Patrick Badugue
 Magistrat, Cour d’appel du Sud-ouest Cameroun, Spécialiste des systèmes comparés de protection des droits de l’homme
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 Edition: AHRY Volume 2
  Pages: 72 - 88
 Citation: P Badugue ‘Perspective d’une fusion entre la Commission et la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples: quel scenario possible pour une unification du contentieux régional africain des droits de l’homme?’ (2018) 2 Annuaire africain des droits de l’homme 72-88 http://doi.org/10.29053/2523-1367/2018/v2n1a4
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RÉSUMÉ

Le système africain des droits de l’homme et des peuples connaitra très prochainement une mutation avec l’entrée en vigueur d’une nouvelle juridiction régionale, à savoir: la Cour africaine de justice et des droits de l’homme dont le Protocole a été adopté le 1 juillet 2008 en Egypte. Cette nouvelle entité, comme le produit de la fusion entre la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples et la Cour de justice de l’Union africaine, offre des éléments de curiosité qui suggèrent une interrogation pertinente sur la possibilité d’une fusion alternative. L’objet du propos s’attèle à intéresser sur le rôle actif de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, et son intimité statutaire avec la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, pour non seulement suggérer la possibilité d’une fusion entre elles, mais encore et dans l’intérêt d’une meilleure protection des droits de l’homme en Afrique, de présenter l’avantage comparatif d’un tel scénario sur le droit des recours individuels. Cette étude privilégiera l’exactitude archivable et recourra à la technique documentaire. Le matériau utilisé sera constitué par des décisions de justice, des rapports, des discours, des articles et des ouvrages. Le constructivisme apparait quant à lui comme le mieux à même de percevoir les logiques de construction d’un cadre juridictionnel à l’échelle africaine.

TITLE AND ABSTRACT IN ENGLISH:

Perspectives on the fusion of the African Commission and Court on Human and Peoples’ Rights: is unified regional human rights protection possible?

ABSTRACT: The African system of human and peoples’ rights may change in the near future with the possible entry into force of a new regional court, the African Court of Justice and Human Rights, of which the founding protocol was adopted on 1 July 2008 in Egypt. This new entity, which in essence would constitute the merger between the African Court on Human and Peoples’ Rights and the Court of Justice of the African Union, offers elements of interest that suggest pertinent questions about the possibility of an alternative merger. The purpose of this article is to focus on the active role of the African Commission on Human and Peoples’ Rights, and its statutory closeness with the African Court on Human and Peoples’ Rights, not only to suggest the possibility of a merger between them, but also and in the interest of better human rights protection in Africa, to present the comparative advantage of such a scenario over the right to individual remedies. This article focuses on archival accuracy and document technology. The material used will consist of court decisions, reports, speeches, articles and books. Constructivism, on the other hand, appears to be the most capable of perceiving the logics of building a jurisdictional framework at the African level.

MOTS CLÉS: Cour africaine des droits de l’homme et des peoples, Commission africaine des droits de l’homme et des peoples, fusion, droit des recours individuels

SOMMAIRE:

1 Introduction 

2 Eléments de l’intimité institutionnelle entre la Commission et la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples  

2.1 Les mouvements de la Commission vers la Cour  

2.2 Les mouvements de la Cour vers la Commission  

3 Eléments du scénario d’une fusion alternative entre la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples et la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples africaine des droits de l’homme et des peuples et la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples 

3.1 Le scénario d’une fusion en vue d’ouvrir le système régional africain à une question essentielle de procedure 

3.2 La nécessité de lever le verrou de l’article 34(6) du Protocole de la Cour 

4 Le scénario d’une fusion inspiré de l’expérience de justice internationale comparée internationale comparée  

5 Remarques conclusives  

1 INTRODUCTION

Le système africain de protection des droits de l’homme se dotera d’une nouvelle juridiction. En effet, l’adoption du Protocole du 1 juillet 20081 pose les termes de la fusion entre la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (Cour) et la Cour de Justice de l’Union africaine (CJ-UA) en 2004,2 en vue de la création de la Cour africaine de justice et des droits de l’homme.

Le contexte de cette fusion est doublement intriguant. Tout d’abord, la décision de fusionner les cours a été prise alors même que la Cour n’était pas encore fonctionnelle en raison du retard dans la tenue des élections de ses juges qui n’eurent pas lieu au mois de juillet 2004.3 Deuxièmement en 2004, la CJ-UA prévue par l’article 18 de la Charte de l’Union Africaine (UA) n’était pas encore entrée en vigueur.4 Il y a donc eu une décision sur la fusion de deux Cours à l’actif quasi-inexistant. Pourtant, une attention sur le rôle actif de la Commission Africaine des droits de l’homme et des peuples (Commission) aurait permis de questionner utilement la pertinence de l’approche d’une telle fusion, et pour cause, la mission de la Cour ne peut être comprise en dehors du rôle très actif de la Commission par lequel s’exerce un contrôle quasi-juridictionnel.5

Le rapport de complémentarité entre la Commission et la Cour est donné entre autres par l’article 2 du protocole relatif à la Charte africaine des droits de l’homme et des peoples (Charte or Charte de Banjul). D’après cette disposition, la Cour complète les fonctions de protection de la Commission. Ce lien de complémentarité est extra-ordinairement renforcé par le règlement intérieur de chacun des deux organes. En effet, il ressort de l’article 29 du règlement intérieur de la Cour, l’existence de concertation régulière sur la manière de gérer les instruments communs, et la méthode de travail. De même, si la Commission peut saisir la Cour, cette dernière peut solliciter l’avis de la Commission sur la recevabilité d’une requête par exemple. Elle peut aussi renvoyer une affaire à la Commission pour examen complet, ce, même pour des cas où elle n’a pas compétence. Selon l’article 118 du règlement intérieur de la Commission, la complémentarité renvoie à la possibilité, pour la Commission, de saisir la Cour du non-respect des décisions rendues par elle.

