Robert Yougbaré
Maître Assistant en droit public, Université Norbert Zongo/Burkina Faso
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 Edition: AHRY Volume 2
  Pages: 259 - 294
 Citation: R Yougbaré ‘Le mécanisme de garantie des droits de l’homme de la CEDEAO: entre emprunt et appropriation des instruments du système continental’ (2018) 2 Annuaire africain des droits de l’homme 259-294 http://doi.org/10.29053/2523-1367/2018/v2n1a12
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RÉSUMÉ

La Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) compte, depuis ce début de 21eme siècle, parmi les organisations de garantie des droits de l’homme, avec la révision du mandat de sa Cour de justice en 2005. Depuis, cette Cour officie dans le domaine des droits de l’homme, avec audace et volontarisme. Toutefois, l’exercice de ce mandat suscite quelques interrogations, relativement notamment à sa légalité et à son opportunité. En se penchant sur certaines de ces questions, la présente étude révèle qu’en dépit du silence des textes, le lien intrinsèque entre les droits de l’homme et la réalisation de son objet, légitime la revendication par l’organisation d’une compétence pour les protéger. Quant au dispositif - atypique - qui, en l’absence d’un catalogue propre, repose sur des normes exogènes que s’approprie l’organisation, il ne souffre d’aucune irrégularité. Des ressources du droit international, en général, et du droit de la CEDEAO, en particulier, soutiennent sa régularité, même si le régime des règles ainsi importées demeure indécis. Outre cette légalité établie, le mécanisme de la CEDEAO peut se prévaloir d’une certaine efficacité, en raison de la nature communautaire du système d’ancrage et de la juridiction immédiate qu’a revendiquée la Cour sur les cas de violations des droits de l’homme.

TITLE AND ABSTRACT IN ENGLISH:

The ECOWAS human rights protection mechanism amid borrowing and appropriation of the instruments of the continental system

ABSTRACT: Since the beginning of the 21st century, the Economic Community of West African States (ECOWAS) has been ensuring respect for human rights. This shift in the mandate of ECOWAS was made possible by way of the revision of the substantive jurisdiction of its Court of Justice in 2005. The ECOWAS Court has since then courageously and actively adjudicated human rights matters. However, the jurisdiction of the Court raises some issues with respect to its legality. Looking at some of these issues, this study demonstrates that, despite the lack of any express provisions in the legal instruments, the relationship between human rights and the realisation of the ECOWAS objectives justifies the claim by the organisation to protect fundamental rights. Regarding the sui generis regime, which, absent its own bill of rights, relies on external norms (including the African Charter on Human and Peoples’ Rights) borrowed by the organization, it does not suffer from any illegality. Its regularity remains evidenced by the recourse to international law sources, in general, and particularly to sources of ECOWAS Community law, although the legal regime of these imported norms and standards remains unclear. Besides its well-grounded legality, the ECOWAS mechanism can, in addition, claim to be effective because of the communitarian nature of the anchoring system and the immediate jurisdiction the Court has claimed over cases of human rights violations.

MOTS CLÉS: Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO); Cour de justice de la CEDEAO; juridiction des droits de l’homme; système africain de des droits de l’homme; droit communautaire

SOMMAIRE:

