Lameck Bandawe Phiri (2017), Sentence Rehearing Case No 25, High Court of Malawi; Mabvuto Alumeta (n 10) 2.
13. Sont parties à la Convention de Vienne sur les Relations Consulaires, les Etats africains suivants: Afrique du Sud, Algérie, Angola, Bénin, Botswana, Burkina-Faso, Cap-Vert, Cameroun, République Démocratique du Congo, Djibouti, Egypte, Guinée Equatoriale, Erythrée, Eswatini (ex Swaziland), Gabon, Gambie, Ghana, Guinée, Kenya, Lesotho, Liberia, Libye, Madagascar, Malawi, Mali, Mauritanie, Maurice, Maroc, Mozambique, Namibie, Niger, Nigeria, Rwanda, São Tome et Principe, Sénégal, Seychelles, Sierra Leone, Somalie, Soudan, Tanzanie, Togo, Tunisie, Zambie, Zimbabwe.
14. La Cour Permanente de Justice Internationale, dans l’affaire Chemin de Fer Panevezys-Saldutiskis affirmait: ‘[...] c’est le lien de nationalité entre l’Etat et l’individu qui seul donne à l’Etat le droit de protection diplomatique.’ Voir Chemin de Fer Panevezys-Saldutiskis, CPJI (28 Février 1939) Ser A/B, Fascicule No 76. Cette règle sera reprise aussi dans l’affaire Nottebohm. Voir Affaire Nottebohm Liechtenstein c. Guatemala CIJ (6 Avril 1955) (1955) CIJ Recueil 4. Nous estimons que ce principe vaut aussi pour l’assistance consulaire.
15. Article 3(2) Treaty of Friendship, Commerce and Navigation between the United States of America and the Republic of Nicaragua, 367 UNTS 3 (21 janvier 1956); article 3(2) Treaty of Friendship, Commerce and Navigation between the United States of America and the Federal Republic of Germany, 273 UNTS (29 Octobre 1954); article 2(2) Treaty of Friendship, Commerce and Navigation between the United States of America and Japan, 206 UNTS 2788 (2 avril 1953); article 2(2) Treaty of Friendship, Commerce and Navigation, with Protocol between Ireland and the United States of America, Irish Treaties Series 1950 No 7 (21 janvier 1950).
16. Article 3(2) Treaty of Friendship, Commerce and Navigation between the United States of America and Denmark, 421 UNTS 6056 (1 octobre 1951).
17. Pour un historique de l’élaboration de la CVRC, Voir Juan Manuel Gomez ‘Vienna Convention on Consular Relations 1963: Introductory Note’ United Nations Audiovisual Library of International Law.
19. Article 36(1)(c) CVRC: ‘Celles-ci doivent sans retard informer l’intéressé de ses droits aux termes du présent alinéa’.
20. United Nations Conference on Consular Relations, Summary records of plenary meetings and of the meetings of the First and Second Committees, Vol I, 1963, A/CONF.25/16.
‘Mr. Kamel (United Arab Emirates) agreed that article 36 as prepared by the drafting committee would place a heavy burden on the authorities of the receiving State. The principle is understandable, but in practice it laid an impossible task on the receiving State and particularly on those which received a large numbers of immigrants and foreign tourists’.
‘Mr. De Castro (Philippines) said that he had little to add to the arguments presented by the representative of Thailand. Paragraph 1(b) of article 36 as prepared by the drafting committee imposed excessive obligations on the receiving State. Moreover, it favoured nationals of the sending State as compared to nationals of the receiving State. In the Second Committee it had been argued that nationals of the sending State who were arrested or imprisoned should be protected because they were often ignorant of the laws and regulations of the receiving State. That argument was not valid as no one was supposed to be ignorant of the law.’
21. Optional Protocol to the Vienna Convention on Consular Relations concerning the Compulsory Settlement of Disputes, 596 UNTS 487 (24 avril 1963).
22. Affaire LaGrand (n 10), Requête introductive d’instance de la République Fédérale d’Allemagne, para 4-5.
25. Affaire Paraguay c. Etats-Unis d’Amerique CIJ (10 novembre 1998), Ordonnance portant désistement du Paraguay, CIJ Recueil 426.