L’idée défendue est qu’il existe une complémentarité suggestive entre la Cour et la Commission susceptible de nourrir une réflexion sur les perspectives d’une fusion entre elles. Si l’intérêt de cette étude réside dans la possibilité de suggérer au premier plan une possibilité de créer une Cour susceptible d’une saisine directe par les individus, ou d’unifier les institutions régionales en vue d’une simplification des procédures, notre propos s’inspire d’une évolution similaire opérée dans le système européen de protection des droits de l’homme. Il s’agira d’étudier à la lumière du droit comparé, l’intimité du lien institutionnel, matériel et processuel entre la Cour et la Commission, avant d’examiner le scénario concret des atouts d’une fusion entre ces deux mécanismes.

2 ELÉMENTS DE L’INTIMITÉ INSTITUTIONNELLE ENTRE LA COMMISSION ET LA COUR AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES 

A l’observation, la relation que pose l’article 2 du protocole portant création de la Cour en termes de complémentarité interinstitutionnelle peut paraitre légère. Outre le Protocole, les règlements intérieurs de la Commission et de la Cour dévoilent un lien processuel quasi-fusionnel entre les mécanismes juridictionnel et quasi-juridictionnel respective-ment illustrés par la Cour et la Commission: la conclusion d’une imbrication des procédures devant ces deux institutions se décline en plusieurs moments.

2.1 Les mouvements de la Commission vers la Cour

Au sens de l’article 5 du Protocole,6 la Commission peut saisir la Cour. La lecture du règlement intérieur de la Commission met en évidence le fait que la saisine de la Cour vise globalement deux objectifs: il peut s’agir soit d’assurer en amont le respect de la ‘chose décidée’ par la Commission, soit de satisfaire des considérations d’opportunité juridique.

2.1.1 La saisine de la Cour en contentieux de l’exécution des décisions de la Commission: assurer le respect de la « chose décidée » par la Commission

La chose décidée dont nous expliquerons le contenu plus loin, est de deux ordres: Il peut s’agir soit d’une decision rendue par la Commission à l’issue d’une communication, soit d’une mesure conservatoire ordonnée par elle de sa propre initiative, ou à la demande de l’une des parties.

En cas de non-respect des recommandations

La Commission peut saisir la Cour d’une communication lorsqu’elle estime qu’un Etat partie refuse de se conformer à ses recomman-dations.

En effet, lorsqu’ une décision de la Commission a été rendue contre l’Etat défendeur, les parties informent la Commission, dans un délai de 180 jours à dater de la réception de la notification de publication de la décision, des mesures prises ou qui sont en train d’être prises par l’Etat défendeur en vue de l’exécution de la décision. Dans un délai de 90 jours suivant la réponse écrite de l’Etat, la Commission peut l’inviter à soumettre des informations supplémentaires. Si la Commission ne reçoit toutefois pas de réponse de la part de l’Etat, elle peut lui envoyer une lettre de rappel dans les 90 jours.7 Si elle estime que l’Etat n’a pas la volonté de mettre en œuvre sa décision, elle pourra saisir la Cour. Le procédé semble logique dans la mesure où, la Commission rend des recommandations non obligatoires pour les parties. En saisissant la Cour du non-respect des ses recommandations, la Commission entend bénéficier de la force obligatoire des arrêts de la Cour.8

En cas de non-exécution des mesures conservatoires

Lorsqu’un Etat ne s’est pas conformé à une mesure conservatoire ordonnée par la Commission, celle-ci peut saisir la Cour de la communication et informer les parties à cet effet. Le recours aux mesures conservatoires est répandu au sein des juridictions internationales ainsi que le démontrent les articles 41 du Statut de la Cour internationale de justice, 39 du Règlement intérieur de la Cour européenne des droits de l’homme, 86 du règlement du Comité des droits de l’homme, et 51 du Règlement Intérieur Intérimaire de la Cour. 

L’article 98 du Règlement intérieur de la Commission donne à la Commission la latitude d’indiquer à un Etat partie les mesures conservatoires à tout stade de la procédure. Ces mesures conservatoires peuvent être demandées à l’initiative de la Commission, ou à celle de l’une des parties. Elles doivent être adoptées par l’Etat concerné afin d’éviter qu’un préjudice irréparable ne soit causé aux victimes des violations alléguées. Ces mesures visent à ce que les droits des différentes parties ne soient compromis durant le procès. Par lettre ACHPR/GOV/COMM/3/RK du 15 juillet 2004, la présidente de la Commission africaine avait envoyé au Président de la République du Cameroun M Paul BIYA, une demande urgente de mesures conservatoires tendant à ce que le matériel de la Radio Freedom FM ne subisse pas des dommages irreparables.9

La Commission rend des recommandations qui n’ont pas la force obligatoire attachée aux arrêts de la Cour. La faible autorité de la ‘chose simplement recommandée ou décidée’ est liée à son statut de quasi-juridiction ou de presque-juridiction, et l’exécution de ses décisions est largement tributaire de la seule volonté des Etats. La Commission compense ce manque par le recours à la Cour, dont les arrêts bénéficient d’un halo plus important. Il y a là une forme de complémentarité fort édifiante dans la mesure où, en vertu des dispositions de l’article 118(1) et (2) du Règlement intérieur de la Commission, la Cour est investie de la compétence en matière du contentieux de l’exécution des décisions de la Commission lorsqu’elle est saisie par cette dernière.

2.1.2 La saisine de la Cour pour toute considération d’opportunité juridique jugée nécessaire par la Commission

La saisine de la Cour est un exercice normal dans le fonctionnement de la Commission en tant qu’elle a qualité pour être partie devant la Cour.10 Elle a donc vocation à saisir la Cour d’un éventail d’objets plus large que celui étudié plus haut.

