Patrick Badugue
 Magistrat attaché au Parquet général près la Cour d’appel de l’Adamaoua (Cameroun) et diplômé de l’ENA de Strasbourg (CIL, promotion Hannah Arendt). Master en droit pénal et sciences criminelles de l’Université de Yaoundé 2 (Cameroun), Master en sciences politiques de l’Université de Yaoundé 2 (Cameroun), Master en contentieux international de l’Institut des Relations Internationales du Cameroun (Cameroun), Master Sciences Po Strasbourg en administration publique. Titulaire du diplôme en droit international et comparé des droits de l’homme de l’Institut International des Droits de l’Homme de Strasbourg (IIDH-Fondation René Cassin).
 Spécialiste des systèmes africains et comparés des droits de l’homme, il est également Conseil adjoint au sein de la Cour pénale internationale et Président du Conseil permanent du Réseau africain de justice transitionnelle & des droits de l’homme (RAJT et DH)
patrickbadugue @yahoo.com
https://orcid.org/0000-0002-3262-872X


 Edition: AHRY Volume 4
  Pages: 43 - 59
 Citation: P Badugue ‘La Cour africaine des droits de l’homme et des peuples dans le Forum permanent des cours régionales des droits de l’homme’ (2020) 4 Annuaire africain des droits de l’homme 43-59
 http://doi.org/10.29053/2523-1367/2020/v4a3
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RÉSUMÉ:

A l’occasion du 40ème anniversaire de l’entrée en vigueur de la Convention américaine relative aux droits de l’homme et de la création de la Cour interaméricaine des droits de l’homme, les présidents respectifs de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, de la Cour interaméricaine des droits de l’homme et de la Cour européenne des droits de l’homme ont signé le 18 juillet 2018 à San José, au Costa Rica, la Déclaration créant le forum permanent du dialogue institutionnel entre ces trois juridictions régionales. Dans cette relation triangulaire, la Cour africaine apparaît à plus d’un titre comme une singularité que notre étude se propose d’analyser. Son jeune ancrage historique, la méfiance des Etats africains à coopérer avec elle et les transformations profondes du système régional africain de protection des droits de l’homme invitent notamment à s’intéresser aux défis de la jeune juridiction dans le cadre de cette nouvelle forme de coopération judiciaire. Aussi, dans une approche de justice comparée, le présent article examine les termes et les enjeux de la coopération entre la Cour africaine et les deux autres juridictions: enjeux liés non seulement au développement de la conception africaine des droits de l’homme à la croisée des autres systèmes normatifs, mais aussi relatifs aux interactions des modèles d’administration de la justice internationale.

TITLE AND ABSTRACT IN ENGLISH:

The African Court on Human and Peoples’ Rights in the Permanent Forum of Regional Human Rights Courts

Abstract:

On the occasion of the 40th anniversary of the entry into force of the American Convention on Human Rights and the establishment of the Inter-American Court of Human Rights, the respective Presidents of the African Court Human and Peoples’ Rights, the Inter-American Court of Human Rights and the European Court of Human Rights signed on 18 July 2018 in San José, Costa Rica, the Declaration establishing the Permanent Forum for Institutional Dialogue between these three regional courts. In this triangular relationship, the African Court stands out with peculiar features that this article sets out to analyse. Its young historical anchorage, the mistrust of African states in cooperating with it and the profound transformations of the African regional system for the protection of human rights invite in particular to take an interest in the challenges of the young institutions within the framework of this new form of judicial cooperation. Also, adopting a comparative justice approach, this article examines the terms and issues of cooperation between the African Court and the other two institutions: issues related not only to the development of the African conception of human rights at the crossroads of the other normative systems, but also relating to the interactions of models of administration of international justice.

MOTS CLÉS: Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, Cour interaméricaine des droits de l’homme, Cour européenne des droits de l’homme, Forum permanent du dialogue institutionnel, dialogue judiciaire, système africain des droits de l’homme, identité africaine

 

SOMMAIRE:

1 Introduction  

2 La Cour africaine dans le dialogue jurisprudentiel des cours régionales de protection des droits de l’homme  de protection des droits de l’homme 

2.1 Le conflit des approches des droits de l’homme 

2.2 Le déséquilibre dans le jeu des importations et exportations jurisprudentielles  

3. La Cour africaine dans le dialogue institutionnel des cours regionales de protection des droits de l’homme  

3.1 Le défi à la viabilité du dialogue institutionnel des cours régionales: celui de la judiciarisation ou de la soumission de l’État au contrôle juridictionnel  

3.2 Le dialogue institutionnel des cours régionales et les moyens de performance apportées par le partage des expériences comparées  

4 Remarques conclusives sur la singularité des mutations de la Cour africaine et leurs portées sur le dialogue judiciaire triangulaire 59 africaine et leurs portées sur le dialogue judiciaire triangulaire

1 INTRODUCTION

Le contrôle des États par les juridictions internationales, pour l’application des droits de l’homme, est alimenté ces dernières années par une quête de justice toujours plus grande de l’individu. Au cœur de la protection juridictionnelle, il existe à l’échelle continentale trois mécanismes dédiés à cet effet: la Cour européenne des droits de l’homme (1959), la Cour interaméricaine des droits de l’homme (1979) et la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (2006). Ces trois instances sont au centre d’un processus inédit, récent et incitatif, à savoir: le Forum des cours régionales de protection des droits de l’homme, comme un cadre formel d’échanges, pour lequel M. Guido Raimondi, alors président de la Cour européenne des droits de l’homme (Cour européenne), invitait ses homologues à «tisser (...) une diplomatie judiciaire des droits de l’homme».1 Initié le 18 juillet 2018, à San José, au Costa Rica, le Forum des cours régionales de protection des droits de l’homme a donné lieu à plusieurs autres rencontres. D’abord celle de Kampala, en Ouganda, les 28 et 29 octobre 2019;2 et ensuite, à une téléconférence le 9 juillet 2020 sur les défis de Covid-19 sur les droits humains modéré par le Professeur Mónica Pinto.