1 Introduction   Introduction  

2 Une garantie juridiquement fondée  Une garantie juridiquement fondée 

2.1 Une compétence communautaire etablie 

2.2 Un recours aux sources exogènes permis  

3 Une effectivité relativement renforcée   Une effectivité relativement renforcée  

3.1 La communautarisation des droits de l’homme 

3.2 La justiciabilité des droits de l’homme devant la justice communautaire  

4 Conclusion   Conclusion  

1 INTRODUCTION

« Où commencent les droits de l’homme universels? Ils commencent près de chez soi, en des lieux si proches et si petits qu’on ne peut les voir sur aucune carte du monde. » 1 Ainsi s’exclamait Eleanor Roosevelt, ancienne présidente du comité de rédaction de la Déclaration universelle des droits de l’homme, à l’occasion du dixième anniversaire de la Déclaration, pour expliquer la responsabilité partagée de tous les niveaux de la gouvernance dans leur mise en œuvre. Ainsi, proclamés en grandes pompes sur l’arène de la politique internationale,2 comme composante du droit international, les droits de l’homme, pour atteindre leurs cibles, doivent descendre de leur piédestal international pour pénétrer progressivement les sphères de gouvernance les plus proches possibles de l’individu, 3 en l’occurrence, les systèmes juridiques nationaux qui sont ceux-là qui impactent le plus quotidiennement la vie des êtres humains. Entre les deux extrémités - le droit international, à l’une, et le droit interne, à l’autre - a émergé une nouvelle catégorie juridique: les systèmes juridiques communautaires, ces « ordres juridiques propres, intégrés au système juridique des États membres », 4  se situant précisément « au confluent du droit interne et du droit international »5 qui ont été développés dans le cadre des organisations d’intégration économique. Ce niveau de gouvernance intermédiaire échapper à l’envahissement des droits de l’homme. Du moins, ces « nouveaux » systèmes juridiques ne sauraient se fermer à la pénétration des droits de l’homme, sans courir le risque d’aller contre la marche du temps.

En tout cas, pour sa part, alors que rien ne l’y prédisposait, la construction européenne a intégré progressivement la problématique des droits de l’homme dans son action, grâce à l’ingéniosité de la Cour de justice de l’Union européenne,6 à laquelle le législateur européen a emboîté très rapidement le pas, en codifiant ce que la jurisprudence audacieuse de la Cour communautaire avait déjà consacré.7 En Afrique, à la suite du processus continental d’appropriation des droits de l’homme à travers l’adoption de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (Charte africaine), les initiatives d’intégration économique sous-régionales, largement inspirées du modèle européen, se sont mises à leur tour aux couleurs des droits de l’homme. 8 Des organisations qui en sont issues, la Communauté Économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) demeure celle qui a le plus cristallisé le sujet, au regard de l’intensité de son action dans le domaine, mais également du caractère atypique du mécanisme qu’elle a adopté pour poursuivre la cause des droits de l’homme. Pourtant, le sujet est quasiment absent des premiers textes de l’organisation, notamment de son Traité constitutif, adopté en 1975, à une époque marquée par la polarisation Est-Ouest, avec comme conséquence, entre autres, le gel pendant des décennies de l’enthousiasme pro-humaniste de l’après seconde guerre mondiale et l’exclusion consécutive des droits de l’homme des sujets marquant les relations internationales.

Le sujet n’apparaît dans les textes de la CEDEAO qu’à partir des années 1990, coïncidant avec la chute du mur de Berlin qui symbolise la fin de la guerre froide. Les droits de l’homme constituent justement l’un des sujets fars de l’idéologie triomphante, à côté de la démocratie, dans les relations internationales, ce qui a pu influencer la prise en compte du sujet dans la construction de la Communauté ouest africaine. De toute façon, les droits de l’homme figuraient déjà dans l’agenda du continent africain et de ses organisations, lequel a abouti à l’adoption et à l’entrée en vigueur de la Charte africaine dans les années 1980.9 De plus, au niveau ouest africain, la conjoncture sociopolitique a été propice à l’entrée en jeu de la thématique des droits de l’homme, à la fin du XXe siècle; cette fin de siècle se révèle, en effet, cauchemardesque, avec la naissance et l’enracinement de nombreuses guerres internes qui menacent la paix et la stabilité de toute la sous-région. Ce contexte d’insécurité des années 1990 relègue de fait au second plan les questions de développement économique, le sous-continent ouest africain n’ayant guère de choix que de consacrer ses efforts et son énergie à juguler les crises sociopolitiques. La Communauté ouest africaine prend conscience que le développement économique ne peut être traité isolément, en tout cas pas indépendamment de la question sécuritaire, laquelle est, à son tour, déterminée par l’état de la démocratie et des droits de l’homme dans les Etats membres.