La Commission comme un justiciable naturel de la Cour

La Commission peut traduire un Etat qui a ratifié le Protocole de la Cour. Elle ne peut le faire qu’à cette seule condition, et avec la singularité de pouvoir l’effectuer à tout moment de l’examen d’une communication. « La Commission peut saisir la Cour à tout moment de l’examen d’une communication, si elle le juge nécessaire ».11 La détermination de l’opportunité juridique de cette saisine relève de la seule Commission, qui a là, le prétexte d’un recours systématique de la Cour. La Commission lui adresse à cet effet une demande accompagnée du résumé de la communication, des éléments de preuves, des documents relatifs à toute tentative visant à assurer un règlement à l’amiable, ainsi que de la décision de la Commission. La Cour dispose toutefois de la faculté d’en examiner la recevabilité. Cette fluidité processuelle apparait donc à la lecture du texte. Nous verrons plus loin qu’un certain jeu de ping-pong, ou un effet boomerang est rendu possible dans la mesure où la Cour peut elle aussi renvoyer des affaires devant la Commission.

En cas de violations graves et massives des droits de l’homme

D’après l’article 118(4) du Règlement intérieur de la Commission, « s’il est porté à son attention une situation, qui à son avis constitue une violation grave ou massive des droits de l’homme » la Commission peut saisir la Cour. La Commission peut recourir à ce mécanisme même en dehors de toute communication, notamment en cas de simple renseignement. En tout état de cause, la Commission observe deux attitudes:12

  • une première obligatoire, en vertu de laquelle elle doit porter la question à l’attention de la Conférence et du Conseil de paix et de Sécurité de l’Union Africaine;
  • une seconde facultative, selon laquelle elle peut aussi soumettre à la Cour cette question.

Par requête du 3 mars 2011,13 la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples avait intenté une action contre la Grande jamahiriya arabe libyenne populaire et socialiste en alléguant des violations graves et massives des droits de l’homme. Elle dénonçait en l’occurrence la répression par les forces de sécurité, les arrestations et détentions abusives des manifestants, ainsi que l’usage excessif d’armes lourdes contre la population constitutifs des violations des articles 1, 2, 4, 5, 9, 11, 12, 13 et 23 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples. L’affaire a été rayée du rôle, la Cour ayant estimé que la Commission n’avait pas cherché à faire aboutir sa requête en s’abstenant de produire sa réplique et en usant de manœuvres dilatoires.

La Commission est statutairement liée à la Cour. Toute la mesure de ce lien réside davantage dans la réalité d’une inter-complémentarité. En effet, si l’article 2 du Protocole portant création de la Cour fait observer que la mission de la Cour est de compléter les fonctions de protection confiées à la Commission par la Charte de Banjul, il est plus question d’une interdépendance fonctionnelle à l’image d’un échange de bons procédés. Comme nous le verrons, la Cour a besoin de la Commission pour fonctionner.

2.2 Les mouvements de la Cour vers la Commission

Dans le cadre du mécanisme régional de protection des droits de l’Homme, les procédures engagées devant la Cour peuvent se terminer devant la Commission, notamment par le mécanisme du renvoi. La Commission peut également être sollicitée comme une instance de conseil juridique de la Cour.

2.2.1 Le renvoi par la Cour des affaires devant la Commission 

« La Cour peut connaitre des requêtes ou les renvoyer devant la Commission ».14 Le contenu de l’article 6 du Protocole porte sur la recevabilité des requêtes, et peut laisser penser que le renvoi d’une affaire devant la Commission est une sanction à l’irrecevabilité de la requête devant la Cour. La Cour l’a souvent utilisé lorsqu’au terme de l’examen sur la recevabilité, elle s’est déclarée incompétente.15

Le 20 février 2011,16 Soufiane Ababou a saisi la Cour afin de dénoncer son incorporation forcée au sein de l’armée algérienne. Après avoir constaté auprès de la Commission de l’Union africaine que l’Algérie n’avait pas encore déposé la déclaration autorisant la Cour à connaitre de la saisine directe d’un individu, la Cour s’est déclarée incompétente pour connaitre de la requête introduite par Soufiane Ababou. Elle a par ailleurs renvoyé l’affaire devant la Commission conformément à l’article 6(3) du Protocole portant création de la Cour.

Le 21 janvier 2011,17 Daniel Amare et Mulugeta Amare ont saisi la Cour et sollicité que l’Union Africaine prenne les mesures nécessaires afin que Mozambique Airlines et les agents de l’immigration du Mozambique remboursent l’argent dont ils avaient été dépouillés. La requête émanant des individus, la Cour a vérifié auprès de la Commission de l’Union Africaine que le Mozambique ne faisait pas partie des Etats qui ont déposé la déclaration autorisant la Cour à recevoir les requêtes des individus. En consequence, elle s’est déclarée incompétente, et a renvoyé l’affaire devant la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples en vertu de l’article 6(3) du protocole.