S’il faut remonter une dizaine d’années plus tôt, au 8 décembre 2008, où, à l’occasion du 60e anniversaire de la Déclaration des droits de l’homme, les trois cours régionales ont pour la première fois été réunies lors d’une même manifestation à Strasbourg notamment,3 cette coopération triangulaire présente en l’état une certaine asymétrie. D’une part, il existe une interactivité enrichie de nombreuses expériences entre la Cour européenne et la Cour interaméricaine des droits de l’homme (Cour interaméricaine): celle-ci est faite d’un partage d’expériences à travers un transfert périodique du personnel, l’existence d’espaces de débats,4 un accès aux bases de données numériques et une exploitation réciproque des jurisprudences.5 À l’opposé d’autre part, le forum est entièrement à construire dans le cadre des échanges avec la Cour africaine. Suivant la Déclaration de San José:

Le Forum permanent s’efforcera de travailler ensemble pour renforcer la protection des droits de l’homme et l’accès à la justice internationale pour les personnes sous la juridiction des trois tribunaux, contribuer aux efforts des États de renforcer leurs institutions démocratiques et leurs mécanismes de protection des droits de l’homme, et surmonter les challenges et défis communs pour la validité effective des droits de l’homme.

Si l’objectif est globalement d’améliorer significativement l’efficacité de la réponse judiciaire internationale aux cas de violations des droits de l’homme, il faut davantage rechercher dans le propos du Président de la Cour africaine, l’orientation pertinente que prendra ce dialogue judiciaire envisagé sous l’angle jurisprudentiel et institutionnel.6

Dans cette veine, notre étude consistera à examiner du point de vue de la Cour africaine, les défis de cette coopération que nous analyserons dans la perspective du dialogue jurisprudentiel (2) d’abord, et du dialogue institutionnel (3) ensuite.

 2 LA COUR AFRICAINE DANS LE DIALOGUE JURISPRUDENTIEL DES COURS RÉGIONALES DE PROTECTION DES DROITS DE L’HOMME

Le dialogue jurisprudentiel renvoi presque à une démarche spontanée qui conduit le juge à rechercher dans la jurisprudence des autres cours, les outils permettant de dire le droit dans le cas d’espèce soumis à sa compétence. Cette approche comparative dans la construction du raisonnement juridique pose au moins deux défis dans le cas de la Cour africaine: celui du conflit des approches des droits de l’homme et celui de l’équilibre dans l’importation et l’exportation de la jurisprudence comparée.

2.1 Le conflit des approches des droits de l’homme

Le dialogue des cours crée les conditions d’un croisement entre l’approche universelle des droits de l’homme de la Cour européenne, et une approche imprégnée de valeurs africaines portée par la Cour africaine.

2.1.1 L’approche universaliste des droits de l’homme véhiculée par la Cour de Strasbourg

Une philosophie universaliste habite la Convention européenne des droits de l’homme. De l’opinion de Pierre-Henri Teitgen,7 rapporteur du projet de la Convention européenne des droits de l’homme devant le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, la protection régionale européenne apparaît comme un système de nature à garantir plus efficacement l’application des instruments de portée universelle.8 De son côté, il est très fréquent que dans un souci d’harmonisation de la jurisprudence en droit international des droits de l’homme, la Cour africaine se réfère ou s’inspire des arrêts et décisions de ses devancières.

D’une part il peut s’agir pour la Cour de se référer plus particulièrement aux décisions des instances qui composent les trois systèmes régionaux de protection des droits de l’homme. On peut citer les cas particuliers de la Cour européenne des droits de l’homme ou de la Commission interaméricaine des droits de l’homme par exemple. En effet, dans l’affaire Actions pour la Protection des Droits de l’Homme c. Côte d’Ivoire, après avoir observé que l’Etat défendeur était partie à la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance; et au Protocole de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) sur la démocratie, la Cour africaine a conclu que cet État était tenu de respecter ces conventions et de créer des organes électoraux indépendants et impartiaux. Au paragraphe 64 de son arrêt du 18 novembre 2016, elle a notamment évoqué le raisonnement similaire de la Cour européenne, dans une interprétation de l’article 3 du Protocole No 1 à la Convention européenne des droits de l’homme.9 Ladite disposition telle que rapportée par la Cour est formulée de la manière suivante:

Les Hautes Parties contractantes s’engagent à organiser, à des intervalles raisonnables, des élections libres au scrutin secret, dans les conditions qui assurent la libre expression de l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif.

Bien plus, la Cour africaine s’est inspirée de l’arrêt du 10 juillet 2001 rendu par la Cour européenne dans l’affaire Prince c. Royaume-Uni, pour notamment arriver à la conclusion que 

[l]e retard dans la procédure en appel (...) n’équivaut pas à un traitement cruel, inhumain ou dégradant, car ce retard ne correspond pas aux critères de sévérité d’intention, et de sévère humiliation requis par les définitions acceptées dans la jurisprudence (...) même s’il peut avoir causé l’angoisse mentale du requérant.10

Par ailleurs, dans son arrêt du 29 juin 2013,11 pour arriver à la conclusion que le requérant, Urban Mkandawire n’avait pas épuisé les voies de recours internes, la Cour africaine s’est rapportée aux paragraphes 35 et 36 du rapport de la Commission interaméricaine des droits de l’homme dans l’affaire Mariblanca Staff et Oscar E Ceville c. Panama.12

D’autre part, il peut s’agir aussi pour la Cour africaine de se référer plus globalement, à d’autres instances juridictionnelles telles que le Comité des droits de l’homme des Nations Unies, ou la Cour internationale de justice. En effet, dans un arrêt du 21 mars 2018, la Cour s’est rapportée au Comité des droits de l’homme des Nations Unies (CDHNU),13 pour relever que le droit à l’égalité devant la loi signifie également que «[t]ous sont égaux devant les tribunaux et cours de justice».14

De plus, dans un arrêt du 23 mars 2018,15 la Cour s’est fondée sur une jurisprudence de la Cour internationale de justice dans l’affaire Ahmadou Sadio Diallo (Guinée c. République démocratique du Congo) du 30 novembre 2010, afin de décider que pour certaines violations des droits de l’homme commises dans le secret, la charge de la preuve qui n’incombe à aucune partie, dépend du type de faits qu’il est nécessaire d’établir pour juger l’affaire.

