Benjamin Gbandi Dare
LLM (Lyon et Grenoble), LLM (Lyon III), Doctorant et chercheur (Montréal/ Canada) ; également chargé de cours de droit à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et à l’Université de Montréal (UdeM)
https://orcid.org/0009-0007-4523-8417
Elisée Judicaël Tiehi
LLM (Lyon et Grenoble), LLM (Lyon III), Docteur en droit public et chercheur associé au Centre Jean Bodin de l’Université d’Angers (France) ; a précédemment travaillé à la Cour pénale internationale et au Haut-Commissariat des Nations Unies pour les droits de l’homme, respectivement en qualité de professionnel invité et de spécialiste associé des droits de l’homme
https://orcid.org/0000-0003-1415-3182
Edition: AHRY Volume 8
Pages: 182-205
Citation: BG Dare & EJ Tiehi ‘L’indépendance personnelle des juges de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples’ (2024) 8 Annuaire africain des droits de l’homme 182-205
http://doi.org/10.29053/2523-1367/2024/v8a6
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RÉSUMÉ
Alors que les thématiques classiques du système juridictionnel des droits de l’homme ont suscité d’abondantes recherches, la question de l’indépendance personnelle des juges de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (Cour africaine) demeure encore largement sous-explorée, en grande partie, pour des raisons culturelles. Pourtant, cette indépendance, souvent associée à l’indépendance institutionnelle, constitue une condition essentielle de la légitimité de toute juridiction internationale et de l’autorité de ses décisions. À l’occasion du 20e anniversaire de l’entrée en vigueur du Protocole de Ouagadougou, cet article entreprend une analyse approfondie de l’indépendance personnelle des juges de la Cour africaine. L’étude révèle que, nonobstant les garanties prévues par le Protocole en vue de préserver cette indépendance, ces mesures restent insuffisantes pour répondre pleinement aux attentes des justiciables africains. Cette contribution met en lumière les défis persistants et propose une réflexion sur les moyens d’améliorer les mécanismes en place afin de renforcer l’impartialité et l’indépendance des juges de cette institution clé du système africain de protection des droits de l’homme.
TITLE AND ABSTRACT IN ENGLISH
The independence of judges of the African Court on Human and Peoples’ Rights
ABSTRACT: Despite the extensive body of research on traditional themes within the human rights jurisdictional system, the issue of the personal independence of judges at the African Court on Human and Peoples’ Rights (African Court) remains significantly underexplored, largely due to prevailing cultural considerations. Yet personal independence, often conflated with institutional independence, constitutes a fundamental prerequisite for the legitimacy of any international judicial body and the authority of its decisions. Marking the 20th anniversary of the entry into force of the Ouagadougou Protocol, this article provides a detailed examination of the personal independence of the African Court’s judges. The analysis demonstrates that, notwithstanding the safeguards established by the Protocol to ensure such independence, these measures fall short of fully addressing the expectations of African litigants. This study identifies persistent challenges and proposes recommendations for enhancing existing mechanisms to reinforce the impartiality and independence of the judges of this pivotal institution within the African human rights system.
MOTS-CLÉS: Cour africaine des droits de l’homme et des peuples ; indépendance personnelle ; Juges ; Protocole de Ouagadougou ; Union africaine
2 Des garanties de l’indépendance des juges certes traditionnellement énoncées
2.1 Les garanties fonctionnelles de l’indépendance
2.2 Les garanties statutaires de l’indépendance des juges
3 Des garanties de l’indépendance des juges encore insuffisamment organisées
3.1 Les insuffisances perceptibles en amont de l’élection des juges
3.2 Les insuffisances visibles en aval de l’élection des juges
1 INTRODUCTION
«Going far or not going far enough?»,1 tel pourrait être, pour pasticher les propos de Christian Pippan, le sempiternel dilemme que pose voire impose la problématique de l’indépendance judiciaire. Principe consubstantiel à la notion d’État de droit, condition sine qua non d’un procès juste et équitable et directement associé à la bonne administration de la justice, l’indépendance judiciaire désigne «le fait pour une personne [et]/ou une entité de ne dépendre d’aucune autre autorité que la sienne propre».2 Importante dans la compréhension de la notion d’indépendance judiciaire, cette définition ne permet pas, malheureusement, de traduire toute la complexité de ce principe sacro-saint de l’ordre juridique international. En effet, dans son acceptation la plus extensive, le principe de l’indépendance judiciaire «exige que les juridictions et les juges prennent leurs décisions librement, à l’abri de toute pression où manipulation extérieure, de la part de qui ce soit ou pour quelque raison que ce soit. Il requiert non seulement que la justice soit rendue de manière indépendante, mais également, qu’elle soit indépendante au niveau des apparences».3 De cette définition transparaît plus clairement les différents éléments qui composent ce concept à savoir l’indépendance institutionnelle et l’indépendance personnelle. S’influençant mutuellement, en théorie, au point de se confondre réciproquement,4 en pratique, il sied toutefois de préciser que ces deux éléments susvisés ne recouvrent pas systématiquement la même réalité. Et pour cause, si :
[...] la première [a] trait aux juridictions en tant qu’institutions (...), la seconde concerne les membres de celles-ci».5 En effet, «l’indépendance institutionnelle se manifeste sous l’angle d’une série d’autonomies parmi lesquelles l’autonomie budgétaire, l’autonomie d’organisation interne, l’autonomie en matière de recrutement du personnel, l’autonomie des systèmes informatiques ou celle en matière d’élection des présidents des différents formations de jugement».6 Quant à l’indépendance personnelle,7 elle «profite individuellement aux juges qui doivent, dans l’exercice de leurs fonctions, être libres de toute influence ou ingérence indue ou abusive».8
Ainsi, pris sous cet angle individuel, l’indépendance personnelle:
[...] peut être conçue soit comme un droit du juge (garanti par les obligations corrélatives de l’État et des tierces-personnes, et, si nécessaire, par les sanctions à l’encontre de celles et ceux qui tentent de l’influencer indûment), soit comme un devoir «il doit respecter et contribuer à maintenir l’indépendance du pouvoir judiciaire et, en dernière analyse, appliquer le droit, au vu des éléments du dossier particulier, sans céder à la crainte de déplaire, ni au désir de plaire à toutes les formes du pouvoir, exécutif, législatif, parlementaire, politique, hiérarchique, économique, médiatique ou de l’opinion publique».9
Bien que fondamentale dans l’appréhension de l’indépendance judiciaire, l’indépendance personnelle n’a pourtant retenu que timidement l’attention de la doctrine, notamment de la littérature juridique francophone.10 Selon Jiri Malenovsky, la raison en est essentiellement culturelle. En effet,
[...] la doctrine continentale, souvent d’inspiration française, est naturellement portée vers l’étude des juridictions, envisagées en tant qu’institutions désincarnées, holistiques et rendant des décisions de manière anonyme, «au nom du peuple», un et indivisible, conformément à l’allégorie bien connue de la justice quasiment sans visage, statuant les yeux bandés. Inversement, la doctrine anglo-saxonne, privilégiant une approche davantage pragmatique, s’intéresse aux individualités qui composent ces juridictions (...).11
Fort étonnement, ce constat s’est avéré doublement vrai, s’agissant du système juridictionnel africain de droits de l’homme où l’office des juges de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (Cour africaine) n’a quasiment pas fait l’objet d’une exégèse dans la littérature juridique aussi bien francophone qu’anglophone et ce, comparativement à son indépendance collective ou encore à son œuvre normative et jurisprudentielle pour lesquelles pullulent un nombre incalculable de travaux scientifiques.12
La récente commémoration du 20e anniversaire de l’entrée en vigueur du Protocole à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (Protocole de Ouagadougou)13 est opportunément pertinente en ce qu’elle offre l’occasion d’analyser le régime juridique qui régit l’indépendance des juges de la Cour africaine Autrement dit, l’indépendance des juges de la Cour africaine, dont la composition reflète les différents points de vue juridiques, politiques et idéologiques existant au sein des États parties de l’Union africaine (UA), est-elle suffisamment assurée de sorte à renforcer la légitimité de la Cour africaine et l’autorité de son action ? Certes, le Protocole de Ouagadougou et les autres instruments juridiques pertinents de la Cour africaine,14 prévoient un ensemble de garanties à l’indépendance des juges de la Cour africaine. Toutefois, une analyse approfondie de ces garanties porte manifestement à croire que celles-ci demeurent encore lacunaires.
In fine, si le principe de l’indépendance personnelle des juges de la Cour africaine est clairement énoncé en ce qu’il emprunte aux garanties traditionnelles attachées à leur fonction de juge et à leur statut de fonctionnaire international (2), celui-ci demeure encore insuffisamment assuré au regard du défaut de transparence et des risques de pressions politiques qui, respectivement, précède la sélection et la nomination des juges et entourent le renouvellement de leur mandat (3).