2.2.2 La Commission comme instance de consultation juridique

La Commission joue pour la Cour, le rôle de véritable conseil juridique. En effet, la Cour peut solliciter l’avis de la Commission sur la recevabilité des requêtes.18 Il s’agit d’une faculté laissée à la Cour, qui peut ainsi tirer profit de l’éclairage de la Commission avant de se prononcer elle-même sur la recevabilité.19 A l’origine d’une telle consultation, il y a le fait que tout d’abord, la Cour statue sur la recevabilité des requêtes en se fondant sur l’article 56 de la Charte de Banjul qui définit également les conditions de recevabilité des communications devant la Commission. Ensuite et enfin, en raison de son important encrage historique et de son dynamisme, la Commission dispose d’un véritable répertoire juridique de cas. Rien d’étonnant à cela, car la Cour a été créée et les élections de ses juges ont eu lieu en 2006 soit 19 ans après que la Commission soit entrée en fonctionnement. De plus, la Commission réalise une moyenne 223 décisions20 en 31 années soit environ 7 décisions par an. Ces données expliquent assez largement le dynamisme de la Commission aux côtés d’une Cour qui, entre 2008 et 2018, compte 56 affaires finalisées, soit environ 6 affaires par année.21 Entre 2008 et 2016 encore, il fallait compter à peine 35 décisions et arrêts soit une moyenne de 4 décisions et arrêts par année.22

Par ailleurs, dès sa première décision au fond déjà, la Cour se positionnait dans la continuité des acquis jurisprudentiels de la Commission dont elle n’a pas manqué de s’inspirer: tel fut l’observation de la doctrine au lendemain de l’arrêt du 14 juin 2013 rendu dans les affaires jointes Tangayika Law Society & the Legal and Human Rights Centre c. Tanzanie, et Révérend Christopher R. Mtikila c. Tanzanie.23 C’est aussi le cas par exemple de la jurisprudence constante de la Commission sur l’interprétation de l’article 56(6) de la Charte de Banjul24 qui chiffre à six mois le délai raisonnable pour l’introduction des communications devant la Commission depuis l’épuisement des voies de recours internes. Ce délai qui est le même suivi devant la Cour européenne des droits de l’homme, est également repris par la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples dans l’examen de la recevabilité des requêtes. Pour autant, la Cour ne manque pas d’autonomie dans la construction de son raisonnement.

En outre, le lien fusionnel entre les deux institutions est également consacré par l’existence de sessions de consultations annuelles avec la Cour. En effet, le Bureau de la Commission et celui de la Cour se rencontrent aussi souvent que nécessaire pour échanger sur toutes les fonctions qui leurs sont assignées. Il y a là un besoin d’assurer une production cohérente et harmonieuse de la norme dans le contentieux des droits de l’homme à l’échelle régionale. L’on retrouve ce même dessein dans les cas de litispendance. Les articles 123 du Règlement intérieur de la Commission et 40(7) du Règlement intérimaire de la Cour, sanctionnent d’irrecevabilité, les communications/requêtes dont elles seraient saisies et qui auraient été au préalable introduites devant l’une d’entre elles.

La Commission serait donc pour la Cour, une instance de consultation juridique. Cette réalité s’inscrit dans le mode normal de fonctionnement de la Cour qui peut, au titre de son Règlement intérieur,25 consulter la Commission chaque fois que de besoin, sur toute question de procédure tenant aux rapports entre les deux institutions. Toutefois, l’intérêt de la mise en évidence de cette relation tient à la suggestion d’une alternative qui aurait privilégié, à la fusion actuelle entre la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples et de la Cour de Justice de l’Union africaine, celle de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples avec la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples. Bien plus, il s’agit d’inciter à une réforme du Protocole portant création de la Cour africaine de justice et des droits de l’homme en cours de ratification, en vue de reconsidérer certaines possibilités processuelles.

3 ELÉMENTS DU SCÉNARIO D’UNE FUSION ALTERNATIVE ENTRE LA COMMISSION AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES ET LA COUR AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES

La fusion que nous suggérons serait une alternative au schéma actuellement suivi, qui est consacré par l’adoption du Protocole portant création de la Cour africaine de Justice et des droits de l’homme le 1 juillet 2008, comme le résultat de la fusion de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples et de la Cour de Justice de l’Union Africaine. Nous pensons que, compte tenu de l’intimité institutionnelle qui existe entre la Commission et la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, il aurait été plus intéressant de fusionner ces deux instances. Cette option encore envisageable s’inspirerait à la fois d’un précédent historique autant que d’une certaine leçon tirée de l’étude du droit processuel de la Cour et de la Commission.

3.1 Le scénario d’une fusion en vue d’ouvrir le système régional africain à une question essentielle de procédure

Il serait souhaitable de faire un état des lieux pour éviter de brider la réflexion.

Le droit aux recours individuels devant la Cour régionale: l’état des lieux

La fusion de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples avec la Commission tient à la capitalisation d’un avantage comparatif. Nous pensons précisément au scénario de la création d’une Cour régionale permettant un recours individuel direct et inconditionnel. Autrement dit, une juridiction offrant la possibilité de saisine directe pour les personnes physiques et les ONG. Sous réserve de certaines conditions, la Commission peut être directement saisie par les personnes physiques et les personnes morales.26 En plus du respect des dispositions de l’article 56 de la Charte africaine - auquel renvoie l’article 6(2) du Protocole du 10 juin 1998 sur la Cour27 - le Protocole ajoute une condition de taille:28

Les communications visées à l’article 55 reçues à la Commission et relatives aux droits de l’homme et des peuples doivent nécessairement, pour être examinées, remplir les conditions ci-après: (1) Indiquer l’identité de leur auteur même si celui-ci demande à la Commission de garder l’anonymat; (2) Être compatibles avec la Charte de l’Organisation de l’unité africaine ou avec la présente Charte; (3) Ne pas contenir des termes outrageants ou insultants à l’égard de l’État mis en cause, de ses institutions ou de l’OUA; (4) Ne pas se limiter à rassembler exclusivement des nouvelles diffusées par des moyens de communication de masse; (5) Etre postérieures à l’épuisement des recours internes s’ils existent, à moins qu’il ne soit manifeste à la Commission que la procédure de ces recours se prolonge d’une façon anormale; (6) Etre introduites dans un délai raisonnable courant depuis l’épuisement des recours internes ou depuis la date retenue par la Commission comme faisant commencer à courir le délai de sa propre saisine; (7) Ne pas concerner des cas qui ont été réglés conformément soit aux principes de la Charte des Nations unies, soit de la Charte de l’Organisation de l’unité africaine et soit des dispositions de la présente Charte.