Ce recours au droit international et comparé des droits de l’homme n’a rien d’étonnant, puisqu’avant de se revendiquer un enracinement dans la culture africaine, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples a été influencée par des textes précurseurs en droit international dont elle intègre les valeurs.16

2.1.2 L’approche régionale portée par la Cour africaine et centrée sur une identité africaine des droits de l’homme

Outre le renforcement de l’universalité, l’approche régionale de protection des droits de l’homme suppose également d’être conscient de l’irrédentisme des valeurs dans le droit, autrement dit le fait que les principes et valeurs sont indissociables du corpus juridique, et qu’ils affectent la production normative et judiciaire. Dans le système régional africain de protection des droits de l’homme, cela prend une dimension très affirmée.

En premier lieu, sur le plan de la production normative déjà, l’élaboration de la Charte africaine de Banjul a été habitée par l’idée que:17

La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples devrait refléter la conception africaine des droits de l’homme. Il n’était donc pas nécessaire de reprendre purement et simplement ce qui a été fait au sein des autres systèmes régionaux ou au niveau mondial.

Par ailleurs, la réaffirmation d’une authenticité normative africaine est d’autant plus présente que le Conseil Exécutif de l’Union Africaine (UA) a demandé à la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, de retirer le statut d’observateur que celle-ci avait accordé à la Coalition des lesbiennes africaines, en raison de sa non-conformité avec «les valeurs, l’identité et les bonnes traditions fondamentales de l’Afrique».18

En second lieu, ces valeurs et principes affectent aussi la production judiciaire, notamment lorsque devant la Cour africaine, les plaideurs revendiquent une approche traditionnelle dans le règlement des différends relatifs aux droits de l’homme, comme ce fut le cas, et pas seulement, à l’occasion du jugement de Hissein Habré, ancien Président du Tchad.19

Dans cette veine, il convient de se rappeler qu’en son temps, René Cassin, premier Président français à la Cour européenne, craignait que l’alternative régionaliste fasse peser sur les droits de l’homme de portée universelle, le risque de l’européocentrisme.20 Aussi, il importe de ne pas négliger l’enjeu des interactions des modèles de droits de l’homme en présence dans le cadre du dialogue des cours.

Le conflit des approches des droits de l’homme, n’est pas l’unique enjeu du dialogue jurisprudentiel entre les cours. Le croisement entre les jurisprudences internationales rélève également un jeu d’importation et d’exportation des décisions de justice empreint d’un certain déséquilibre.

2.2 Le déséquilibre dans le jeu des importations et exportations jurisprudentielles

Avec le dialogue judiciaire, la jurisprudence internationale abonde de sources, et le caractère presque informel du recours à la décision comparée crée les conditions d’un «commerce libéral»,21 qui dans le cas de la Cour africaine et de la Cour interaméricaine, revêt les traits d’une appropriation à sens unique. L’importation des décisions ne donnant que rarement, sinon aucunement lieu à une importation par la Cour européenne des arrêts des deux autres juridictions.

2.2.1 Vers une certaine justification de l’importance des importations jurisprudentiells par la Cour africaine

La Cour africaine est de loin la plus jeune des trois cours et la richesse de la casuistique de la Cour européenne est probablement mesurable à l’aune de ses statistiques.22 Aussi, avec un potentiel justiciable de plus de 800 millions d’individus, la Cour européenne a, entre 1959 et 2019, rendu 22 535 arrêts dont 18 977 constataient des violations de la Convention européenne des droits de l’homme. Ces chiffres représentent une moyenne d’environ 375 décisions ou arrêts chaque année,23 contre 100 affaires finalisées par la Cour africaine au 29 juillet 2020, soit environ sept arrêts par an.24 Avec la Cour européenne, la Cour africaine dispose d’une importante source jurisprudentielle répartie entre diverses matières souvent inconnues de cette dernière, à l’instar de la fin de vie,25 ou encore l’objection de conscience.26 Toute chose pouvant justifier que la Cour africaine, et avant elle, la Cour interaméricaine s’inspirent largement des arrêts de la Cour européenne.

2.2.2 Pour un équilibre de la balance des importations jurisprudentielles

Cependant, bien que leurs décisions se rapportent pour l’essentiel à des thématiques similaires - les conventions et charte régionales des droits de l’homme se rapportant aux droits proclamés par les instruments à vocation universelle - il n’existe aucun cas de référence de la Cour européenne et de la Cour interaméricaine aux arrêts de la Cour africaine, quand par ailleurs, celle de la Cour européenne aux arrêts de la Cour interaméricaine tend à s’équilibrer.27

Si on ne prend en considération ici que les seuls rapports entre les Cours de protection des droits et si on met de côté leurs liens avec d’autres types de Cours internationales - ce dialogue fut marqué du sceau de l’unilatéralité. Pour prendre l’exemple des deux Cours qui ont en commun des années significatives de fonctionnement, - les Cours européenne (Cour européenne) et interaméricaine [Cour interaméricaine] - ce fut la Cour de San José qui se lança, sans tabou ni complexe, dans un dialogue qui a pris l’allure de références expresses aux arrêts de sa consœur de Strasbourg.