Si d’emblée, ni la nature, ni l’objet de l’organisation ne la prédestinait à un certain activisme dans le domaine des droits de l’homme pour la realisation de son objet, la CEDEAO a été contrainte à reconnaître l’importance des droits de l’homme. Elle s’est engagée depuis dans une dynamique de sauvegarde des droits de l’homme, consciente de ce que la stabilité et la sécurité dans ses Etats membres en dépendent. Parce que la CEDEAO n’avait pas été pensée à ses origines comme une organisation de protection des droits de l’homme, des réserves peuvent être formulées à l’endroit de cette nouvelle dimension de l’organisation, en se fondant sur « l’éloignement du sujet des droits de l’homme avec l’objet économique du projet CEDEAO » et sur « l’absence d’un catalogue des droits de l’homme propre à la CEDEAO. » 10 Nonobstant cette critique, et quels que pertinents que soient les arguments qui peuvent être avancés à l’appui, il a été donné de constater que, de 1975 à nos jours, la CEDEAO a fait l’objet d’une mue d’une telle ampleur, sur la question des droits de l’homme, qu’il serait plus juste de se demander si l’organisation n’a pas opéré un changement de nature, passant d’une communauté économique à une communauté politique.11 Toujours est-il que l’action de la Communauté dans le domaine des droits de l’homme est aujourd’hui réelle, à travers notamment sa Cour de justice qui, depuis l’amende-ment de son protocole en 2005,12 a focalisé sa juridiction sur les droits de l’homme. 13 Ce Protocole, qui a mandaté la Cour de justice de la CEDEAO pour connaître des violations des droits de l’homme, n’a cependant pas lié l’exercice de cette nouvelle compétence de l’organe juridictionnel à des instruments de protection des droits de l’homme propres à la CEDEAO, comme source des droits de l’homme. De toute façon, l’organisation n’en dispose pas, en réalité, et ses textes n’évoquent les droits de l’homme que de façon éparse, a-systémique, mis à part les droits-libertés inhérents à la mise en œuvre du marché commun. 14 Un aperçu du contentieux de la Cour de justice de l’organisation, en la matière, laisse apercevoir que celle-ci fonde son office quasi-exclusivement sur des instruments juridiques tiers à la CEDEAO, parmi lesquels la Charte africaine occupe une place particulière, du fait de la fréquence des renvois que lui font les textes de la CEDEAO et de sa ratification par tous les Etats membres de la Communauté.

En dépit de sa jeunesse dans le rang des organisations de protection des droits de l’homme, l’engagement de la CEDEAO dans le domaine ne manque guère d’intérêt pour la curiosité scientifique. Il fait déjà l’objet de considération dans la littérature juridique africaine, notamment dans la doctrine anglophone. Certes, dans certains écrits, la question semble avoir été abordée pour mémoire.15 Dans d’autres, elle a fait l’objet d’une attention particulière, soit pour saluer le mécanisme,16 soit pour le critiquer, tout au moins dans sa configuration,17 soit, enfin, pour le décrire tout simplement. Des études ont porté également sur des aspects très spécifiques de la problématique, telle que l’exécution des décisions de la juridiction communautaire 18 ou encore l’applicabilité du mécanisme communautaire pour garantir le droit à la nationalité dans les États d’Afrique de l’Ouest.19 Le sujet reste néanmoins encore à explorer, tant il est complexe, comme le reconnaît le Professeur Solomon Ebobrah. L’un des facteurs de sa complexi-fication réside dans la configuration institutionnelle d’arrimage du système ouest africain de protection des droits de l’homme, en l’occurrence, le schéma d’intégration économique qui sous-tend l’organisation-mère. A ce niveau, deux aspects méritent d’être élucidés: la compatibilité de la nature économique du système d’arrimage avec le mandat de protéger les droits de l’homme, d’une part, et l’incidence précisément de la nature spécifique du droit issu d’un tel système sur les droits protégés. Si le premier aspect a été largement abordé par beaucoup d’auteurs, notamment Ebobrah, le second n’a pas encore, à notre connaissance, beaucoup été discuté.20 Un autre facteur déterminant du système de protection des droits de l’homme demeure l’absence d’un catalogue propre sur lequel reposerait la mission de garantie des droits de l’homme que s’est adjugée l’organisation. Une telle situation pose la question de la validité des normes ainsi « empruntées » et de l’opportunité du mécanisme. Les auteurs ayant étudié la question21 ont, la plupart du temps, constaté le fait sans chalenger la justification profonde du dispositif. Tout au plus, s’interroge-t-on sur l’opportunité du dispositif. 22Un troisième facteur de complexification - et on en restera là - provient de la pratique, voire de la politique jurisprudentielle de la Cour de justice de la Communauté vis-à-vis de la règle d’épuisement préalable des recours internes qu’elle a refusé d’endosser. Si une telle posture peut paraître « une mine d’or » pour les droits de l’homme, elle peut à long terme se révéler être un volcan en attente d’éruption.23 Sur la question, les appréhensions sont clairement formulées par les auteurs, sans que cela ne soit une cause de rejet du système, mais aucun pour l’heure n’a analysé de façon très approfondie ni le bien-fondé, ni les conséquences de l’attitude péremptoire de la Cour de la CEDEAO.24