2 DES GARANTIES DE L’INDÉPENDANCE DES JUGES CERTES TRADITIONNELLEMENT ÉNONCÉES
Le Protocole de Ouagadougou contient des dispositions, plus ou moins classiques, qui insistent sur la nécessité de garder et de sauvegarder l’indépendance personnelle des juges de la Cour africaine. D’abord, fonctionnelles puisque liées à l’exercice même de leur fonction de juge international (2.1), les garanties de l’indépendance personnelle des juges de la Cour africaine sont, par ailleurs, adossées à leur statut de fonctionnaire international (2.2).
2.1 Les garanties fonctionnelles de l’indépendance
Les garanties fonctionnelles du juge de la Cour africaine s’apprécient tant à l’aune des prérogatives qui lui sont substantiellement accordées (2.2.1) qu’au regard des obligations qui lui sont corrélativement imposées (2.2.2).
2.1.1 Les prérogatives accordées aux juges
Au titre des prérogatives reconnues aux juges de la Cour africaine en vue de garantir leur indépendance personnelle, il convient de mentionner premièrement le principe du secret des délibérations. Consacrée dans la quasi-totalité des textes d’autres juridictions internationales,15 la confidentialité des délibérations est prévue dans le Règlement intérieur (RI) de la Cour africaine, qui dispose que : «[l]es délibérations de la Cour ont lieu en séance privée ; elles sont et demeurent confidentielles. Le Greffier ou son adjoint, ainsi que les autres juristes du Greffe et les interprètes dont la présence est jugée nécessaire assistent aux délibérations».16 Ainsi, en vertu de cette disposition, les parties au litige ne peuvent aucunement être informées des prises de position de chacun des juges de la Cour africaine quant à leurs demandes et leurs arguments. Afin de préserver autant que faire se peut, le secret des délibérations, les arrêts de la Cour africaine indiquent, non pas les noms mais plutôt, le nombre des juges ayant constitué la majorité. Dit autrement, l’identité des juges appartenant respectivement à la majorité et à la minorité n’est pas divulguée. Tout en gardant constamment à l’esprit que les juges de la Cour africaine siègent à titre individuel, toutes ces précautions paraissent primordiales du point de vue du juge lui-même qui évolue dans un contexte africain particulièrement sensible où les droits de l’homme font souventes fois l’objet d’un instinctif effet de repoussoir de la part des États, notamment dans des affaires à fort enjeu politique, à l’image de celles touchant au contentieux électoral.17 Au regard de ce qui précède, le secret des délibérations participe à la préservation et au renforcement de l’intégrité judiciaire des juges de la Cour africaine, corollaire naturel de son indépendance dont elle est la traduction concrète, en les protégeant de toute sorte d’influence indue sur les procédures judiciaires, qu’elle soit exercée de manière externe à la suite d’une action éventuelle des parties au litige et/ou d’une tierce personne ou qu’elle soit formulée de nature interne suivant des interactions potentielles que ce dernier serait susceptible d’avoir avec ses pairs relativement au fond d’une affaire enregistrée au rôle de la Cour africaine.
A l’important principe du secret des délibérations, se greffe une autre prérogative non moins importante à savoir l’émission d’opinions séparées. La Cour africaine n’est pas restée en autarcie de ce classicisme puisque le droit des juges de la Cour africaine aux opinions séparées fut consacré dans le Protocole de Ouagadougou. Avant de présenter la disposition principale de ce Protocole qui l’encadre, il semble préalablement nécessaire de procéder à quelques observations sur les rapports ambiguës voire contradictoires qu’entretiennent ces deux principes. Bien que s’inscrivant dans la réalisation d’un objectif commun, à savoir l’objectivisation de l’indépendance judiciaire du juge international, il n’en demeure pas moins que la possibilité qui lui est reconnue d’émettre des opinions séparées remet incidemment en cause le secret du délibéré. Cette «trahison» inférée ou cette «infidélité» caractérisée des opinions séparées vis-à-vis du secret des délibérations s’apprécie à la lumière de l’étalage ou du déballage, sur la «place publique», des divergences voire des différences d’opinions, supposées rester confidentielles, entre les juges. Pis, d’aucuns estiment qu’un «trop grand nombre d’opinions dissidentes jointes à un arrêt donné peut diminuer l’autorité de ce dernier. En effet, les décisions rendues à une majorité d’une ou deux voix ont évidemment moins de force que celles faisant l’unanimité parmi les juges».18 Ainsi, de l’avis du professeur J-F Flauss, les opinions séparées créent, à l’occasion de certaines affaires, «une réelle cacophonie [du fait du leur multiplication revêtant de plus en plus souvent] les allures d’un véritable contre arrêt ou d’une dissertation juridique traquant et dénonçant systématique-ment toutes les déficiences de la solution retenue par la Cour».19 C’est la raison pour laquelle, en l’absence de texte spécifique20 sur l’éthique judiciaire des juges de la Cour africaine encadrant plus ou moins les opinions séparées, sur le modèle de la Cour européenne des droits de l’homme (CourEDH),21 ceux-ci sont tenus d’y recourir avec prudence et tempérance, d’en user avec tenue et retenue, et non d’en abuser avec violence et virulence, au risque de «nuire à l’institution qu’ils représentent, la perte de la crédibilité d’une juridiction ayant des conséquences désastreuses sur la cause qu’elle est censée protéger».22 Au-delà de cette approche objectivement critique, la possibilité offerte aux juges d’émettre des opinions séparées, ou des opinions «alternatives»23 à celle de la majorité doit être plutôt vue comme une expression de l’indépendance personnelle des juges, émanation directe de l’exercice de leur liberté d’expression d’où son ancrage solide, à l’instar du secret des délibérations, dans la pratique des juridictions internationales.24 Par cette liberté d’expression, chaque juge de la Cour africaine «peut décider de préciser dans une opinion séparée les particularités d’un système juridique [ou d’une question juridique] qu’il connait bien et qui aurait pu ne pas être complétement bien perçu par ses collègues. Par [ce] biais, il peut ainsi s’attarder sur certaines traditions ou pratiques nationales pertinentes dans la compréhension de l’affaire soumise à la Cour».25 La disposition pertinente octroyant aux juges la faculté d’émettre des opinions séparées est l’article 28 du Protocole de Ouagadougou qui, en son alinéa 7, stipule que «Si l’arrêt n’exprime pas, tout ou en partie, l’opinion unanime des juges, tout juge a le droit d’y joindre une opinion individuelle ou dissidente». Précisons que deux catégories d’opinions séparées se dégagent de cette disposition à savoir l’opinion individuelle et l’opinion dissidente.
Si opinion individuelle26 et opinion dissidente27 ne sont pas fondamentalement opposés tant au regard de leur rôle, qu’eu égard à leur objet, celles-ci n’étant que la substantifique moelle de «l’utile commentaire de la décision qu’elles accompagnent»,28 des nuances peuvent, sinon, doivent, en revanche, être établies entre ces deux termes du point de vue de leur contenu terminologique. En effet, l’opinion individuelle, encore appelée opinion concordante,29 est une opinion dans laquelle les juges, quoiqu’ayant participé au vote majoritaire, souhaitent exprimer leur réticence sur certains motifs, en apportant des rectifications qu’ils estiment profitables à la décision,30 en contestant une partie du raisonnement,31 en développant des points non abordés dans la décision,32 en proposant une autre base juridique sur laquelle la Cour aurait pu se fonder.33 Somme toute, l’opinion individuelle vise à nuancer, à clarifier, à éclairer les parties sur le sens et la pertinence de la décision.34 Quant à l’opinion dissidente, elle permet, au contraire, au juge qui en est l’émetteur de se mettre en marge de la décision majoritaire c’est-à-dire de «s’écarter de la vision dominante».35 Cette dissidence dont la portée est variée36 peut s’exprimer sous différentes formes. À cet effet, les juges peuvent simplement désapprouver les motifs de la décision,37 regretter le manque de clarté dans le raisonnement ou dans l’exposé des arguments tout en mettant de l’ordre dans un arrêt que les juges dissidents trouvent désorganisés,38 compléter un arrêt que les juges dissidents estiment lacunaire dans l’analyse et la motivation.39 Qu’elles soient individuelles ou dissidentes, les opinions séparées participent de la même fonction, celle d’accompagner l’arrêt et d’enrichir le débat doctrinal en reconnaissant le droit à la liberté d’expression des juges de la Cour africaine dans le processus de construction des arrêts rendus.40
Outre les droits qui leur sont reconnus, l’indépendance personnelle des juges de la Cour africaine passe aussi par le respect d’un certain nombre d’obligations à leur charge.