Laurence Burgorgue-Larsen notait, pour le regretter, que pendant longtemps, le dialogue ait été à sens unique, et qu’il fallut attendre le 13 juin 2000 pour que la Cour européenne cita et s’inspira des arrêts et décisions de la Cour interaméricaine,28 tandis qu’en raison de sa création plus récente, cette dernière a toujours subi l’influence des arrêts de la Cour de Strasbourg. On peut lire au paragraphe 80 de l’arrêt du 13 juin 2000 dans l’affaire Timurtas c. Turquie devant la Cour européenne:

A plusieurs reprises, la Cour interaméricaine des droits de l’homme a déclaré que les disparitions forcées allaient souvent de pair avec la violation du droit à la vie. Dans le système interaméricain, la violation du droit à la vie consécutive à une disparition forcée peut être prouvée de deux façons. En premier lieu, il peut être établi que les faits de la cause concordent avec un phénomène de disparitions se soldant par le décès des victimes. En second lieu, les faits constitutifs d’un cas isolé de disparition forcée ayant eu une issue fatale peuvent être prouvés en eux-mêmes, indépendamment de toute pratique officielle caractérisée par de multiples disparitions. L’une et l’autre méthodes sont employées pour permettre à l’Etat d’exercer un contrôle sur le sort des victimes; combiné avec l’écoulement du temps, ce contrôle amène à conclure qu’il y a eu violation du droit à la vie.

Dans cette décision, la Cour européenne s’est inspirée de l’arrêt de la Cour interaméricaine dans l’affaire Vélasquez Rodriguez c. Honduras du 29 juillet 1988 (Série C No 4), notamment sur la théorie de la présomption de mort. Mais le déséquilibre dont il est question est davantage en défaveur de la Cour africaine, puisque les cas ne sont pas rares où la Cour européenne s’appuie désormais sur la jurisprudence de la Cour interaméricaine. Au paragraphe 49 de son arrêt du 6 février 2003 dans l’affaire Mamatkulov et Abdurasulovic c. Turquie,29 la Cour européenne s’est par ailleurs appuyée sur la casuistique du système de la Cour et de la Commission interaméricaines des droits de l’homme, pour affirmer la force contraignante des mesures provisoires. De même, l’arrêt Durand et Ugarte c. Pérou du 16 août 2000 a été utilisé par la Cour de Strasbourg, dans l’affaire Mazni c. Roumanie du 21 septembre 2006, pour valoriser l’importance de l’impossibilité de juger des civils par des juridictions militaires, et dans lequel on peut clairement lire la référence suivante:30

La Cour interaméricaine des droits de l’homme a adopté une jurisprudence constante excluant les civils de la juridiction des tribunaux militaires, dans les termes suivants (traduction).

Dans un Etat démocratique régi par la prééminence du droit, la compétence des tribunaux militaires en matière pénale devrait être de nature restrictive et exceptionnelle, et viser la protection d’intérêts juridiques spéciaux, en rapport avec les fonctions attribuées par la loi à l’armée. En conséquence, il faut exclure les civils de la compétence des tribunaux militaires, dont la juridiction devrait se limiter aux militaires ayant commis des crimes ou délits de nature à porter atteinte à des intérêts d’ordre militaire protégés par la loi» (Cour interaméricaine, Durand et Ugarte c. Pérou, 16 août 2000, para 117).

Pour les besoins d’une meilleure harmonisation du droit international des droits de l’homme, il apparaît nécessaire que l’exploitation des arrêts et décisions ne se fasse pas de manière unilatérale. Dans ce sens, l’ouverture de la Cour interaméricaine et de la Cour européenne à la jurisprudence de la Cour africaine serait également souhaitable. Par ailleurs, l’examen des enjeux du dialogue des cours régionales au regard de la Cour africaine serait au demeurant incomplet, s’il faisait fi de l’étude portant sur sa variante institutionnelle.

3 LA COUR AFRICAINE DANS LE DIALOGUE INSTITUTIONNEL DES COURS REGIONALES DE PROTECTION DES DROITS DE L’HOMME

Le dialogue des cours régionales est par ailleurs un dialogue institutionnel qui s’entend de la mise en œuvre d’un cadre permanent d’échanges autour des expériences judiciaires comparées. Celles-ci impliquent non seulement de tirer avantage d’une communauté de défis liés à la question majeure de la résistance des Etats au contrôle juridictionnel, mais aussi de renforcer une coopération technique favorable à une meilleure administration de la justice à l’échelle régionale.

3.1 Le défi à la viabilité du dialogue institutionnel des cours régionales: celui de la judiciarisation ou de la soumission de l’État au contrôle juridictionnel

Si l’entrée en vigueur, le 1er novembre 1998, du Protocole No 11 additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme, a pu traduire une révolution du droit de recours individuel par l’effet d’un contrôle juridictionnel plus élargi, les Etats apparaissent globalement réticents à la judiciarisation du contentieux des droits de l’homme à l’échelon régional.

3.1.1 Une faible collaboration des États en amont du mécanisme régional de protection des droits de l’homme: l’accès aux cours régionales

Il n’est pas rare que des États développent une politique juridique extérieure passive à l’égard des cours régionales, par laquelle ils s’abstiennent de collaborer au système de protection en paralysant le mécanisme de saisine des cours régionales ou en affaiblissant celui-ci. La quasi-inexistence des recours interétatiques d’une part et la politique défavorable au droit de recours individuel d’autre part, illustrent assez bien notre propos.