C’est dire que le système de garantie des droits de l’homme demeure encore un sujet à explorer sur bon nombre de ses aspects. Et c’est à des fins exploratoires que se positionne la présente étude, en ciblant quelques-unes des questions que suscite l’aventure humaniste de la CEDEAO. De ces questions, la toute première que l’on ne peut s’empêcher de se poser est celle de savoir si la CEDEAO, de par ses textes, sa nature et son objet, a qualité pour agir dans le domaine des droits de l’homme. Se pose aussi la question de la légalité du mécanisme d’emprunt des ressources juridiques de systèmes institutionnels tiers auquel recourt la CEDEAO dans cet engagement. D’un point de vue strictement juridique, quelle valeur conférer, dans un système juridique international donné, à des normes édictées dans le cadre d’un autre système juridique international, sans qu’il n’y ait de lien formel entre les deux systèmes?25 En d’autres termes, une organisation peut-elle se prévaloir, comme le fait la CEDEAO, de normes produites par une autre organisation? Le cas échéant, par quel procédé les normes de la première organisation produisent-elles leurs effets dans le second, et quel serait le régime des normes ainsi reçues?26  L’opportunité pour la CEDEAO de s’investir dans le domaine des droits de l’homme, pour mettre en œuvre les normes d’autres systèmes internationaux, peut être aussi questionnée: quelle est la valeur ajoutée de la garantie proposée par la CEDEAO à des droits déterminés et garantis déjà par d’autres systèmes de protection des droits de l’homme qui disposent de leur propre système de mise en œuvre?

C’est autour de ces questionnements que s’est construite la présente analyse, avec comme objectif général de déchiffrer la particularité du système de garantie des droits de l’homme de la CEDEAO. De façon spécifique, il s’est agi d’examiner les fondements de la légalité du système ainsi que les conséquences juridiques et pratiques du mécanisme institué sur les droits protégés. L’intérêt de l’étude est donc à la fois théorique et pratique. Du point de vue théorique, elle explore l’univers encore indécis des rapports de systèmes juridiques internationaux, que l’étude de la Commission du droit international sur la question de la fragmentation du droit international a stigmatisés,27 sans régler définitivement. Sur le plan pratique, elle apporte un certain éclairage sur la manière dont la Cour de justice de la CEDEAO mène son office de sauvegarde des droits de l’homme, dans une situation aussi complexe et, surtout, l’apport d’un tel mécanisme à la cause des droits de l’homme en Afrique.

L’étude, basée essentiellement sur une recherche documentaire, notamment une analyse des instruments juridiques de la CEDEAO et des instruments de protection des droits de l’homme auxquels renvoient les textes de la CEDEAO, avec quelques ouvertures vers des systèmes similaires aux fins de comparaisons, révèle que le système de garantie des droits de l’homme mis en œuvre dans le cadre de la CEDEAO, bien que reposant sur des normes d’emprunt, est juridiquement fondé (2), et qu’en dépit des critiques qu’il peut essuyer, l’effectivité des droits concernés s’en trouve relativement renforcée (3).

2 UNE GARANTIE JURIDIQUEMENT FONDÉE

L’analyse de l’engagement de la CEDEAO dans la protection des droits de l’homme permet de dissiper les incertitudes juridiques qu’il présente de prime abord, relativement à la compétence même de l’organisation dans le domaine des droits de l’homme et à la validité des sources sur lesquelles se fonde l’action protectrice de sa Cour de justice. Elle révèle que la compétence de la Communauté est bel et bien établie (2.1), et que le recours (systématique) aux sources exogènes, en l’absence d’un catalogue propre, est aussi autorisé (2.2).