Comme une véritable embuscade au droit des recours individuels, l’article 34(6) du Protocole subordonne la recevabilité des recours individuels au depôt par l’Etat, d’une déclaration d’acceptation de la compétence de la Cour à recevoir ces types de recours: 29

A tout moment, à partir de la ratification du présent Protocole, l’État doit faire une déclaration acceptant la compétence de la Cour pour recevoir les requêtes énoncées à l’article 5(3) du présent Protocole. La Cour ne reçoit aucune requête en application de l’article 5(3) intéressant un État partie qui n’a pas fait une telle declaration.

Il s’agit, selon les termes de l’article 5(3) du Protocole, des requêtes formulées par les individus personnes physiques, ainsi que celles des ONG ayant le statut d’observateur auprès de la Commission.

De fait, c’est moins la réalité de cette évidence connue et consolidée, que la reconduction de ce verrou dans la structure processuelle de la Cour à venir qui inquiète. En effet, dans sa première version du 1 juillet 2008, l’article 30(f) du Protocole portant statut de la Cour africaine de justice et des droits de l’homme accordait une saisine directe « des personnes physiques et des ONG accréditées auprès de l’Union ou de ses organes ou ses institutions ». En mai 2012, lors de la réunion des experts gouvernementaux et des Ministres de la justice/Procureur généraux sur le projet de Protocole sur les amendements au Protocole relatif au statut de la Cour africaine de justice et des droits de l’homme, l’article 30(f) a été supprimé, et la version originale du 1 juillet 2008 a été reconduite. Cette disposition sera validée lors du tout dernier amendement du 27 juin 2014 qui consacrera également l’extension de compétence de la nouvelle Cour au droit international pénal.

Toutefois, si les communications devant la Commission présentent des cas de violations massives et graves des droits de l’homme, celle-ci doit obligatoirement en saisir la Conférence et le Conseil de Paix et de Sécurité de l’Union Africaine, et peut aussi saisir la Cour. Dans cette hypothèse, les individus et ONG concernés pourront devenir des parties à la procédure portée par la Commission devant la Cour. Il pourra s’agir également pour la Commission de porter devant la Cour, un cas d’inexécution d’une décision ou d’une mesure provisoire qu’elle a ordonnée dans le cadre d’une communication déposée par un individu ou une ONG ayant le statut d’observateur. Ce moyen permet de contourner l’obstacle de la déclaration prévue à l’article 34(6) du Protocole de la Cour. Dans le système interaméricain de protection des droits de l’homme, les particuliers n’ont pas de jus standi, c’est-à-dire qu’ils n’ont pas la capacité de saisir la Cour ou d’être partie à une procédure devant elle. Cependant, nonobstant l’impossibilité d’un accès direct telle que mentionnée à l’article 61 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme, la Cour peut connaitre de la requête d’un particulier lorsque celle-ci est portée devant la Cour par la Commission interaméricaine des droits de l’homme. Il n’est donc pas possible pour un individu de saisir directement la Cour interaméricain des droits de l’homme, et les particuliers doivent d’abord déposer une plainte auprès de la Commission qui se prononcera sur la recevabilité. La Commission présentera généralement une liste de recomman-dations et une proposition d’amende à l’encontre de l’État concerné après examen de l’affaire au fond. L’affaire sera renvoyée devant la Cour uniquement si l’État ne respecte pas ces recommandations,30 ou si la Commission décide que l’affaire est d’une importance particulière ou qu’elle revêt un intérêt juridique spécifique.

Il ne s’agit cependant que d’une saisine par institution interposée, et comme nous l’avons vu en l’état de son processus de ratification, les recours individuels devant la Cour africaine de justice et des droits de l’homme seront, au même titre que devant la Cour, subordonnés à la déclaration d’acception de l’Etat autorisant une telle compétence de la Cour.

3.2 La nécessité de lever le verrou de l’article 34(6) du Protocole de la Cour

Régression ou continuité pathogène, l’on ne peut manquer de relever que le changement opéré dans l’écriture de l’article 30(f) entre 2008 et 2014, témoigne de l’existence d’un débat au sein des Etats sur la possibilité d’une saisine directe de l’Etat par les requérants indviduels. La réflexion en la matière n’est donc pas loin d’avoir un intérêt actuel et pratique. L’obstacle à la saisine direct aurait été aisément surmonté si la fusion avait su tiré l’avantage comparatif que propose la Commission. Eriger l’article 34(6) du Protocole en disposition pertinente a un effet réducteur sur l’efficacité du contentieux, et pour cause, il n’est rien de surprenant que l’Etat soit logiquement le défendeur naturel dans le cadre d’un procès devant dans la mesure où il est le principal destinataire du droit international des droits de l’homme.

De plus, les statistiques entretenues par l’actuelle Cour africaine des droits de l’homme et des peuples font observer que les recours individuels constituent 96,11% des cas de saisine contentieuse de la Cour soit exactement: 165 requêtes déposées par les individus personnes physiques, 12 requêtes déposées par les ONG et 3 requêtes déposées par la Commission.31

Si l’on considère en outre que seuls sept Etats africains ont fait la déclaration d’acceptation des recours individuels,32 le contentieux devant l’actuelle Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples est limité à ces quelques Etats et l’assiette du contrôle contentieux de protection des droits de l’homme devant la Cour est réduite à une portion d’Etats. On note que les quinze premières affaires devant elles ont été declarées irrecevables, la Cour étant inapte à assurer la protection des droits de l’homme face à des Etats réticents à l’idée de voir engager leur responsabilité.