L’importance numérique des requêtes interétatiques est variable d’un système régional à un autre. Dans le système européen, les Etats sont peu enclins à saisir la Cour européenne en vue de dénoncer la violation par d’autres Etats, des engagement pris au titre de l’article 1 de la Convention européenne des droits de l’homme. Cette prudence, ou ce manque d’enthousiasme se reflète dans la proportion marginale de leur participation contentieuse devant ladite Cour. En effet, depuis l’entrée en vigueur de la Convention européenne en 1953, seules 24 affaires étatiques ont été introduites devant la Commission et la Cour, dont quatre ont donné lieu à des arrêts de la Cour européenne.31 La toute première requête interétatique fut introduite le 17 juillet 1957 par la Grèce contre le Royaume-Uni.32

Les requêtes interétatiques représentent moins d’un pourcent du nombre total des requêtes introduites devant la Cour européenne qui s’élève à 882 000 entre 1959 et 2019.33 Cependant, du fait du caractère désormais obligatoire de la juridiction de la Cour européenne et en raison du Protocole No 11, leur maigre poids statistique - qui traduit tout de même un échec dans le choix du Conseil de l’Europe pour ce type de recours lors de l’adoption de la Convention en 1950 - a un moindre effet inhibiteur sur le plan de l’activité contentieuse de la Cour, puisqu’il est largement compensé par un afflux beaucoup plus important de requêtes individuelles. Ce qui n’est autrement pas le cas de la Cour africaine en raison de l’article 34(6) de son Protocole qui subordonne la compétence de la Cour africaine pour recevoir des requêtes individuelles, à la condition que l’Etat en cause fasse la déclaration facultative de juridiction obligatoire.

Au 29 juillet 2020, la Cour africaine a reçu 285 requêtes pour 100 affaires finalisées. Une typologie de celles-ci permet d’observer une absence de requêtes interétatiques. Les requêtes devant la Cour africaine sont à 94,03% à l’initiative des individus (268), à 4,91% déposées par les organisations non-gouvernementales (14), et à 1,05% du fait de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (Commission africaine) (3).34

Par ailleurs, dans le champ africain, le consensus entre États est loin d’être atteint sur l’accès à la justice, ou précisément, sur le droit des individus à ce que leurs causes soient directement entendues devant la Cour. Ce protectionnisme juridique des États s’accompagne d’un désaveu progressif à l’égard de la Cour africaine, qui, au 30 septembre 2020 ne compte plus que six États ayant fait cette déclaration spéciale prévue à l’article 34(6) du Protocole, après le retrait de la République du Rwanda le 24 février 2014, de la République-Unie de Tanzanie le 11 novembre 2019, de la République du Bénin le 24 mars 2020 et de la République de Côte d’Ivoire le 28 avril 2020.

3.1.2 Une faible participation des États en aval du mécanisme régional de protection: le respect de la chose jugée

L’exploitation des rapports d’activité de la Cour africaine permet tout au moins de se faire un état de l’exécution problématique de ses décisions et ordonnances. En 2017,35 elle a rendu neuf arrêts, cinq ordonnances et cinq avis consultatifs. Six cas de non-exécution des arrêts au fond et ordonnances de réparation ont été répartis entre la Tanzanie (quatre), le Burkina-Faso (un) et la Libye (un). Vingt cas de non-exécution des ordonnances de mesures provisoires donnant 17 pour la Tanzanie, deux pour le Ghana et un pour le Rwanda.

En 2018,36 elle a rendu 106 arrêts, décisions, ordonnances et avis consultatifs. Vingt et un cas de non-exécution des arrêts au fond et des ordonnances de réparation dont 14 pour la Tanzanie, deux pour le Burkina-Faso, un pour le Mali, un pour le Rwanda, un pour la Côte d’Ivoire, un pour la Libye et un pour le Kenya. Vingt et un cas de non-exécution des ordonnances de mesures provisoires donnant 17 pour la Tanzanie, deux pour le Ghana et un pour le Rwanda.

En 2019,37 la Cour africaine a rendu 17 arrêts et renvoyé 140 affaires. Elle a dénombré 41 cas de non-exécution des arrêts au fond et ordonnances de réparation dont 31 pour la Tanzanie, deux pour le Burkina-Faso, deux pour le Rwanda, deux pour le Ghana, un pour le Kenya, un pour la Côte d’Ivoire, un pour la Libye et un pour le Mali.

S’il peut paraître difficile de donner avec exactitude le pourcentage d’exécution des arrêts de la Cour africaine, les situations sont multiples où, les décisions de la Cour européenne ont été critiquées pour ingérence dans le domaine réservé des États, et ont provoqué une politique de défiance vis-à-vis des institutions du Conseil de l’Europe. Pour ne problématiser que le respect de la chose jugée ou l’exécution des arrêts et décisions de la Cour, il faut se rappeler qu’au lendemain de l’affaire Hirst c. Royaume-Uni, les autorités nationales de ce pays ont envisagé de se retirer de la Convention européenne.38 Plus loin, la Fédération de Russie, qui représente 17% des condamnations de la Cour européenne,39 a, au travers de sa loi du 14 décembre 2015 portant amendement de la Constitution fédérale sur la Cour constitutionnelle, érigé un obstacle juridique permanent à l’application des arrêts de la Cour dont la conformité à la Constitution est une condition obligatoire.

La résistance des Etats au contrôle juridictionnel est un défi fondamental pour la viabilité d’un cadre permanent de dialogue institutionnel entre les cours, singulièrement pour le système africain dont le contrôle pour l’application de la Charte de Banjul et des instruments pertinents de droit international est désormais limité de fait, à six États sur les 30 ayant ratifié son Protocole. Il ne reste pas moins vrai que le renforcement d’une coopération technique serait à même de contourner cet obstacle, en même temps qu’il fournirait à la Cour africaine, les moyens de la performance dans le travail judiciaire.

3.2 Le dialogue institutionnel des cours régionales et les moyens de performance apportés par le partage des expériences comparées

Par la diversité de leurs trajectoires historiques, la relation triangulaire entre les cours régionales offre à la Cour africaine, le moyen d’un partage d’expériences propices à la diversification des méthodes de travail et à l’innovation en vue de renforcer l’efficacité dans le travail judiciaire. En cela, le Forum des cours régionales est avant tout un cadre de rencontre, de travail et d’apprentissage. Il pose les bases d’une coopération judiciaire internationale et repose sur l’exploitation des avantages comparatifs de chacun des systèmes de protection.