2.1.2 Les obligations imposées aux juges
Pour garantir leur indépendance personnelle, les juges sont astreints à des obligations contenues dans les instruments juridiques de la Cour africaine. Ces obligations, souvent passées sous silence, sont subrepticement enserrées dans la prestation de serment requise par l’article 16 du Protocole de Ouagadougou. Ainsi, «[à]près leur élection, les juges prêtent serment d’assurer leurs fonctions en toute impartialité et loyauté». La prestation de serment revêt une dimension symbolique et porte en elle une valeur juridique. Une dimension symbolique, parce que la prestation de serment est un véhicule de symboles qui visent à rendre sensible ce qui ne l’est pas par nature. Tel est le cas, par exemple, de la «barre» ou la «barrière» dans la salle d’audience41 qui, à première vue, ne suscite pas d’intérêt particulier mais qui, dans l’esprit du décorum ou du cérémonial entourant la prestation de serment, symbolise la séparation entre le public et la Cour : entre d’un côté le temps (du) public et de l’autre le temps (du) judiciaire. Le temps judiciaire étant entendu comme un espace de justice déconnecté du temps commun et rythmé par la procédure qui met en veilleuse les affects en donnant toute place au droit rien qu’au droit.42 Par ailleurs, une dimension juridique, car elle constitue l’acte de prise de fonction des juges de la Cour africaine, par lequel le juge s’engage solennellement devant la communauté, et en l’occurrence la communauté internationale, à exercer ses fonctions avec «impartialité et loyauté». On aurait pu s’étonner de l’absence du qualificatif indépendance, aux côtés de ceux d’impartialité et de loyauté. Cette omission volontaire tient simplement au fait que l’indépendance est un concept générique qui les intègre dans son approche définitionnelle. L’indépendance présuppose aussi bien l’existence de droits au profit du juge que de devoirs à sa charge tandis que l’impartialité,43 notion qui lui est voisine, regroupe exclusivement l’ensemble des devoirs s’imposant au juge. En d’autres termes, l’impartialité est caractérisée par l’état d’esprit du juge, à partir de son horizon intérieur et non par l’existence d’une pression exercée de l’extérieur sur ce dernier.44 Quant à la loyauté, elle signifie que lorsque le juge prête serment, peu importe la formule consacrée à cet effet, cette promesse qui est contenue dans le serment l’engage envers l’État de droit45. Ainsi, sur la base de cette prestation de serment, les juges de la Cour africaine sont, en conséquence, tenus de respecter deux obligations principales à savoir l’obligation d’incompatibilité et l’obligation de récusation.
L’obligation d’incompatibilité est prévue à l’article 18 du Protocole de Ouagadougou et, de manière détaillée, la règle 5 du RI de la Cour africaine qui dispose que «les juges de la Cour ne peuvent, pendant la durée de leur mandat, exercer aucune activité de nature à porter atteinte aux exigences d’indépendance et d’impartialité liées à leurs fonctions». Il s’agit notamment de fonctions politiques, diplomatiques, administratives ou de conseiller juridique au sein d’un gouverne-ment.46 En définitive, une fois la prestation de serment effectuée, chaque juge doit déclarer à la Cour africaine toute activité pouvant constituer une source d’incompatibilité. C’est fort de cette obligation que le juge Rafaa Ben Achour47 fut «contraint» de renoncer, après son élection en juin 2014, à son poste de conseiller de l’ancien président tunisien Béji Caïd Essebsi, le 1 avril 2015.48 Quant à l’obligation de récusation, elle est énoncée à l’article 22 du Protocole de Ouagadougou. En vertu de cette obligation, dans le cas où un juge possède la nationalité d’un État partie à une affaire, il se récuse, se mettant, dès lors, à l’abri d’éventuelles pressions, sous toutes leurs formes et dans toutes leurs manifestations, de la part de son État de nationalité. Par cette récusation, comme en témoignent les lignes de Marina Eudes, «le gouvernement de son pays d’origine ne pourra pas lui reprocher un vote défavorable dans une affaire importante, vote qui serait peut-être sanctionné par le choix d’un autre candidat lors des élections suivantes à la Cour».49 Selon Jiri Malenovsky, le modèle «récusatoire» est à privilégier dans la mesure où:
la règle relative au droit de siéger du «juge national» [est née] (...) à l’époque où les règlements des différends entre États étaient principalement régis de manière bilatérale, reposant sur des considérations tenant au respect de la réciprocité et de l’égalité souveraine. (...) Or, cette situation n’a pas vraiment d’équivalent s’agissant des juridictions régionales des droits de l’homme. Si la présence d’un «juge national» dans une procédure déclenchée par une requête individuelle poursuivait l’objectif d’exposer aux juges la position de l’État défendeur, cela affaiblirait nécessairement la position du requérant qui, n’ayant pas la qualité d’État, ne bénéficie pas du même privilège. D’un point de vue conceptuel, la participation du «juge national» va donc à l’encontre du principe de l’égalité des armes.50
Si ce modèle peut être naturellement privilégié pour les avantages qu’il procure conformément aux raisons ci-dessus présentées, il est toutefois à relativiser au regard des inconvénients qu’il provoque. En effet, le modèle «accusatoire», contrairement au modèle «participatoire» prive une juridiction, en l’espèce la Cour africaine, de l’opportunité d’être éclairé par le juge national sur un aspect du droit de son État de nationalité.51
Outre les garanties fonctionnelles, l’indépendance personnelle des juges de la Cour africaine est confortée par des garanties attachées à leur statut de fonctionnaire international.52
2.2 Les garanties statutaires de l’indépendance des juges
Exerçant leurs fonctions au sein d’une juridiction internationale,53 les juges de la Cour africaine sont, par ricochet, des fonctionnaires internationaux c’est-à-dire un personnel employé par une organisation internationale (OI), doté d’un régime statutaire ou spécifique contractuel, et exerçant une fonction au service de l’ensemble des États membres composant cette organisation. A ce titre, ils bénéficient, à l’instar de tout fonctionnaire international, d’avantages tant classiques (2.2.1) que spécifiques (2.2.2).
2.2.1 Les avantages classiques
Les prérogatives classiques sont celles dont jouissent assez généralement les fonctionnaires travaillant au nom et pour le compte d’OIs. Ces prérogatives classiques sont constituées de privilèges et d’immunités diplomatiques, sur le modèle de celles qui sont accordées aux chefs de missions diplomatiques sur le fondement de la Convention de Vienne de 1961 sur les relations diplomatiques et, en particulier de la Convention générale de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) sur les privilèges et immunités. Dans le cadre des juridictions internationales, en l’espèce de la Cour africaine, l’ensemble du personnel judiciaire,54 y compris les juges, bénéficient d’un certain nombre de protections juridiques visant à assurer leur indépendance vis-à-vis des États aussi bien pendant l’exercice de leur mandat qu’après l’expiration de leur mandat. Ainsi, selon, le Protocole de Ouagadougou:
[d]ès leur élection et pendant toute la durée de leur mandat, les juges à la Cour jouissent des privilèges et immunités en Droit international au personnel diplomatique. Les juges à la Cour ne peuvent, en aucun moment, même après l’expiration de leur mandat, être poursuivis en raison des votes ou des opinions émis dans l’exercice de leurs fonctions.55
Avant de présenter l’étendue de ces privilèges et immunités qui relèvent d’ailleurs du droit international coutumier,56 faudrait-il rappeler qu’ils sont octroyés aux juges :
[...] dans l’intérêt de [de la Cour africaine] et non pour leur bénéfice personnel. [C’est d’ailleurs la raison pour laquelle], le secrétaire général administratif a le droit et le devoir de lever l’immunité accordée à un fonctionnaire dans tous les cas où il estime que cette immunité empêcherait que la justice suive son cours et qu’elle peut être levée sans porter atteinte aux intérêts de l’organisation de l’Unité africaine. À l’égard du Secrétaire général administratif, le Conseil des Ministres a qualité pour prononcer la levée de l’immunité.57
Ainsi, conformément à l’article VI de la Convention de l’OUA, les juges de la Cour jouissent d’une immunité de juridiction pour les paroles, les écrits, et tous les actes dont ils sont responsables dans l’exercice de leurs fonctions officielles. En outre, ils seront exonérés de tout impôt sur les traitements et émoluments versés par l’Union Africaine ; ils seront exempts de toute obligation relevant du service national ; ils ne seront soumis, en plus de leurs conjoints et des membres de leurs familles vivant à leur charge, aux dispositions limitant l’immigration et aux formalités d’enregistrement des étrangers. De plus, les juges de la Cour africaine jouiront, en ce qui concerne les facilités de change, des mêmes privilèges que les fonctionnaires d’un rang comparable appartenant aux missions diplomatiques accréditées auprès du gouvernement intéressé ; ils jouiront, ainsi que leurs conjoints et les membres de leurs familles vivant à leur charge, des mêmes facilités de rapatriement que les agents diplomatiques en période de crise internationale ; ils jouiront du droit d’importer en franchise leur mobilier et leurs effets à l’occasion de leur première prise de fonction dans le pays intéressé. Enfin, les documents de la Cour africaine et de ses membres dont les juges, sont inviolables et leurs correspondances et communications officielles ne peuvent être retenues ou censurées.58 Somme toute, l’ensemble de ces privilèges et immunités à l’intention des juges de la Cour africaine constitue un élément incontournable de leur indépendance personnelle en leur offrant une entière liberté, notamment de parole, pendant et après l’exercice de leur mandat.