On peut regretter qu’à l’occasion de l’une des rares affaires pour lesquelles l’Union Africaine ait été conviées en vue d’amender la Charte de Banjul sur l’article 34(6), la Cour n’a pas saisi l’opportunité de formuler un obiter dictum. Cela aurait eu le mérite de relever l’incongruité de cette disposition, au lieu de se limiter à simplement expliquer le contenu de cette disposition, au lieu de se limiter à simplement expliquer le contenu de cette disposition.

Le 14 février 2011, l’avocat nigérian Femi Falana33 a attrait l’Union africaine devant la Cour et sollicité l’annulation de l’article 34(6) du Protocole de la Cour, en raison de son incompatibilité à la Charte de Banjul. En effet, le Nigéria n’ayant pas fait la déclaration autorisant la Cour à recevoir des requêtes individuelles, M Femi Falana n’a pu efficacement dénoncer devant la Cour, la violation par le Nigéria des droits de ses clients. Aussi, il a soutenu qu’en subordonnant la saisine directe de la Cour à la déclaration préalable de l’Etat en cause, l’article 34(6) violait l’obligation de non-discrimination, heurtait l’égalité devant la loi et portrait atteinte au droit à ce que sa cause soit entendue. Pour le requérant, l’Union Africaine était l’institution qui avait adopté et publié la Charte de Banjul et le Protocole dont la disposition se trouvait querellée. Pour sa part, l’Union africaine a fait valoir globalement qu’elle ne pouvait répondre des engagements pris par ses Etats membres, lesquels disposaient en outre du pouvoir de ratification.

Par ailleurs, le défendeur a ajouté que seuls les Etats membres ont la responsabilité d’assurer les obligations qui découlent de leurs engagements, et qu’ils disposent d’autre part du droit souverain de faire ou non la déclaration autorisant la Cour à recevoir les requêtes individuelles. Faisant droit au défendeur, la Cour a observé dans son arrêt du 26 juin 2012 que si dans la pratique, l’adoption des traités est formellement le fait de la Conférence des Chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union, leur signature et leur ratification relèvent de la prérogative des Etats membres.

De plus, la Cour a affirmé que l’Union africaine est une personne morale ayant de ce fait une personnalité juridique distincte de ses Etats membres, et ne saurait par conséquent répondre des obligations d’un traité auquel elle n’est pas partie, en l’occurrence la Charte de Banjul, son Acte constitutif, ainsi que le Protocole portant création de la Cour. Enfin, la Cour a conclut qu’une requête individuelle n’est recevable que si elle est tournée contre un Etat, et à la condition que celui-ci ait fait la déclaration autorisant ce mode de saisine. Elle s’est déclarée incompétente pour connaitre de la requête introduite par M Femi Falana.

Une fusion entre la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples et de la Commission aurait eu certainement le mérite de permettre la saisine directe et inconditionnelle des individus. L’expérience européenne d’unicité institutionnelle au profit d’une Cour européenne permanente et permettant une saisine individuelle en toute égalité avec les Etats, mériterait d’être évoquée.

4 LE SCÉNARIO D’UNE FUSION INSPIRÉ DE L’EXPÉRIENCE DE JUSTICE INTERNATIONALE COMPARÉE

L’expérience dont nous nous inspirons est celle de la Cour européenne des droits de l’homme (Cour européenne). La fusion de la Commission européenne et de la Cour européenne des droits de l’homme, a accouché au bénéfice de la seconde d’un avantage comparatif: la possibilité de saisine directe de la Cour par les individus. Il s’agit d’une des originalités de cette Cour, car le recours individuel direct devant la Cour régionale n’est admis ni dans le système interaméricain, ni dans le système africain de protection des droits de l’homme. Pour sa part, le comité des juristes chargé de libeller le statut de la Cour internationale de Justice, et avant elle, celui de la Cour permanente de justice internationale, l’avait définitivement écarté au motif très controversé que les individus n’étaient pas des sujets de droit international.34

La faculté pour les individus de saisir la Cour européenne a été évoquée en mai 1948 lors du Congrès européen. Cependant, cette proposition avait été rejetée au motif que les individus disposaient déjà d’une tribune pour la défense de leurs droits à savoir: la Commission Européenne et les Etats. En effet la Commission, alors organe de contrôle du respect de la Convention européenne au même titre que la Commission dans le système africain, avait compétence pour connaitre à l’initiative des plaintes des individus et des Etats, des manquements à la convention. Ce n’est qu’en 1998 que cette faculté a été rendue possible.

Les travaux du juge Ireneu Cabral Barreto sur les droits de recours individuel devant la Cour, distinguent trois étapes dans cette evolution.35 Ainsi, avant janvier 1983, la Commission avait la possibilité, une fois une requête déclarée recevable, d’émettre un avis sur le fond de l’affaire, puis de l’envoyer au Comité des ministres ou à la Cour pour la décision finale. Si elle se décidait en faveur d’une saisine de la Cour, ce qui était en principe le cas pour les affaires plus complexes, la Commission ne se présentait pas en tant que partie litigieuse. L’adversaire réel de l’État, à savoir l’individu, devait être présent pour que le principe du contradictoire soit assuré et pour être convaincu du respect du principe d’une bonne administration de la justice.

À partir du 1 janvier 1983, avec le nouveau Règlement de la Cour, le requérant a obtenu une position autonome dans la procédure, se présentant en rapport direct avec la Cour, sans le besoin de la médiation de la Commission. Le Président pouvait autoriser le requérant à défendre lui-même sa position, si nécessaire par l’intermédiaire d’un avocat ou de toute autre personne acceptée par le Président. Cette modification faisait en sorte que l’intervention de la Cour restait toujours cantonnée à la demande de la Commission et des États. L’individu avait cependant acquis un locus standi qui donnait à la procédure un caractère vraiment contradictoire.