3.2.1 Les expériences comparées dans l’usage des outils communicationnels en vue d’améliorer le lobbying judiciaire

La communication, comme outil de visibilité apparaît fondamentale pour impacter directement sur les acteurs alternatifs (individus, société civile) et influencer autrement les politiques juridiques extérieures des États. La Cour européenne dispose d’une importante gamme d’instruments dédiée aux relations publiques, avec une communication de type haut vers le bas (top down). Il s’agit d’une communication sur site: soit sur le site géographique de la Cour à l’occasion de visites organisées, soit sur son site numérique, avec la possibilité d’échanges instantanés avec l’extérieur à travers la création d’un compte twitter. Toutefois, si internet offre un accès plus aisé à l’information sur la Cour européenne, la stratégie de communication ne tient guère compte de l’inégal accès à cet outil dans l’espace européen, pas plus que du déséquilibre dans la répartition d’une culture des droits de l’homme. Ceci explique une certaine méconnaissance de ses procédures et de son fonctionnement, en partie à l’origine du fait que sur 841 371 affaires terminées entre 1959 et 2018, 792 438 ont été déclarées irrecevables, soit 94,18% des requêtes introduites.40

A contrario, une approche de type bas vers le haut (bottom up), qui désigne un processus communicationnel par lequel l’information sur la juridiction va rejoindre l’usager de la justice, pourrait inspirer la Cour européenne et la Cour interaméricaine. Cette démarche, inspirée d’une technique pratiquée avec succès par la Cour pénale internationale (CPI) ainsi que la Cour africaine, serait indiquée en complément des stratégies déployées en l’état par la Cour européenne. En effet, le Greffe de la CPI mène des activités non judiciaires de sensibilisation sur le terrain, tandis qu’elle dispose également de Bureaux extérieure permettant aux personnes qui souhaitent coopérer avec elle, d’apporter un concours aux activités de sensibilisation et d’information ou travailler avec la Cour. En 2019, la Cour africaine a mené des activités sur le terrain de la promotion des droits de l’homme destinées à sensibiliser les parties prenantes sur son existence et son fonctionnement: des visites de sensibilisation, des formations, des séminaires ont été conduit à Djibouti du 7 au 9 mai, aux Comores du 7 au 9 août, au Zimbabwe du 14 au 16 août en vue d’encourager notamment ces pays à ratifier le Protocole sur la Cour et à faire la déclaration de l’article 34(6) l’autorisant à recevoir des requêtes individuelles.

De plus, la Cour africaine continue de collaborer avec d’autres partenaires concernés, y compris les partenaires extérieurs, dans l’exercice de son mandat tels que la Commission européenne (CE), la Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit (GIZ), la Banque mondiale et le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme qui continuent de soutenir le développement des compétences ainsi que les programmes de sensibilisation de la Cour. Ce réseautage institutionnel41 est un véritable outil de lobbying judiciaire qui, avec le dialogue des cours régionales peut être étendu à l’échelle de plusieurs autres partenaires stratégiques.

Par ailleurs, les échanges entre les cours mettraient un accent sur le fonctionnement des différentes juridictions. Faire partager ses avancées et ses faiblesses pourraient permettre d’améliorer la qualité de la justice.

3.2.2 L’expérience comparée dans l’organisation administrative du travail: l’exemple de la recherche numérique

Afin de faciliter une approche collaborative de création et de partage de connaissances, la Cour européenne a mis sur pied une passerelle numérique: le knowledge sharing. C’est un point d’accès unique qui fournit pour chaque article de la Convention, un accès direct à la jurisprudence, aux articles de doctrine, ouvrages, liens numériques renvoyant au maximum de développements effectués, ainsi que sur les questions transversales. L’expérience qui a prouvé son efficacité peut être utilement élargie, sinon calquée dans l’intérêt d’une meilleure recherche juridique pour les juges au sein de la Cour africaine.

3.2.3 L’expérience comparée dans la conduite des procédures

Les procédures sont un élément préférentiel de comparaison entre les juridictions, selon qu’elles contribuent à façonner la mesure de l’accès à la justice. Si l’on s’intéresse au délai de saisine par exemple, deux tendances parallèles sont observables selon qu’il s’agit de la Cour européenne ou de la Cour africaine. La flexibilité de la Cour africaine sur l’appréciation du délai de sa saisine peut être un élément de discussion avec la Cour européenne qui a plutôt une tendance au durcissement du sien, pour le moins contraire à l’esprit de la réforme du Protocole No 11. En effet, tandis que pour la Cour africaine «le caractère raisonnable [du délai de] sa saisine dépend des circonstances particulières de chaque affaire, et doit être appréciée au cas par cas»,42 l’entrée en vigueur du Protocole additionnel No 15 à la Convention européenne portera de six à quatre mois, le délai pour la saisine de la Cour de Strasbourg.

3.2.4 L’expérience comparée comme moyen d’anticipation dans la réforme du système de protection des droits de l’homme

Il s’agit pour la Cour africaine de tirer avantage des expériences antérieures comparées dont l’étude permet d’anticiper les effets négatifs des réformes envisagées. En vue de conduire une réforme destinée à assurer au requérant individuel un locus standi devant la Cour interaméricaine, un plaidoyer fût de son temps adressé à ladite Cour:

La protection des droits doit être dotée du locus standi procédural des victimes, sans lequel la procédure est dépourvue en partie de l’élément contradictoire, essentiel à la recherche de la vérité et de la justice. L’élément contradictoire entre les victimes de violations et les États défendeurs fait partie de l’essence même du contentieux international des droits de la personne.43

En effet, parce qu’elle est plus ancienne, la Cour européenne a déjà abordé certains problèmes qui se posent à la Cour interaméricaine et en particulier à la Cour africaine, notamment le défaut de recours individuel direct critiqué par les plaideurs,44 et par la Cour elle-même:45

Pour que la Cour réalise ses objectifs et renforce davantage les systèmes africains de défense des droits de l’homme, il faut qu’un plus grand nombre de pays ratifie le Protocole et dépose la déclaration prévue à l’article 34(6) [de son Protocole l’autorisant à recevoir des requêtes individuelles].