Partant de ce qui précède, nous pouvons naturellement conclure que l’indépendance personnelle des juges de la Cour africaine s’arc boute et «puise une garantie supplémentaire»59 dans les privilèges et immunités diplomatiques auxquels se greffent d’autres prérogatives, plus spécifiques, qui leur sont accordées par l’UA.
2.2.2 Les avantages spécifiques
Afin de ne pas être soumis à des risques de pressions tous azimuts de la part des États, d’un organe de l’UA ou d’une personne, les juges de la CourADHP bénéficient de nombreux avantages. Ces avantages sont essentiellement financiers et accessoirement sécuritaires. Au titre des avantages financiers,60 les juges de la Cour africaine bénéficient d’une indemnité d’intersession qui est de 30% des 90% du salaire mensuel du président de la Cour africaine pour les activités à assumer pendant l’intersession ;61 d’une indemnité mensuelle de judicature de 10% des 90% du salaire mensuel du président de la Cour ;62 d’une indemnité journalière de subsistance conformément au Statut et règlement de l’UA.63 Aussi, bénéficient-ils d’un montant forfaitaire pour les frais administratifs d’un montant de 500 dollars américains par mois ;64 d’honoraires pour les sessions d’un montant de 500 dollars américains par jour durant les sessions ordinaires de la Cour africaine.65 Enfin, les juges de la Cour ont droit à des gratifications, une assurance vie et une assurance-maladie.66 Un certain nombre de frais annexes sont également pris en charge par l’UA, qu’il s’agisse des frais de séjour dans le cadre de missions officielles ou de frais de transport en première classe.67
Ces avantages financiers particulièrement alléchants sont complétés par des mesures de protection extraordinairement poussées dont bénéficient les juges de Cour africaine dans le cadre de l’accord de siège conclu entre l’UA et le gouvernement de la République-Unie de Tanzanie relatif au siège de la Cour. Ainsi, conformément à l’alinéa 3 de l’article XIII de cet accord de siège, «le gouvernement assure la sécurité et la protection des membres de la Cour et de la résidence du Président, des logements des juges et de la résidence du greffier». Concernant plus particulièrement la protection de leur intégrité physique, les juges de la Cour disposent individuellement d’une garde rapprochée. Cette protection si spéciale accordée aux juges pourrait, prima facie, surprendre en comparaison au traitement réservé notamment à leurs homologues européens. Cependant, elle pourrait s’expliquer, en partie, par un contexte sécuritaire encore relativement critique marqué par la présence résiduelle, dans cet espace sous-régional, de groupes terroristes et extrémistes violents.68 Qu’à cela ne tienne, ces avantages témoignent de la volonté affirmée de l’UA et de ses États membres d’assurer aux juges de la Cour un certain confort financier et une absolue garantie sécuritaire de nature à les aseptiser contre tous les pesanteurs, notamment politiques, de la part des États dans le cadre de médiatiques affaires qu’ils auront à traiter.
Nonobstant tous ces garde-fous fonctionnels et statutaires, globalement salutaires, le système de garanties mis en place par l’UA visant à assurer l’indépendance des juges de la Cour brille encore par certaines limites donnant le sentiment légitime d’une symphonie toujours inachevée.
3 DES GARANTIES DE L’INDÉPENDANCE DES JUGES ENCORE INSUFFISAMMENT ORGANISÉES
Des zones d’ombre subsistent quant aux garanties d’indépendance mises en place par le Protocole de Ouagadougou au profit des juges de la Cour africaine. Ces insuffisances observées quant à l’indépendance de ces juges sont perceptibles en amont (3.1) et visibles en aval de leur élection (3.2).
3.1 Les insuffisances perceptibles en amont de l’élection des juges
Les insuffisances perceptibles en amont de l’élection des juges de la Cour africaine s’observent, d’une part, par la lisibilité parcimonieuse du processus de nomination des candidats nationaux (3.1.1) ainsi que par une participation minimaliste de la société civile à ce processus (3.1.2).
3.1.1 Une lisibilité parcimonieuse du processus de désignation des candidats
C’est un truisme de dire que la procédure précédant l’élection des juges69 se caractérise par un manque de prévisibilité et ce, d’autant plus que le Protocole de Ouagadougou est, sans surprise, laconique sur la question. À cet égard, l’article 12 dudit protocole se contente d’enjoindre à chaque État partie de «présenter jusqu’à trois candidats dont au moins deux doivent être ressortissants de l’État qui les présente. Los de la présentation des candidatures, il sera dûment tenu compte de la représentation adéquate des deux sexes». Ce laconisme du Protocole de Ouagadougou va de pair avec le silence des règles et procédures organisant, à l’échelon national, la désignation des candidats au poste de juge de la Cour africaine.
En effet, au-delà des différences constatées d’un État à un autre, «il est clair que la plupart des candidats sont choisis par les gouvernements indépendamment de toute consultation nationale publique. Autrement dit, ce sont bien les autorités politiques qui désignent les candidats au poste de juges à la [Cour], avec les préoccupations partisanes et d’amitié que cela peut laisser deviner en certains cas».70 Il en résulte que :
les gouvernements intéressés tirent largement profit de leur faculté d’opérer la sélection des candidats de façon autonome, sur la base de qualifications définies plutôt vaguement en droit international, en ayant souvent tendance à présenter des «juristes d’État», c’est-à-dire des professionnels ayant entretenu des relations particulières avec les structures du pouvoir d’État et suffisamment à l’écoute des intérêts poursuivis par ces structures.71
Cette opacité qui entoure les processus nationaux de désignation des candidats aux fonctions de juge au sein de la Cour est telle qu’elle se traduit par une difficulté voire une impossibilité d’illustrer nos propos par des exemples précis ou des cas pratiques spécifiques. Or, il est indéniable que la transparence de ces processus a, à terme, une incidence indirecte sur l’indépendance des juges par la qualité des profils qu’elle suscitera, par l’inclusivité des candidats qu’elle favorisera et par la crédibilité qu’elle fera naître chez les justiciables africains. D’abord, par leur qualité, ces processus doivent s’assurer que les candidats proposés soient d’éminents juristes jouissant d’une compétence avérée en droit international des droits de l’homme lato sensu et en droit africain des droits de l’homme stricto sensu. Ensuite, par leur inclusivité, ces processus doivent veiller à ce que les candidats proposés soient représentatifs de l’ensemble du monde juridique.72 L’idée centrale étant, en définitive, de garantir la crédibilité de ces processus en décelant ou en levant, respectivement, toute accointance politique ou tout doute d’appartenance politique de l’un quelconque des juges de la Cour. Ceci dans l’hypothèse où ce dernier s’engagerait dans une activité professionnelle à l’occasion de laquelle il exprimerait en public via les médias, soit par écrit, soit par des actions publiques ou par tout autre moyen, des opinions qui seront objectivement en porte-à-faux avec son indépendance personnelle. En fait, «il ne suffit que les juges (...) soient indépendants (...), encore faut-il qu’ils le paraissent, de manière à ne donner prise à aucun soupçon».73
Fort de ce postulat, des propositions peuvent être formulées afin d’améliorer les procédures nationales de sélection des candidats aux fonctions de juge à la Cour de sorte à aiguillonner les États dans le sens du renforcement de la transparence et de l’efficacité de ces procédures. Ces propositions s’appuient sur celles de sélections au sein des autres juridictions internationales.74 Ainsi, il pourrait être procédé à des appels à candidature notamment dans une presse spécialisée75 ou opter pour la constitution d’un groupe d’experts nationaux et/ou inter-nationaux c’est-à-dire une «autorité éminente extérieur au gouvernement au sujet des candidats proposés».76 Cette proposition permettrait de «s’assurer de la qualité des candidats retenus, qualité appréciée par des personnalités elles-mêmes reconnues et a priori moins sujettes à des préoccupations partisanes».77 Ce groupe d’experts devra notamment s’assurer que le processus soit ouvert à tous les candidats potentiels qui répondent effectivement aux conditions telles que définies dans le Protocole de Ouagadougou.78 Il devra aussi veiller à ce que soit rendu public, après la phase de dépôt des candidatures, les informations des candidats relativement à leurs compétences, leur expertise, leurs expériences en matière de droits de l’homme ainsi que les raisons pour lesquelles ils satisfont aux conditions pour être désignés comme candidats aux postes de juges à la Cour. Enfin, un autre point79 qui nous semble devoir retenir l’attention dans le processus de sélection est bien évidemment l’ordre de présentation sur les listes en ce qu’elle pose la question de l’égalité des candidatures. En effet,
[...] il semble que cet ordre ne soit pas anodin, la préférence du gouvernement allant dans la première nommée, au détriment des autres, qui ferait alors office, volontairement ou non de figurants. Or, c’est généralement le candidat ainsi choisi qui est le plus souvent élu (...). Dans ces conditions, il pourrait arriver que des juristes de qualité refusent tout simplement de figurer sur la liste de candidatures, en apprenant que leur gouvernement a déjà fait son choix et qu’ils n’ont que peu de chance d’accéder à la fonction [de juge de la Cour].80
Pour rétablir l’égalité entre les candidats, une liste par ordre alphabétique peut être établie de sorte à ne pas non seulement privilégier le «candidat officiel ou naturel» de l’État en question mais aussi à ne pas orienter le vote des États membres de l’UA. L’ensemble de ces propositions pourront être revêtues d’une force juridique et symbolique si elles sont adossées à une décision de la Conférence des chefs d’États et de gouvernement de l’UA.81
Quid de la participation de la société civile à ce processus ?