Le Protocole 9, entré en vigueur le 1er octobre 1994, a ouvert au requérant individuel ayant saisi la Commission le droit de saisir la Cour, mais pas encore celui d’obtenir de la Cour un examen au fond de son affaire. La saisine de la Cour était médiatisée par l’intervention d’un comité, constitué au sein de la Cour, chargé de filtrer les affaires et qui pouvait décider, à l’unanimité, de ne pas déférer l’affaire à la Cour et de le transférer au Comité des ministres.

C’est à la faveur de l’entrée en vigueur du Protocole 11, le 1 novembre 1998 que les individus se sont définitivement vu reconnaitre le bénéfice d’une saisine directe de la Cour en toute égalité avec les Etats:36 la Commission ayant par ce fait même fusionné avec la Cour, cette dernière devient un organe permanent et dispose désormais de la compétence exclusive pour statuer sur une éventuelle violation de la Convention et de ses protocols.37

D’un système à trois comprenant la Cour, la Commission et le Comité des ministres, a succédé le projet de fusion de la Commission et de la Cour qui a conduit à une judiciarisation totale du contentieux européen des droits de l’homme.

Bien qu’il ne suffise pas simplement d’évoquer une expérience extérieure pour justifier la reproduction d’un schéma semblable, il importe de relever qu’au cœur de la fusion, ont été obtenus de nombreux avantages. Celui qui nous intéresse tient à l’ouverture des recours individuels direct. Il présente l’avanatge de l’extension de la compétence personnelle qui s’étend au-delà des requêtes étatiques pour embrasser à la fois les personnes physiques et toute organisation non gouvernementale à la condition d’être victime, c’est-à-dire qu’il existe un lien direct entre le requérant individuel et la violation alléguée.38 On peut discuter du bien-fondé de cette condition même extensive de la qualité de victime, qui est au demeurant absente devant la Commission Africaine, laquelle connait en la matière d’une veritable actio popularis adaptée à la condition des victimes ne disposant pas toujours de possibilités matérielles et physiques de saisir la Cour et d’y assurer la défense de leurs droits.

Par ailleurs, du fait de cette extension de son champ personnel de compétence, la Cour européenne des droits de l’Homme a connu une augmentation significative des requêtes qui posent entre autres le problème le délai de traitement des affaires. La doctrine fait état d’une croissance exponentielle du nombre de requêtes, et même d’une crise institutionnelle.39 Cependant, si l’argument de la saturation du prétoire peut valoir dans le contexte européen, on est très loin en Afrique du quota d’efficacité de la Cour de Strasbourg dont les statistiques affichent des scores au dessus de ceux réalisés dans notre contexte à l’échelle continentale. Une moyenne d’environ 900 décisions chaque année soit: 888(2001); 844(2002); 703 (2003); 718(2004); 1105 (2005); 1560(2006); 1503(2007); 1543(2008); 1625 (2009); 1499(2010); 1157(2011); 1093(2012); 916(2013); 891 (2014); 823(2015); 993(2016).40 Ce contre 45 affaires finalisées en a peu près 12 ans pour la Cour africaine, et 113 décisions rendues par la Commission en à peu près 20 ans. Il serait donc difficile dans notre contexte d’évoquer le risque d’une crise de la saisine dans le contexte africain.

 5 REMARQUES CONCLUSIVES

La Cour africaine des droits de l’homme et des peuples entretien avec la Commission des droits de l’homme et des peuples une complémentarité hautement suggestive qui n’a pu échapper aux rédacteurs du projet de fusion qui a été adopté le 1 juillet 2008, et qui crée la nouvelle Cour Africaine de Justice et des droits de l’homme. S’il apparait depuis l’entame de notre analyse que le contexte de la fusion est problématique car il met à contribution deux Cours à l’actif inexistant (la Cour et la Cour de justice de l’Union africaine) au moment de l’adoption du texte, c’est l’avantage comparatif négligé auquel se rapporte la fusion suggérée entre la Cour et la Commission qui nous importe. Cet avantage porte sur la leveé du verrou de l’article 34(6) du Protocole portant création de la Cour Africaine, qui a été reconduit à l’article 30(f) du Protocole du 1er juillet 2008 dans sa version du 27 juin 2014. Proposer le saut qualitatif vers une Cour qui permet une meilleure protection des droits de l’homme en ouvrant la possibilité des recours individuels plus souples, est au cœur de notre pensée. Il apparait presque incontestable d’arriver à cette conclusion au regard du lien statutaire entretenu par les textes fondateurs de la Commission et de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples. Il apparait possible d’écrire et de valider cette option au regard des progrès réalisés en la matière dans la trajectoire historique de la Cour européenne, et même à l’intérieur du système africain par les progrès réalisés au sein des Communautés economiques régionales. L’on ne peut manquer de relever que c’est l’arrêt Olajide Afolabi c. République Fédérale du Nigéria. Cet arrêt a mis en évidence la nécessité de reconnaitre un droit de saisine individuelle de la Cour de Justice de la CEDEAO. Celle-ci a depuis 2005 la compétence de connaitre des requêtes individuelles. Il importe donc de reconsidérer les termes du Protocole du 1 juillet 2008, et de questionner utilement l’apport des actifs de la Commission sur la question, en faveur d’une meilleure protection des droits de l’homme en Afrique.

 


1. Protocole portant statut de la Cour Africaine de Justice et des droits de l’homme adopté le Charm el-Cheikh en Égypte du 1er juillet 2008 (Protocole), http://fr.african-court.org (consulté le 18 Juin 2018).

2. Décidée à l’aune de la troisième session ordinaire de la Conférence de l’Union tenue à Addis-Abeba du 6 au 8 juillet 2004.