29. Affaire Avena Mexique c. Etats-Unis d’Amérique CIJ (31 mars 2004), Arrêt, CIJ Recueil 12. Voir paragraphe 4-11 du dispositif de l’arrêt.
30. Article 6(1) Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques, 999 U.N.T.S. 171 (16 décembre 1966) ‘Le droit à la vie est inhérent à la personne humaine. Ce droit doit être protégé par la loi. Nul ne peut être arbitrairement privé de la loi’.
31. Inter-American Court of Human Rights, The right information on consular assistance in the framework of the guarantees of the due process of law IACHR, Advisory Opinion OC-16/99 (1 octobre 1999).
32. Affaire Ahmadou Sadio Diallo République de Guinée c. République Démocratique du Congo CIJ (30 novembre 2010), arrêt, CIJ Recueil 636.
34. Ibid, para 95 ‘La Cour constate que les deux arguments mis en avant par la RDC jusqu’au second tour de plaidoirie sont dépourvus de pertinence. C’est aux autorités de l’Etat qui procède à l’arrestation qu’il appartient d’informer spontanément de son droit à demander que son consulat soit averti; le fait que cette personne n’ait rien demandé de tel non seulement ne justifie pas le non-respect de l’obligation d’informer qui est à la charge de l’Etat qui procède à l’arrestation, mais pourrait bien s’expliquer justement, dans certains cas, par le fait que cette personne n’a pas été informée de ses droits à cet égard. Par ailleurs, le fait que les autorités consulaires de l’Etat de nationalité de la personne arrêtée aient été informées par d’autres voies de l’arrestation de cette personne ne fait pas disparaître la violation de l’obligation d’informer celle-ci “sans retard” de ses droits, lorsque cette violation a été commise. ’
35. Armand Guehi (n 1), paras 95-96. L’article 7(1)(c) de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples dispose:
Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit comprend:
c) le droit à la défense, y compris celui de se faire assister par un défenseur de son choix
39. RL Spangenberg & ML Beeman ‘Indigent Defense Systems in the United States’ (1995) 58 Law and Contemporary Problems; Voir Loi No 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique (France).
40. Article 14(3)(d) Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 999 UNTS 171 (16 décembre 1966). Dans le contexte africain voyons par exemple le Point G(a) dans African Commission on Human and Peoples’ Rights ‘Principles and Guidelines on the Right to a fair Trial and Legal Assistance in Africa’ (2003). Voir paragraphe 1 The Lilongwe Declaration on Accessing Legal Aid in the Criminal Justice System in Africa (2004). Voir Article 9 Resolution on the Right to a Fair Trial and Legal Assistance in Africa (The Dakar Declaration and Resolution) (1999).
41. Affaire 5/2013 Alex Thomas c. Tanzanie CAfDHP (20 novembre 2015), arrêt, para. 124. Affaire 7/2013 Mohamed Abubakari c. Tanzanie CAfDHP (3 juin 2016), arrêt, para. 111
42. African Court on Human and Peoples’ Rights ‘List of counsel accepted and on pro bono list under the legal aid scheme’, http://en.african-court.org/images/Legal%20Aid%20Scheme/List%20of%20Counsel/list1.pdf (consulté le 25 juillet 2019).
Voir African Court on Human and People’s Right ‘Legal Aid Policy’ (2016), http://en.african-court.org/images/Legal%20Aid%20Scheme/Policy/English_version_ Legal_Aid_Policy_From_2016.pdf (consulté le 25 juillet 2019).
43. Affaire 1/2015 Armand Guehi c. République Unie de Tanzanie CAfDHP, mémoire en réponse de la République de Tanzanie, para 49 (document à disposition de l’auteur).
44. S Veneziano ‘The right to consular notification: the cultural bridge to a foreign national’s due process rights’ (2017) 49 Georgetown Journal of International Law 550.
47. Consulat Général de France à Madrid ‘Liste d’avocats francophones’, https://es.ambafrance.org/Liste-d-avocats-francophones (consulté le 25 juillet 2019).
7 FAM 1990 List of Attorneys and Legal Resources (UNCLASSIFIED), https://fam.state.gov/fam/07fam/07fam0990.html#M994 (consulté le 25 juillet 2019).