3.1.2 Une participation minimaliste de la société civile
Parler d’une participation minimaliste de la société civile est, en réalité, un euphémisme tant celle-ci demeure quasi-inexistante. En effet, il est déplorable de constater que les organisations nationales de la société civile (OSCs) ne sont pas véritablement associées au processus de sélection et de nomination des candidats au poste de juges de la Cour africaine. Les OSCs bénéficient d’une expertise dans le domaine des droits de l’homme, d’une crédibilité auprès du grand public qui les autorise légitimement à être associée à toutes les phases de ce processus, en particulier l’assistance aux États pour la présentation des candidatures. En d’autres termes, l’État doit requérir l’avis et les opinions de la société civile, notamment celles des représentants de l’ensemble du secteur judiciaire, des organisations des droits de l’homme et autres parties prenantes. À cet effet, elle doit être à même de pouvoir aider à identifier et à encourager les demandes des candidats hautement qualifiés. Les États doivent aider les OSCs à faire circuler les annonces aussi largement que possible et à convaincre les personnes qui satisfont aux critères de faire acte de candidature. Les organisations juridiques professionnelles doivent également être parties prenantes de ce processus afin qu’il soit pleinement inclusif. En effet, de toutes les OSCs, les organisations professionnelles sont les mieux placées pour rassembler les opinions de leurs membres qui peuvent contribuer à évaluer des candidats potentiels de telle sorte que les informations de base pour le processus de désignation soient aussi fiables que possibles. Outre ces organisations, des individus peuvent aussi fournir des informations importantes sur les candidats.82 En conclusion, des mécanismes nationaux doivent être mis en place afin que la société civile et les organisations professionnelles puissent donner leur avis et des informations substantielles sur les candidatures. Ces avis et opinions pourront être portés à la connaissance des candidats avant la sélection ou l’entretien pour leur permettre d’y répondre ou pour fournir des renseignements complémentaires.
Au niveau régional, s’il faut se réjouir de la mise en place de l’Initiative d’Arusha, il convient cependant d’en relativiser la portée. En effet, cette initiative demeure très peu connue du public africain auquel elle s’adresse principalement. De plus, son impact au sein des États africains paraît plus que limité dans la mesure où cette initiative se contente bonnement d’identifier, en prévision au processus de nomination, les experts qualifiés et à partager une base de données de ces derniers avec les États pour qu’ils en tiennent compte au cours du processus de nomination. Pour rappel, l’Initiative d’Arusha est une initiative de nomination et de sélection des mécanismes africains des droits de l’homme visant à promouvoir les droits de l’homme en soutenant les États parties dans la nomination et la sélection des membres des mécanismes des droits de l’homme en Afrique. Ce faisant, elle a pour objectif de contribuer à l’amélioration de l’efficacité, de l’indépendance et de l’impact de ces mécanismes.83 C’est ainsi que le 28 mars dernier, l’Initiative d’Arusha a annoncé le lancement d’une campagne publique pour l’identification de candidats qualifiés en vue des prochaines élections à la Cour africaine. Pour être davantage efficace, cette initiative devra élargir son cercle de partenaires classiques84 en établissant des collaborations nouvelles, en autres, avec des OSCs nationales pour un partage d’expériences et de bonnes pratiques sur la meilleure façon d’assurer et de s’assurer de la transparence des processus de désignation des candidats.
Les insuffisances quant aux garanties d’indépendance des juges de la Cour ne sont pas uniquement circonscrites à leur processus de sélection et de nomination. Elles s’étendent aussi après leur élection.
3.2 Les insuffisances visibles en aval de l’élection des juges
Les insuffisances visibles en aval de l’élection des juges de la Cour africaine renvoient à celles qui s’observent après leur prise de fonction. Essentiellement facilitées par le caractère renouvelable du mandat des juges de la Cour (3.2.1), ces insuffisances sont aussi liées au mode de fonctionnement de la Cour (3.2.2).
3.2.1 Les risques sous-jacents au renouvellement de leurs mandats
Selon l’article 15 paragraphe 1 du Protocole de Ouagadougou, les juges de la Cour africaine sont élus pour une période de six ans et rééligibles une seule fois. Dit autrement, ils peuvent solliciter, à l’issue du premier terme de leur mandat, l’obtention d’un second mandat de six ans. La durée du mandat des juges de la Cour africaine est similaire à celui de la Cour interaméricaine des droits de l’homme dont le statut prévoit en son article 5 que «les juges de la Cour interaméricaine des droits de l’homme sont élus pour six ans et ne peuvent être réélus qu’une seule fois (...)». Toutefois, cette approche de la Cour africaine diffère de celle de la Cour européenne des droits de l’homme où le mandat des juges est de neuf ans, non renouvelable. À cet égard, il est notable de relever, afin d’élargir la comparaison, que les mandats des juges sont diversifiés et varient selon la nature des juridictions internationales. Ainsi, celui des juges de la Cour pénale internationale est de neuf ans, non renouvelable.85 Il en va de même pour les juges de la Cour internationale de justice ainsi que ceux du Tribunal international de droit de la mer. Cette démarche comparative dénote une préférence des juridictions internationales86 pour le mandat unique (non renouvelable). Ce choix trouve sa justification dans deux motivations. La première tient au fait que les juges des juridictions ayant opté pour le mandat unique siègent à temps plein et non à temps partiel. La seconde, qui est sans doute intrinsèquement liée à la première, est inhérente à l’importante charge de travail des juges au regard du nombre de requêtes et la complexité des dossiers à traiter. Indépendamment de ces motifs, il est clair que le mandat unique offre aux juges une sécurité, une stabilité et une tranquillité quant à l’exercice de leurs fonctions.
Attributs que les juges de la Cour africaine pourraient difficilement avoir dans l’hypothèse où ils envisagent de faire acte de candidature pour le renouvellement de leur mandat. En effet, nous ne sommes pas sans ignorer que :
les fonctions de juges bénéficient d’une image d’honorabilité et de respectabilité et sont généralement bien rémunérées. L’accès à ces fonctions est dès lors très convoité et attire de nombreux candidats qui doivent faire état de hautes qualifications et se soumettre, en règle générale, à une compétition. Cette volonté de réélection peut se révéler préjudiciable à leur indépendance En effet, faire l’objet d’une procédure de sélection équivaut à se soumettre à une autorité détenant le pouvoir de choisir. La composition et la fiabilité de cette autorité revêtent donc une importance cruciale. Il est impératif que ladite autorité soit irréprochable et que son pouvoir soit exercé par des personnes indépendantes et impartiales, en conformité avec des critères précis et objectifs et, en principe, sous le contrôle du public puisque la fonction de juge relève de la fonction publique. Dans l’hypothèse où le juge est nommé à l’issue d’une procédure de sélection contestable et que, dès lors, sa nomination n’était pas évidente, voire juste, et qu’il y avait peut-être d’autres candidats objectivement plus qualifiés que lui, il ne saurait être exclu qu’ensuite l’intéressé se considère, en conscience, comme le débiteur de ceux qui l’ont choisi de manière non impartiale et nourri ainsi à leur égard un sentiment de gratitude non désintéressée.87
Si ce sentiment de gratitude des juges ne peut s’exercer directement à l’égard de son État de nationalité en raison de leur obligation de récusation, il peut, en revanche, s’exprimer de façon indirecte par une propension fort affirmée ou une réticence à peine dissimulée à la condamnation d’un État attrait devant la Cour africaine Condamnation pour laquelle leur État de nationalité pourrait avoir un intérêt politique particulier. Par ailleurs, il ne serait pas superfétatoire d’établir un lien entre le nombre de mandats des juges de la Cour africaine et leur attitude dans l’exercice de leur fonction de juger oscillant, au gré des circonstances, entre pusillanimité et audace. En d’autres termes, les juges de la Cour africaine se montrent, parfois dans l’exercice de leur mandat unique ou du second et ultime terme de leur mandat, plus «libres» dans l’expression de leurs opinions, plus «critiques» des incongruités de la Cour voire plus enclins à consacrer des revirements jurisprudentiels significatifs au détriment des États. À cet égard, il sied de rappeler que, dans son arrêt de principe rendu en matière électorale dans l’affaire Actions pour la protection des droits de l’homme (APDH) c. République de Côte d’Ivoire, la Cour était composée, sur les neuf juges de la majorité ayant voté en faveur de la violation par l’État défendeur des droits allégués, de sept juges qui étaient en fin de mandat.88 Bien que cette observation empirique ne puisse être aucunement généralisée à tous les arrêts fondateurs de la Cour, force est cependant de reconnaître qu’elle constitue un précédent majeur à l’orée duquel devront être minutieusement scrutées les relations larvées entre le mandat des juges de la Cour et leur indépendance personnelle.