L’expérience de la Cour européenne au lendemain de l’entrée en vigueur du Protocole No 11, qui a permis aux individus de saisir directement la Cour, fait observer que l’effet d’engorgement dans le traitement des affaires46 qui s’en est suivi n’avait pas été suffisamment anticipé. Au moment de l’entrée en vigueur de ce protocole en novembre 1998, les requêtes pendantes devant la Cour européenne étaient de l’ordre de 6 500, pour atteindre environ 65 000 au début de l’année 2004. Afin de pallier cette difficulté, une succession de protocoles a été adoptée à l’effet de restreindre l’accès à la Cour européenne en agissant sur un durcissement des conditions de recevabilité: il s’agit notamment de l’exigence d’un préjudice important47 et la réduction du délai de saisine de la Cour.48 De fait, pouvoir anticiper sur les effets de la réforme institutionnelle est d’autant plus fondamental que la Cour africaine connaît actuellement des transformations significatives de nature à en faire une juridiction sui generis par rapport aux deux autres cours régionales.

4 REMARQUES CONCLUSIVES SUR LA SINGULARITÉ DES MUTATIONS DE LA COUR AFRICAINE ET LEUR PORTÉE SUR LE DIALOGUE JUDICIAIRE TRIANGULAIRE

Le contexte dans lequel baigne la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples justifierait la tenue d’un véritable partage d’expérience dans la mesure où les transformations en cours impacteront d’une manière ou d’une autre le Forum, qui repose sur le postulat selon lequel même sans être au même stade, les cours régionales ont en commun une certaine trajectoire. Cependant, le système africain de protection des droits de l’homme suit depuis 2008, une ligne distincte.

Sur le plan de la structure, le système africain de protection des droits de l’homme se dotera d’une nouvelle juridiction.49 Le Protocole du 1er juillet 2008 adopté à Charm el-Cheikh, en Égypte, par la Conférence des Chefs d’État et de gouvernement pose les termes d’une fusion entre l’actuelle Cour africaine, acteur du Forum, et la Cour de Justice de l’Union africaine, en vue de la création de la Cour africaine de justice et des droits de l’homme (Cour africaine de justice). En ce qu’elle n’est pas une fusion entre la Cour africaine et la Commission africaine, ce changement structurel est à la fois dans la continuité de la dualité du système interaméricain, et une démarcation d’avec le système européen de Cour unique: la Cour européenne étant née de la fusion entre une cour non permanente et la Commission européenne des droits de l’homme.

Sur le plan normatif, dès l’entrée en vigueur du Protocole de Malabo (Guinée Equatoriale) de juin 2014, la nouvelle Cour africaine de justice sera dotée d’une section des affaires générales, d’une section des droits de l’homme et d’une section de droit international pénal. Elle s’illustrera dans le dialogue des cours comme l’unique juridiction régionale ayant une compétence en matière de droit international pénal. Peu documentée, cette réforme peut apparaître comme un obstacle dans la mesure où elle restreindrait la coopération judiciaire avec d’une part, deux cours dédiées exclusivement aux droits de l’homme (la Cour européenne et la Cour interaméricaine), et d’autre part, la seule section de la Cour africaine de justice traitant des questions des droits de l’homme. Bien appréhendée en revanche, elle pourrait ouvrir les perspectives du dialogue à de nouveaux champs et même favoriser une transdisciplinarité dans l’approche des droits de l’homme.

 


2. La première était à l’occasion du 40e anniversaire de l’entrée en vigueur de la Convention américaine relative aux droits de l’homme et de la création de la Cour interaméricaine des droits de l’homme. Cet évènement a donné lieu à la Déclaration conjointe des présidents de la Cour européenne, de la Cour interaméricaine et de la Cour africaine, signée à San José (Costa Rica), le 18 juillet 2018 et portant sur la création d’un forum permanent de dialogue entre les trois juridictions. La deuxième session s’est tenue du 28 au 29 octobre 2019 à Kampala, en Ouganda et a abouti à la Déclaration de Kampala. À l’exception de la Cour européenne représentée par sa vice-présidente, Angelika Nussberger, les autres présidents de cours étaient présents notamment: Eduardo Ferrer Mac-Gregor Poisot (pour la Cour interaméricaine) et Sylvain Oré (pour la Cour africaine).

3. Séminaire tenu à la Cour européenne, sur les cours régionales des droits de l’homme et organisé à l’occasion du 60e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme, les 8 et 9 décembre 2008, par le Ministère français des Affaires étrangères et européennes, l’Institut international des droits de l’homme de Strasbourg et la Cour européenne, en collaboration avec la Fondation africaine des droits de l’homme et l’Institut interaméricain des droits de l’homme.

4. Le 31 janvier 2014 à l’occasion du séminaire sur ‘la mise en œuvre des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme: une responsabilité judiciaire partagée?’. Le séminaire qui s’est tenu au siège de la Cour, a connu l’intervention de Antônio Augusto Cançado Trindade, ancien président de la Cour interaméricaine des droits de l’homme, alors juge à la Cour internationale de justice, sur le thème: ‘observation des arrêts et décisions - réévaluation de l’expérience de la Cour interaméricaine des droits de l’homme’. Nous pouvons également citer le séminaire du 9 novembre 2018 au siège de la Cour de Strasbourg, organisé conjointement par la Cour européenne et la Cour interaméricaine, portant sur le traitement des violations des droits de l’homme à grande échelle.

5. L’exploitation des arrêts et décisions de la Cour interaméricaine permet de constater une influence européenne dans la jurisprudence de cette Cour notamment dans l’interprétation de la Convention américaine en matière de liberté d’expression et d’interdiction de la discrimination. Voir C Hilling ‘Le système interaméricain de protection des droits de l’homme: le modèle européen adapté aux réalités latino-américaines’ (1991) 7 Revue québécoise de droit international 210.