2.1 Une compétence communautaire établie

Pour déterminer la compétence d’une organisation internationale, en raison du principe d’attribution des compétences qui la conditionne, le premier réflexe consiste à scruter le texte fondateur de l’organisation pour déceler la volonté des parties prenantes par rapport au sujet. Si la volonté des parties prenantes est expressément formulée pour confier à l’organisation une compétence donnée, l’organisation doit être considérée comme en disposant. A défaut, un second niveau d’analyse s’impose, qui consiste à rechercher éventuellement une volonté implicite des parties à l’organisation de lui reconnaître la compétence. Dans le cas de la CEDEAO, les doutes émis quant à la compétence de l’organisation ouest africaine pour investir le terrain des droits de l’homme28 reposent sur l’absence d’une formulation expresse d’une telle compétence (2.1.1.). Le silence des textes peut être suppléé néanmois en ayant recours à la théorie des compétences implicites (2.1.2).

2.1.1 L’absence d’une formulation expresse de la compétence communautaire

Le sujet des droits de l’homme, absent dans un premier temps, des textes de la CEDEAO, notamment du traité constitutif du 28 mai 1975, et alors manifestement étranger à l’objet économique de la CEDEAO, a progressivement intégré les textes fondamentaux de l’organisation, au fil de son évolution, faisant penser à une prise en charge évolutive de la problématique.

Dans la chronologie des faits, les premiers textes de la CEDEAO qui ont abordé le sujet des droits de l’homme datent du début des années 1990. Les textes les plus significatifs29 sur le sujet sont principalement: la Déclaration des principes politiques de la Communauté, adoptée le 6 juillet 1991,30 le Traité révisé de la CEDEAO du 24 juillet 1993 et le Protocole sur la démocratie et la bonne gouvernance du 21 décembre 2001.31 Le premier texte établit formellement le lien entre politique et intégration, la dimension politique de la Communauté comprenant entre autres, justement, la question des droits de l’homme. Le second acte, en l’occurrence, la révision du traité de la CEDEAO, en réponse « à la nécessité de s’adapter aux changements qui s’opèrent sur la scène internationale afin d’in tirer un meilleur profit »32 abonde littéralement sur le sujet des droits de l’homme, aussi bien dans son préambule que dans le corps de ses dispositions.33 L’une des dispositions emblématiques de ce nouveau pacte est celle faisant du « respect, [de la] promotion et [de la] protection des droits de l’homme et des peuples conformément aux dispositions de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples », un principe fondamental de la Communauté (article 4). Le troisième acte est le Protocole sur la démocratie et la bonne gouvernance, dont la portée matérielle lui a valu d’être qualifié de « constitution régionale pour l’espace CEDEAO ».34 Outre la consécration du respect des droits fondamentaux contenus dans la Charte africaine comme un des principes constitutionnels convergents pour les Etats membres,35 le Protocole prévoit des mesures visant à assurer l’effectivité de la protection des droits de l’homme dans les Etats membres, telles que l’obligation faite aux États membres de créer des institutions nationales indépendantes chargées de la promotion et de la protection des droits de l’homme dans les Etats membres (article 35), l’extension future du mandat de la Cour de justice communautaire pour intégrer la garantie des droits de l’homme (article 39)36 et la sanction des Etats membres en cas de violation massive des droits de l’homme (article 45).

Dans aucun de ces textes n’apparaît une attribution expresse à la Communauté de la compétence pour intervenir en vue de promouvoir ou protéger les droits de l’homme.37 Dans la Déclaration des principes politiques, les États membres de la Communauté s’engagent au respect d’un certain nombre de principes de nature politique tels que: le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans leur plénitude y compris les libertés spécifiques de pensée, de conscience, d’association, de religion ou de croyance pour tous sans distinction de race, de sexe, de langue ou de croyance; la promotion de la jouissance par tous les individus de leurs droits fondamentaux, notamment les droits politiques, économiques, sociaux, culturels et de toute autre nature qui sont inhérents à la dignité de la personne humaine et indispensables à son épanouissement; la promotion d’une démocratie pluraliste et de la participation des individus à la conduite des affaires publiques. De ces principes, il n’apparaît aucune mention du rôle de la Communauté dans la protection des droits de l’homme.