Les «dangers» afférents à la durée du mandat des juges de la Cour africaine ne manquent pas de faire échos aux implications latentes à l’exercice partiel de leur fonction qui n’est pas sans conséquence sur la perception de leur indépendance.
3.2.2 Les implications latentes de l’exercice partiel de leurs fonctions
En son alinéa 3, l’article 15 du Protocole de Ouagadougou énonce que «[t]ous les juges, à l’exception du Président, exerce leurs fonctions à temps partiel». Ce choix des États parties fut principalement motivé par les contraintes financières de l’UA et les ressources limitées subséquemment accordées à la Cour africaine. Ce mode d’exercice des fonctions des juges de la Cour africaine a, non seulement, des incidences sur la durée des procédures judiciaires mais, également, sur l’indépendance des juges dont l’activité peut être perturbée par l’exercice d’autres activités connexes. Pis, cette situation peut également témoigner, aux yeux des justiciables, d’un relatif désintérêt des juges pour leur fonction de juge international. Si l’exercice partiel des fonctions des juges de la Cour africaine pouvait se justifier dans les années qui ont suivi la création de la Cour, par le niveau particulièrement faible de requêtes enregistrées par la Cour africaine, il se serait difficile d’en dire de même plus de 25 ans après sa création. À l’instar de ces consœurs européennes et interaméricaines, les débuts de la Cour africaine furent assez laborieux89 puisqu’entre 2006 et 2010, elle n’avait été saisie que d’une seule affaire, laquelle s’est d’ailleurs achevée par un arrêt en incompétence.90 Depuis lors, la Cour africaine a été saisie de plus de 300 requêtes ; chiffres qui, pour une juridiction internationale qui n’a qu’une vingtaine d’années, témoignent d’une activité plus que soutenue.91 Cet intérêt fut même à la base de réactions épidermiques de certains États92 qui ont retiré leurs déclarations d’acceptation de la compétence de la Cour.93
Par conséquent, le moment semble être venu pour l’UA de modifier cette décision d’exercice à temps partiel des fonctions des juges de la Cour africaine, d’autant plus qu’il existe un projet de fusion entre la Cour africaine et la Cour de justice de l’UA.94 Pour rappel, le passage de la Cour à la Section des droits de l’homme laisse
entrevoir au moins deux éléments de régression concernant la protection des droits humains en Afrique. [L’un de ces éléments porte sur le] nombre insuffisant de juges. La Cour africaine instituée par le Protocole de Ouagadougou est composée de 11 juges. (...) Ce nombre s’est manifestement et progressivement rétréci [avec] le Protocole de 2008 [passant ainsi] à huit. Au lieu de maintenir ces huit juges, déjà insuffisants, le Protocole de Malabo de 2014 n’a prévu que cinq juges pour la Section des droits de l’homme et des peuples. Il s’agit là d’un manifeste nivellement vers le bas, dans la mesure où on se demande si l’énorme travail des 11 juges (...) peut être effectué par cinq juges.95
Il va donc de soi, suivant la logique de cette mutation annoncée, que la charge de travail des juges de la Section des droits de l’homme s’en trouvera davantage alourdie, si bien que leurs conditions de travail se révèleront impropres à garantir tous les aspects d’une indépendance pleine et entière avec, en filigrane, le danger de «voir le flux des contentieux [des droits de l’homme] se tarir».96
4 CONCLUSION
«Going far or not going far enough?», la réponse à cette question nous semble évidente tant, «it is better to go far than not far enough!». Or, l’analyse qui vient d’être faite de ce sujet montre que l’indépendance des juges de Cour africaine ne va manifestement pas assez loin. Certes, les instruments pertinents de la Cour dont le Protocole de Ouagadougou prévoient des garanties à l’indépendance des juges de la Cour. Ainsi qu’il fut démontré plus haut, ces garanties à l’indépendance personnelle des juges de la Cour sont constituées, d’une part, de droits qui leur sont reconnues à l’instar de l’émission d’opinions séparées et, d’autre part, de devoirs qui leur sont dévolus, à l’image de l’obligation de récusation. Aussi importantes et nécessaires que puissent être ces garanties qui correspondent plus ou moins aux standards classiques en la matière, elles demeurent encore insuffisantes à l’effet d’offrir aux juges de la Cour africaine la pleine et totale indépendance que les justiciables sont en droit d’attendre de la Cour et, ipso facto, d’exiger des juges qui la composent. Ce caractère inachevé de l’indépendance personnelle des juges de la Cour s’observe essentiellement par l’opacité qui caractérise le processus de sélection et la nomination des candidats. À l’image de l’indépendance institutionnelle, l’indépendance des juges de la Cour est fondamentale pour la Cour en elle-même d’où l’absolue nécessité d’un instrument de l’UA insistant, symboliquement voire juridiquement, sur l’intégrité judiciaire des juges de la Cour. Étant donné que les juges de la Cour constituent la partie émergée de l’iceberg juridictionnel de la protection des droits de l’homme dont ils sont la personnification, la «performance et l’efficacité de [la Cour] dépendent à bien des égards de [leurs] capacités professionnelles et personnelles, de leur savoir-faire, de leur expérience ainsi que de leur engagement et leur intégrité. La Cour africaine peut contribuer de manière significative à la promotion et à la protection des droits humains à l’échelle de l’Afrique si la désignation et l’élection des juges répondent complètement aux conditions requises par le Protocole et si la Cour reçoit le soutien politique inconditionnel des États membres de l’UA. Il est donc essentiel pour la crédibilité et le bon fonctionnement de la Cour d’élire des juges»97 qui jouissent, en toute objectivité et de notoriété publique, d’une très haute autorité morale, d’une compétence et d’une expérience juridique, judiciaire ou académique reconnue dans le domaine des droits de l’homme et des peuples.98 C’est probablement à ce prix que la CourADHP pourra véritablement se conformer à l’obligation de motivation de ses décisions, dont elle participe à l’acceptabilité99 et en facilite l’exécution. Mieux, la CourADHP doit faire preuve, dans le cadre de son office, d’une prolixité motivationnelle, loin de son actuelle «économie d’argumentation»100 qui lui est ouvertement reprochée en son propre sein101 et qui est vertement critiquée par la doctrine.102
1. C Pippan ‘Democracy as a global norm. Has it finally emerged?’ in M Happold (eds) International law in a multipolar world (2012) 209.
4. Ainsi, la Cour européenne des droits de l’homme et des peuples (CourEDH) définit l’indépendance d’un tribunal à partir des éléments se rapportant aux membres de ce dernier : ‘[p]our déterminer si un organe peut passer pour indépendant - notamment à l’égard de l’exécutif et des parties - a eu égard au mode de désignation et à la durée du mandat des membres (...), à l’existence de garanties contre les pressions extérieures (...) et au point de savoir s’il y a ou non apparence d’indépendance’. Voir Campbell and Fell c. Royaume-Uni CEDH (28 juin 1984) para 78.
7. L’indépendance personnelle constitue le noyau dur du Statut du juge depuis des siècles. En effet, dès 1840, en France sous la monarchie de Juillet, le Comte de Portalis exprimait, devant des pairs, l’idée selon laquelle ‘les juges doivent réunir quatre qualités principales : l’instruction ou les lumières, l’intégrité, l’indépendance et la dignité ou les mœurs’, voir C Fillon, M Boninchi & A Lecompte Devenir Juge. Mode de recrutement et crise des vocations de 1830 à nos jours (2008) 3.
10. À cet égard, il faut relever l’une des rares activités scientifiques portant sur la question, notamment le colloque organisé le 30 mai 2008 par l’Université Paris 1 (Panthéon-Sorbonne) sur le thème de l’indépendance et de l’impartialité des juges internationaux. Voir H Ruiz Fabri & J-M Sorel (dir) Indépendance et impartialité des juges internationaux (2010) 304.
12. Voir au titre des ouvrages, G Le Floch (dir) La Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (2023) 468 ; et au titre des articles, les différents volumes de l’Annuaire africain des droits de l’homme.