6. Dialogue between Regional Human Rights Courts, Inauguration of the 40th anniversary Commemorations (2020) 45-47.

7. Juge français à la Cour européenne (1976-1980).

8. E Decaux, P-H Imbert et L-E Pettiti La Convention européenne des droits de l’homme. Commentaire article par article (1999) 10-11.

9. Cour africaine, Requête 1/2014, Actions pour la Protection des Droits de l’Homme c. Côte d’Ivoire, Arrêt du 18 novembre 2016, http://fr.african-court.org (consulté le 15 mars 2020).

10. Cour africaine, Requête 5/2013, Alex Thomas c. Tanzanie, Arrêt du 20 novembre 2015, au para 146, http://fr.african-court.org (consulté le 15 mars 2020).

11. Cour africaine, Requête 3/2011, Urban Mkandawire c. Malawi, Arrêt du 29 juin 2013, au para 38(2), http://fr.african-court.org (consulté le 15 mars 2020).

12. Commission interaméricaine des droits de l’homme, Rapport 89/03, Requête 12.303, Mariblanca Staff et Oscar E Ceville c. Panama, 22 octobre 2003.

13. Comité des droits de l’homme des Nations Unies, Observation générale No 18: Non-discrimination, 10 novembre 1989, para 3.

14. Cour africaine, Requête 32/2015, Kijiji Isiaga c. Tanzanie, Arrêt du 21 mars 2018, para 85, http://fr.african-court.org (consulté le 15 mars 2020).

15. Cour africaine, Requête 6/2015, Nguza Vinking et Johnson Nguza c. Tanzanie, Arrêt du 23 mars 2018, para 72, http://fr.african-court.org (consulté le 15 mars 2020).

16. Voir M Kamto La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et le protocole y relatif portant création de la Cour africaine des droits de l’homme (2011) 1628.

17. P Kunig, W Benedek et C R Mahalau Regional protection of human rights by international law: the emerging African system (1985) 107 (traduction française personnelle).

18. Cour africaine, Demande d’avis 2/2015, Centre des droits de l’homme de l’Université de Prétoria et la Coalition des lesbiennes africaine, Avis du 28 septembre 2017, de para 5, http://fr.african-court.org (consulté le 15 mars 2020).

19. Cour africaine, Requête 1/2008, Michelot Yogogombaye c. Sénégal, Décision du 15 décembre 2009, http://fr.african-court.org (consulté le 15 mars 2020).

20. Opinion rapportée par Guido Raimondi dans son discours, à l’occasion du 70e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme, Colloque organisé le 10 septembre 2018 par le Saint siège au Conseil de l’Europe.

21. L’expression est empruntée de Sylvain Oré. Voir n 6.

22. Cour européenne, Violations par article et par Etat (1959-2019) 6, disponible en libre téléchargement sur le site de la Cour: https://www.echr.coe.int/Documents/Stats_violation_1959_2019_FRA.pdf (consulté le 18 octobre 2020); Voir également les statistiques de la Cour européenne sur les violations par article et par Etat (2019) 3, disponibles en libre téléchargement sur le site de la Cour.

31. Données publiées par l’Unité de Presse de la Cour européenne, août 2020, 4 pages.

32. Commission européenne, Requête 299/57, Grèce c. Royaume-Uni, Rapport du 8 juillet 1959, https://www.echr.coe.int/Documents/InterState_applications_ FRA.pdf (consulté le 18 octobre 2020).

33. Voir Aperçu Cour européenne 1959-2019, unité des relations publiques de la Cour européenne des droits de l’homme (2020) 3-4.

35. Rapport d’activité de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples du 1er janvier au 31 décembre 2017 (2018) 11-29.

36. Rapport d’activité de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples du 1er janvier au 31 décembre 2018 (2019) 9-40.

37. Rapport d’activité de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples du 1er janvier au 31 décembre 2019 (2020) 19-25.

38. Cour européenne, Requête 74025/01, affaire Hirst c. Royaume-Uni (No 2), arrêt du 6 octobre 2005. Voir également J Gaud ‘Les relations entre le Royaume-Uni et la Cour européenne des droits de l’homme’ Mémoire de Master, Université Paris 1 - École Nationale d’Administration (2016) 101.

39. Entre 1959 et 2019, la Cour européenne a rendu 22 535 arrêts dont 18 977 constatent des violations de la Convention européenne des droits de l’homme. 2 699 d’entre elles concernent la Fédération de Russie avec 2 551 arrêts de condamnations, en deuxième position derrière la Turquie qui en compte 3 224. Voir n 20.

40. Voir Aperçu 1959-2018 Cour européenne (2019) 4-9.

41. n 33.

42. Cour africaine, Requête 5/2015, Alex Thomas c. Tanzanie, Arrêt du 20 novembre 2015. http://fr.african-court.org (consulté le 15 mars 2020).

43. Extrait de la lettre du juge Antônio Augusto Cançado Trindade au Président Héctor Dix-Zamudio (Président de la Cour interaméricaine des droits de l’homme), le 7 octobre 1996. Voir Antônio Augusto Cançado Trindade ‘Vers la consolidation de la capacité juridique internationale des pétitionnaires dans le système interaméricain des droits de l’homme’ (2001) 14 Revue québécoise de droit international 207-239.

44. Cour africaine, Requête 1/2011, Fémi Falana c. Union africaine, Décision du 26 juin 2012, http://fr.african-court.org (consulté le 15 mars 2020).

46. L-A Sicilianos ‘La “réforme de la réforme” du système de protection de la Convention européenne des droits de l’homme’ (2003) 49 Annuaire français de droit international 611.

47. L’entrée en vigueur du Protocole No 14 en 2010 a établi un nouveau critère de recevabilité: l’existence d’un préjudice important pour le requérant.

48. Dès son entrée en vigueur, le Protocole No 15 adopté en 2013 ramènera à 4 mois et non plus 6, le délai dans lequel la Cour peut être saisie après une décision nationale définitive.

49. T Barsac La Cour africaine de justice et des droits de l’homme (2012) 132.