49. S Salmon ‘Determining customary international law: the ICJ’s methodology between induction, deduction and assertion’ (2015) 26 European Journal of International Law 417-443.
50. United States Department of State ‘Consular Notification and Access 5th Edition’ (septembre 2018), pp 43-44, https://travel.state.gov/content/dam/travel/CNA trainingresources/CNA%20Manual%205th%20Edition_September%202018.pdf (consulté le 25 juillet 2019).
51. Voir Identification of customary international law: information provided by the United Kingdom of Great Britain and Northern Ireland (2014), pp.72-82; 83-104, http://legal.un.org/docs/?path=../ilc/sessions/66/pdfs/english/icil_uk.pdf&la ng=E (consulté le 25 juillet 2019).
52. Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus (Règles Nelson Mandela), A/RES/70/175 (17 décembre 2015).
53. Ensemble de principes pour la protection de toutes personnes soumise à une forme quelconque de détention et d’emprisonnement, A/RES/43/173 (8 Décembre 1988); Voir Article 6(3) Convention contre la torture et autres peines et traitements cruels, inhumains ou dégradants, 1465 UNTS 85 (10 décembre 1984); Voir Article 10 Déclaration sur les droits de l’homme des personnes qui ne possèdent pas la nationalité du pays dans lequel ils vivent, A/RES/40/144 (13 décembre 1985); Voir Article 16(7) Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, 2220 UNTS 2 (18 décembre 1990).
55. Police and Criminal Evidence Act 1984 (PACE), Code C Revised: Code of Practice for the detention, treatment and questioning of persons by Police Officers, July 2018.
56. SI No 119/1987- Criminal Justice Act 1984 (Treatment of Persons in Custody in Garda Siochana Stations) Regulations, 1987.
58. Email du Greffe de la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples confirmant que l’affaire Armand Guehi c. Tanzanie est à ce jour la seule dans laquelle un Etat a exercé son droit d’intervention, 16 juillet 2019.
59. Ces autres parties sont la Commission de l’Union Africaine, le Conseil Exécutif de l’Union Africaine et l’ensemble des Etats membres de l’Union Africaine.
60. Kennedy Owino Onyachi, Charles John Mwanini Njoka (n 7), para 44. La Cour conformément à l’article 5(2) de son Protocole a invité la République du Kenya à formuler une requête d’intervention si elle souhaite, car l’affaire implique deux ressortissants kenyans. Le Kenya n’interviendra pas.
61 Submissions of the State of Côte d’Ivoire in the matter 1/2015 - Armand Guehi c. Tanzania (13 May 2016), para 4 (document à disposition de l’auteur).
By note referenced AFCHPR/Reg./APPL. 001/2015/006 dated 5 May 2015, following a request for information by Cote d’Ivoire on the judicial requirements to be met before the Court to give the required assistance to its citizen, the Registry of the AFCHPR invited the State of Cote d’Ivoire to
61. read the provisions under Rule 53(1)(2) and (3) of the Rules of Court including a copy of the form prepared by the Registry of the Court for that purpose.
64. Article 3(1) Protocole relative à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l’homme et des peuples
La Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et tous les différends dont elle est saisie concernant l’interprétation et l’application de la Charte, du présent Protocole, et de tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l’homme et ratifié par les Etats concernés.
Article 32(1) Convention Européenne des droits de l’homme
La compétence de la Cour s’étend à toutes les questions concernant l’interprétation et l’application de la Convention et de ses protocoles qui lui seront soumises dans les conditions prévues par les articles ...
Article 62(3) American Convention on Human Rights
The jurisdiction of the Court shall comprise all cases concerning the interpretation and application of the provisions of this Convention [American Convention on Human Rights] that are submitted to it, provided that the States Parties to the case recognize or have recognized such jurisdiction ...
66. N Klein ‘Case notes: Avena and Other Mexican Nationals (Mexico v United Republic of America)’ (2004) 14 Australian Journal of International Law, 143-157:
To the this end, Mexico had proposed that information on consular rights could be incorporated within the so-called Miranda warning: to the litany of “you have the right to remain silent , the right to have an attorney present during questioning ,...” could be added “if you are a national, you have the right to contact your consulate.” The Court endorsed this suggestion.