14. Voir le Règlement intérieur de la Cour africaine et l’accord de siège conclu entre le gouvernement tanzanien et l’UA relatif au siège de la Cour africaine.
15. Voir à cet effet Art 54 du statut de la Cour internationale de justice ; art 24 du statut de la Cour interaméricaine des droits de l’homme et Art 22 du règlement intérieur de la Cour européenne des droits de l’homme.
16. Règle 67 alinéa 2 du Règlement intérieur (RI) de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (n 14).
17. Voir Ajavon c. Bénin (fond et réparations) arrêt du 29 mars 2019 requête n°013/2017 ; Actions pour la protection des droits de l’homme (APDH) c. Côte d’Ivoire (2016) 1 RJCA 697. S’agissant notamment de cette affaire, lire l’article de EJ Tiehi ‘L’exécution minimaliste de l’arrêt de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples dans l’affaire ‘Actions pour la protection des droits de l’homme (APDH) c. République de Côte d’Ivoire’ : much ado about nothing ?’ (2020) 18(1) Revue des Droits de l’Homme 260-286.
18. M Eudes ‘La légitimité du juge de la Cour européenne des droits de l’homme. Observations sur la légitimité et l’indépendance du Juge de Strasbourg’ (2020) 13(1) Revue Québécoise de Droit International 151.
19. J-F Flauss ‘Actualité de la Convention européenne des droits de l’homme : Convention européenne des droits de l’homme et droit administratif’ (1996) 12 L’actualité juridique Droit administratif 1005.
20. Cette absence de texte spécifique encadrant la pratique des opinions séparées est quelque peu atténuée par la règle 9 du RI de la Cour africaine.
21. Voir Résolution sur l’éthique judiciaire, adoptée en 2021, qui interdit clairement les opinions séparées à la marge de l’éthique judiciaire. Le champ d’application de cette Résolution sur l’éthique judiciaire de la CourEDH est donc plus vaste que la règle 9 du RI de la Cour africaine qui ne les prohibe pas tout en empêchant les juges qui s’y pratiquent de participer à une affaire.
22. N Peltier ‘Les opinions séparées des juges à la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples’ in G Le Floch (dir) La Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (2023) 249.
23. W Mastor ‘Les opinions séparées sont-elles raisonnables?’ (2015) 5 Revue de la Recherche Juridique 2117.
24. À l’exception de la Cour de justice de l’Union européenne ou de quelques juridictions d’intégration, telles que la Cour de la CEDEAO, toutes les juridictions internationales confèrent à leurs membres la possibilité d’émettre des opinions séparées.
26. L’opinion individuelle est celle d’un juge qui a voté avec la majorité en ce qui concerne le dispositif du jugement, mais qui n’accepte pas tout ou partie de l’exposé des motifs. Ce juge peut ainsi justifier son dissentiment partiel et faire connaître les motifs qui l’ont conduit à accepter quand même le dispositif. Voir Salomon (n 2) 782.
27. L’opinion dissidente est celle d’un juge qui n’a pas voté avec la majorité parce qu’il est en désaccord avec le dispositif de la décision et, par conséquent, avec ses motifs. Ce juge peut ainsi donner les raisons de son dissentiment et rendre publics les points ayant donné lieu à controverse parmi les juges. Voir Salomon (n 2) 782.
28. A Ramseir & D Scalia ‘Quand la dissidence devient le jugement’ (2020) 19 Champ pénal/Pénal Field para 41. Ce document est disponible sur https://journals. openedition.org/champpenal/11968 (consulté le 16 mars 2024).
30. Opinion individuelle du juge Blaise Tchikaya jointe aux ordonnances rendues dans l’affaire Bernard Anbataayela Mornah Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Ghana, Mali, Tanzanie et Tunisie, requêtes n° 0112020 et n° 00212020, dans laquelle le juge regrette que la décision ait été rendue sous forme d’ordonnance et non pas sous la forme d’un arrêt.
31. Opinion individuelle du juge Fatsah Ouguergouz dans l’affaire Efoua M’bozo O Samuel c. Parlement panafricain du 30 septembre 2011 requête 010/2011. Par le biais de cette opinion individuelle, le juge Ouguergouz regrettait que l’affaire ait l’objet d’un traitement judiciaire, la Cour étant manifestement incompétente, tout en souscrivant au sens pris par la décision.
32. Opinion individuelle du juge Ngoepe jointe à l’affaire Christopher Mtikila c. Tanzanie du 14 juin 2013 requête n° 011/2011, ‘dans laquelle le juge éprouva le besoin de rédiger une opinion sur une problématique qui fruste la Cour depuis quelques temps et qui s’est manifestée au cours de l’élaboration de cet arrêt d’une manière différente des précédentes’, à savoir l’ordre d’examen du couple recevabilité/compétence ; opinion individuelle du juge Blaise Tchikaya jointe à l’arrêt Evodius Rutechura c. Tanzanie du 26 février 2021 requête n° 004/2016, dans laquelle le juge regrette la caractère trop laconique du dispositif et tente de le compléter en abordant des questions tenant à la peine de mort.
33. Opinion individuelle du juge Nutsinzi dans l’affaire Femi Femana c. Union africaine du 26 juin 2016 requête n° 011/2011, dans laquelle le juge proposait une autre base juridique pour fonder l’incompétence de la Cour africaine.
34. T Ondo ‘Les opinion séparées des juges de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples’ (2015) 104 Revue Trimestrielle des Droits de l’Homme 951.
36 À travers une opinion dissidente, les juges peuvent annoncer leur désaccord avec la majorité de manière frontale, peuvent être plus tempérées en émettant seulement des opinions partiellement dissidentes. Voir respectivement l’opinion individuelle de la juge Chafika dans l’affaire Glory C. Hossou et Landry Adelakoun c. République du bénin du 2 décembre 2021 requête n° 016/2020 : ‘je
36. réfute totalement la motivation et le dispositif de l’arrêt, adoptés dans l’affaire Glory C. Hossou et Landry Adelakoun c. Bénin à la moitié de dix voix contre une (1)’ ; Opinion partiellement dissidente du juge Blaise Tchikaya jointe à l’affaire Robert Richard c. République unie de Tanzanie du 2 décembre 2021 requête n° 035/2016, dans laquelle le juge approuve l’arrêt dans l’ensemble mais se détache du dispositif.
37. Opinion dissidente du juge Ben Achour jointe à l’affaire Léon Mugesera c. Rwanda du 27 novembre 2020 requête n° 012/2017, contestant une partie des motifs invoqués par la Cour africaine aux articles 73 et 74 de la décision.
38. Opinion dissidente de la juge Chafika Bensaoula jointe à l’arrêt Akwasi Boateng et 351 autres c. République du Ghana du 27 novembre 2020 requête n° 059/2016, où la juge reproche à la Cour africaine des ‘zones d’ombre’ dans la narration des faits et donc dans l’exposé fait par la Cour africaine en tenant de corriger ce qu’elle estime être une imprécision importante.
39. Opinion dissidente du juge Ouguergouz jointe à l’affaire Ekollo Mundi Alexandre c. Cameroun et Nigéria du 23 septembre 2011 requête n° 008/2021 para 21.
41. Cette barre ou cette barrière est, de nos jours, remplacée parfois par un espace vide entre les premiers rangs du public et la Cour.
42. Voir https://www.icc-cpi.int/fr/news/icc-prestation-de-serment-des-juges#:~: text=En%20ce%20qui%20concerne%20la,respecterai%20le%20caractère%20confidentiel%20des (consulté le 24 janvier 2024). Pour aller plus loin sur la définition du serment, lire R Verdier Le Serment: signes et fonctions (1992) 458.
43. L’impartialité s’entend d’une absence de parti pris, de préjugé, de conflit d’intérêts chez un juge, un arbitre, un expert ou une personne en position analogue par rapport aux parties se présentant devant lui ou par rapport à la question qu’il doit trancher. Voir Salmon (n 3) 562.
44. F Gelinas ‘Independence and impartiality in international adjudication’ in A Dodek et L Sossin (eds) Judicial independence in context (2010). Ce document est disponible sur https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=1335 788 (consulté le 2 février 2024) ; voir aussi W Lucy ‘the possibility of impartiality’ (2005) 25 Oxford Journal of Legal Studies 3-31.
45. Voir le document disponible sur https://www.encj.eu/images/stories/pdf/ethics/judicialethicsdeontologiefinal.pdf (consulté le 10 février)
48. Voir l’article disponible sur https://www.webdo.tn/fr/actualite/national/tunisieselon-le-jort-rafaa-ben-achour-conseiller-aupres-de-beji-caid-essebsi-a-demissio nne/167111 (consulté le 20 février).