3. Elles eurent lieu plutôt en janvier 2006 à Khartoum au Soudan. Les premiers juges ont prêté serment en juillet 2006 lors du sommet de l’Union africaine à Banjul, en Gambie et pour cause, la note verbale de la Commission invitant les Etats à présenter des candidatures au poste de juge de la Cour leur a été adressée 71 jours après l’entrée en vigueur du protocole soit le 5 avril 2004 contrairement aux termes de l’article 13(1).

4. F Ouguergouz ‘La Cour africaine des droits de l’homme et des peuples - Gros plan sur le premier organe judiciaire africain à vocation continentale’ (2006) 52 Annuaire français de droit international 213.

5. Des données font état 218 affaires enregistrées devant la Commission contre 28 devant la Cour, www.caselaw.ihrda.org (consulté le 21 octobre 2014).

6. Art 5(1)(a) du Protocole.

7. Art 112 du Règlement intérieur de la Commission.

8. Art 61 du Règlement intérieur intérimaire de la Cour.

9. Communication 290/04, Open Society Justice Initiative c Cameroun, 39e Session ordinaire, http://caselaw.ihrda.org/fr/doc/290.04 (consulté le 15 août 2018).

10. Pretoria University Press Recueil de documents clés de l’Union africaine relatifs aux droits de l’homme (2013) 44.

11. Art 118(4) du Règlement intérieur de la Commission.

12. Arts 83 et 118(3) du Règlement intérieur de la Cour.

13. Cour africaine des droits de l’homme et des peoples, Requête n°004/2011, Commission africaine des droits de l’homme et des peuples c. Grande Jamahiriya Arabe Libyenne Populaire et Socialiste, Décision du 15 mars 2013, http://fr.african-court.org (consulté le 18 Juin 2018).

14. Art 6(3) du Protocole.

15. Cour africaine, Requête 8/2011, Ekollo Moundi Alexendre c. République du Cameroun et République Fédérale du Nigéria, Arrêt du 23 septembre 2011, http://fr.african-court.org (consulté le 18 Juin 2018); Cour africaine des droits de l’homme et des peoples, Requête 6/2011, Association Juristes d’Afrique pour la Bonne Gouvernance c. République de Côte d’Ivoire, Arrêt du 16 juin 2011, http://fr.african-court.org (consulté le 18 juin 2018).

16. Cour africaine, Requête 2/2011, Soufiane Ababou c. République Algérienne Démocratique et Populaire, Arrêt du 16 juin 2011, http://fr.african-court.org (consulté le 18 juin 2018).

17. Cour africaine, Requête 5/2011, Daniel Amare & Mulugeta Amare c. République Du Mozambique & Mozambique Airlines, Arrêt du 16 juin 2011, http://fr.african-court.org (consulté le 18 Juin 2018).

18. Art 29(2) du Règlement intérieur intérimaire de la Cour.

19. Art 6(2) du Protocole.

20. Soit 96 sur le fond, 9 radiées pour défaut de diligence, 1 rejetée à la saisine, 1 examen suspendu sine die, 2 dossiers classés, 4 retraits de plaintes, 3 mesures provisoires, 1 règlement à l’amiable, 99 déclarées irrecevables, 7 radiées. Statistiques disponibles sur http://www.achpr.org/fr/communications/ (consulté le 15 juillet 2018).

21. http://fr.african-court.org/index.php/affaires/affaires-contentieuses#affaires-finalisées (consulté le 15 juillet 2018).

22. S Hanffou Nana La Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, Etudes à la lumière de l’expérience européenne (2016) 509.

23. AD Olinga ‘La première décision au fond de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples’ (2014) 6 La revue des droits de l’homme 33.

24. Art 56(6) de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples: ‘[les communications doivent nécessairement] Etre introduites dans un délai raisonnable courant depuis l’épuisement des recours internes ou depuis la date retenue par la Commission comme faisant commencer à courir le délai de sa propre saisine’.

25. Art 29(4) du Règlement intérieur de la Cour.

26. Art 56 de la Charte de Banjul  et articles 93 et suivants du Règlement intérieur de la Commission.

27. Art 6(3) du Protocole: ‘La Cour statue sur la recevabilité des requêtes en tenant compte des dispositions énoncées à l’article 56 de la Charte’.

28. Art 26 de la Charte de Banjul.

29. Art 34(6) du Protocole.

30. Art 51 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme (CADH).

31. Statistiques disponibles sur www.african-court.org (consulté le 14 août 2018).

32. Amnesty International Protocole de Malabo, Incidences juridiques et institution-nelles de la Cour Africaine issue d’une fusion et à compétence élargie (2016) 64.

33. Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, Requête 1/2011 Femi Falana c. Union africaine, Arrêt du 26 juin 2012, http://fr.african-court.org (consulté le 18 Juin 2018).

34. A Cançado Trindade El acceso directo delindividuo a los Tribunales Inter-nacionales de rechos humanos (2001) 31.

35. I C Barreto ‘Droit de recours individuel devant la Cour européenne des droits de l’homme’ (2002) 15 Revue québécoise de droit international 24.

36. Art 34 de la Convention européenne de sauvegarde des droits fondamentaux.

37. L’idée de la fusion de la Commission et de la Cour et de la création d’un organe unique et permanent qui réunissait les compétences des deux a été invoquée au niveau politique pour la première fois pendant la Conférence ministérielle de Vienne, en mars 1985.

38. Comm. eur. DH, 5 fév. 1990, Mendes Godinho c. Portugal, DR 64/72; Comm. eur. DH 4 déc. 1995, Tavira et autres c. France, DR 83B/112.

39. J F Renucci, Introduction Générale à la Convention européenne des droits de l’homme, Droits garantis et mécanismes de protection (2005) 104.

40. Cour européenne des droits de l’homme Rapport annuel 2016 (2017) 205.