51. Ce modèle ‘participatif’ est en vigueur au sein de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) au sein de laquelle le juge national est systématiquement présent dans la composition de la Cour pour l’examen d’une affaire, lorsqu’elle siège en Chambre de sept juges ou en grande Chambre de 17 juges. Pour en savoir davantage sur les motifs de récusation du juge au sein de la CEDH, voir article 28 du Règlement de la CEDH du 28 mars 2024.
52. S’entend d’une personne chargée, en vertu d’un accord entre États ou par une organisation internationale, d’exercer pour leur compte et sous leur contrôle, sur une base statutaire, une activité d’intérêt international d’une durée déterminée ou indéterminée. Voir Salomon (n 2) 508.
53. Une juridiction internationale est une institution investie du pouvoir de juger, c’est-à-dire de trancher des litiges entre États par décision obligatoire, qu’il s’agisse d’un organe arbitral ou judiciaire ou de tout autre organisme disposant de pouvoirs juridictionnels. Voir Salmon (n 3) 628.
54. Il faut ajouter le Greffe et son adjoint. Pour Marina Eudes, l’octroi de ces immunités et privilèges à ces fonctionnaires de la Cour africaine trouve son explication dans le fait qu’ils jouent un ‘rôle important de gardien de la jurisprudence’. Voir Eudes (n 19) 148-149.
56. Voir Affaire relative au mandat d’arrêt du 11 avril 2000 (République démocratique du Congo c. Belgique) CIJ (14 février 2002) (2002) arrêt CIJ recueil p 3 25.
60. Union Africaine Rapport sur les avantages des juges de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, Conseil Exécutif, 41e session ordinaire 20 juin- 15 juillet 2022, Ex. Cl/1378 (XLI). Ce document est disponible sur https://portal.africa-union.org/DVD/Documents/DOC-AU-WD/EX%20CL%201378%20 (XLI)%20_F.pdf (consulté le 10 juin 2024).
68. A ce sujet, l’on peut se référer à l’impact des attaques terroristes comme ceux du 7 août 1998, pendant lesquelles des camions piégés explosaient devant les ambassades américaines à Nairobi au Kenya et Dar es Salam en Tanzanie. Ces attaques, revendiquées par une cellule d’un groupe local d’al-Qaïda, firent 224 morts et plus de 4 000 blessés.
69. Pour approfondir les lectures sur l’élection des juges de la CourADHP, notamment sur la procédure suivant la désignation des candidats, il est fortement recommandé de lire, en sus du Protocole de Ouagadougou et du RI de la CourADHP, les autres textes pertinents qui constituent le droit électoral applicable en la matière à savoir, entre autres, les décisions du Conseil exécutif et de la Conférence des Chefs d’État et de gouvernement ainsi que les notes verbales du Bureau du Conseiller juridique. Voir SH Adjolohoun ‘A crisis of design and judicial practice? Curbing state disengagement from the African Court on Human and Peoples’ Rights’ (2020) 20(1) African Human Rights Law Journal 1-40. Ce document est disponible sur https://scielo.org.za/scielo.php?script=sci_arttext &pid=S1996-20962020000100002&lng=en&nrm=iso (consulté le 31 octobre 2024).
72. Certes, les magistrats, mais aussi, les professeurs d’universités, les avocats et les fonctionnaires internationaux etc.
73. JA Carillo-Salcedo ‘Quelle juge pour la nouvelle Cour européenne des droits de l’homme?’ (1997) 9 Revue Universelle des Droits de l’Homme 3.
74. Voir les procédures de sélection et de nomination des juges au sein de la CourEDH et de la Cour pénale internationale.
79. L’égalité des sexes est au cœur de la Cour au regard de la composition des juges. A date, sur les onze juges qui composent la Cour, il y a 5 femmes pour 6 hommes.
81. La Conférence des chefs d’États et de gouvernement de l’UA est l’organe suprême de prise de décision et de définition des politiques de l’UA. Elle est composée des chefs d’État et de gouvernement de tous les États membres. Son rôle est précisé à l’article 9 de l’acte constitutif de l’UA. Elle a, entre autres, la charge de définir les politiques de l’UA, fixer ses priorités, adopter son programme annuel et assurer le contrôle de la mise en œuvre de ses politiques et décisions.
82. Voir le document disponible sur https://www.amnesty.org/fr/wp-content/uploads/sites/8/2021/06/ior630012004fr.pdf (consulté le 31 octobre 2024).
83. Au sujet de l’Initiative d’Arusha, voir avec intérêt : https://www.chr.up.ac.za/images/centrenews/2024/French_Arusha_Initiative_Press_Statement_on_Ex perts_Identification_Campaign_1.pdf (consulté le 10 mars 2024).
84. Les ONGs parties ayant signé l’Initiative d’Arusha lors du lancement de la campagne sont : African Defenders, Centre for Human Rights - University of Pretoria, Centre for Rights Education and Awareness, Coalition for an Effective African Court on Human and People’s Rights, Defend Defenders, Initiative for Strategic Litigation in Africa, Institute for Human Rights and Development in Africa, International Service for Human Rights, Pan African Lawyers Union, Robert F. Kennedy Human Rights, Synergia - Initiatives for Human Rights, The Network of African National Human Rights Institutions.
85. Art 36 para 9(a) du Statut de Rome portant création de la Cour pénale internationale du 17 juillet 1998.
88. Il s’agissait des juges Fatsah Ouguergouz, Vasco Angelo Mwatusse, Gérard Niyungeko, El Hadji Guissé, Solomy Balungi Bossa, Augustino Ramadhani et Elsie Thompson.
89. Voir S Doumbe-Bille ‘La juridictionnalisation des droits de l’homme en Afrique : “much ado about nothing?”’ in L’homme dans la société internationale (2013) 702.
90. Voir Michelot Yogogombaye c. République du Sénégal (exception d’incompétence) arrêt du 15 décembre 2009 Requête 001/2008.
91. G Le Floch ‘La Cour: une juridiction à un tournant de sa jeune histoire’ in G Le Floch (dir) La Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (2023) 24.
92. À titre d’exemples, le Rwanda a introduit sa demande visant ce retrait le 24 février 2016, puis la Tanzanie le 14 novembre 2019, le Bénin le 24 mars 2020 et enfin la Côte d’Ivoire le 28 avril 2020. Voir TS Bidouzo ‘Le retrait de déclaration facultative de reconnaissance de compétence de la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples’ (2023) RDLF chron. n°29 ; K Kouame & EJ Tiehi ‘Le civexit ou le retrait par la Côte d’Ivoire de sa déclaration d’acceptation de la compétence de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples : un pas en avant, deux pas en arrière’ (2022) 21 in Revue des droits de l’homme ; CVN Kemkeng ‘La déclaration de l’article 34(6) du Protocole de Ouagadougou dans le système africain des droits de l’homme : entre régressions continentales et progressions régionales’ (2018) 2 Annuaire africain des droits de l’homme 179-199.
94. L’idée de fusionner ces deux Cours fut émise par les Chefs d’État et de Gouvernement de l’UA sur l’initiative de l’ex-président nigérian, Olusegun Obasanjo, lors du Sommet d’Addis Abeba en juillet 2004. Une idée qui a pris forme à travers l’adoption du Protocole de Sharm El-Sheikh le 1er juillet 2008, pour créer la Cour africaine de Justice et des droits de l’homme ; puis le Protocole de Malabo le 27 juin 2014 qui vise à élargir les compétences de cette unique cour à la matière pénale.
95. A Sylla ‘Les réformes du système judiciaire de l’Union africaine : enjeux juridico-institutionnels sur la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples’ (2022) 6 Annuaire africain des droits de l’homme 217.
96. L Burgogue-Larsen ‘La Cour africaine des droits de l’homme et des peuples au cœur des paradoxes’ in G Le Floch (dir) La Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (2023) 466.
97. Voir le document disponible sur https://www.amnesty.org/fr/wp-content/uploads/sites/8/2021/06/ior630012004fr.pdf, p 1 (consulté le 17 mars 2024).
99. Selon Gilbert Guillaume, la motivation vise une triple fonction qui est essentielle dans la légitimité et l’acceptabilité de la décision. Selon lui. La motivation des décisions ‘permet en premier lieu aux États de s’assurer que le juge, et tout simplement le juge international, est resté dans les limites de sa compétence. Elle tente en deuxième de convaincre la partie du bien-fondé de la décision prise et en particulier de la faire accepter par la partie qui a perdu le procès. Elle dégage en troisième lieu, à titre de sous-produit, des règles de droit qui pourront par la suite guider l’action des États, des juges et des arbitres’. Voir G Guillaume ‘Commentaire’ in H Ruiz Fabri & J-M Sorel (dir) La motivation des décisions des juridictions internationales (2008) 91.
100. Voir R Ben Achour et B Tchikaya opinion individuelle dans l’affaire Mulindahabi Fidèle c. Rwanda, (exceptions d’irrecevabilité) du 26 juin 2020 Requête n° 011/2017 para 2.