Le traité révisé, en plus de la mention de la problématique dans le préambule, s’y réfère à deux occasions, à savoir respectivement à l’article 4 et à l’article 56. Dans le préambule, les signataires rappellent leur attachement à la Charte africaine et à la Déclaration des principes politiques de la Communauté. L’article 4, quant à lui, énumère les principes fondamentaux auxquels adhèrent solennellement les parties signataires du traité, parmi lesquels figure celui du respect, de la promotion et de la protection des droits de l’homme et des peuples conformément aux dispositions de la Charte africaine. Enfin, l’article 56 rappelle aux Etats membres signataires des instruments internationaux de protection des droits de l’homme, leur devoir « de coopérer en vue d’assurer la réalisation des objectifs desdits accords ». Le traité révisé revient ainsi fréquemment sur le sujet des droits de l’homme, encourageant les Etats membres à les respecter, sans allusion aucune à une quelconque compétence de l’organisation commune pour les y accompagner ou les y contraindre.

Dans le Protocole A/SP1/12/01, la mention des droits de l’homme, bien que persistante, ne laisse pas apparaître non plus une habilitation de la Communauté pour agir. Le 1er article fait des droits de la personne,38 tels que contenus dans la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, un des principes constitutionnels communs à tous les Etats membres de la Communauté, et donne mandat aux juridictions nationales de les garantir. L’article 33 instruit les Etats membres et le Secrétariat exécutif de mettre en place des modalités pratiques devant permettre l’effectivité des droits de l’homme. L’article 35 prescrit la création dans les Etats membres d’institutions indépendantes chargées de la promotion des droits de la personne, avec obligation de produire régulièrement des rapports à la Communauté sur la situation des droits de la personne dans les Etats membres. Les seules dispositions dont il est possible de déduire un quelconque rôle de la Communauté en relation avec les droits de l’homme sont celles issues des articles 39 et 45 du Protocole A/SP.1/12.01: les premièrs annoncent l’élargissement du mandat de la Cour de justice pour intégrer la garantie des droits de l’homme, tandis que les secondes prévoient des sanctions contre les Etats membres au sein desquels serait perpétrée une violation massive des droits de l’homme.39

De l’économie de tous ces textes, ce qui est manifeste, c’est que les Etats membres ont entendu préciser leur responsabilité pour le respect, la promotion et la protection des droits de l’homme, avec l’accompagnement, le cas échéant, de la Communauté. Même l’article 39 du Protocole sur la démocratie et la bonne gouvernance, en annonçant l’élargissement du mandat de la Cour, dispose clairement qu’un tel mandat n’intervient qu’après épuisement des voies de recours interne, 40 ce qui sous-entend que la responsabilité première de la protection des droits de l’homme, y compris par voie juridictionnelle, incombe aux Etats membres. Si la Communauté veut se prévaloir d’une compétence, ce n’est qu’en invoquant la théorie des compétences implicites.

2.1.2 L’existence d’une compétence implicite de la Communauté

Véritable reflexion au principe de spécialité, le principe des compétences implicites permet d’étendre la compétence d’une organisation au-delà de ce que la lettre de ses textes constitutifs lui reconnaît formellement. Il se fonde principalement sur une argumentation fonctionnaliste, partant du postulat que rien n’est absurde en droit international. Le principe postule que l’organisation internationale doit être considérée comme possédant « ces pouvoirs qui, s’ils ne sont pas expressément énoncés dans la Charte, sont, par une conséquence nécessaire, conférés à l’Organisation en tant qu’essentiels à l’exercice des fonctions de celle-ci. »41 Pour déterminer une telle compétence, doivent être pris en compte, « la nature même de l’organisation créée, les objectifs qui lui ont été assignés par ses fondateurs, les impératifs liés à l’exercice effectif de ses fonctions ainsi que sa pratique propre».42

En empruntant cette démarche suggérée par la Cour internationale de justice, il est possible de parvenir à l’idée que la CEDEAO dispose d’une certaine compétence pour intervenir dans le domaine des droits de l’homme. Il suffit, pour ce faire, de démontrer, comme l’a fait le Pr Solomon Ebobrah, que, même si la prise en compte des droits de l’homme dans le traité révisé de 1993 n’a pas impacté l’objet de la Communauté,43 et bien que ledit traité n’ait point établi de rapport entre l’action de promouvoir et de protéger les droits de l’homme et « l’objectif final » de la Communauté44 qui demeure « le développe-ment économique accéléré et soutenu des États membres »,45 l’existence d’un tel rapport est de toute évidence. Car, explique l’auteur:

le bilan de la CEDEAO sous le régime du traité de 1975 démontre les difficultés rencontrées par l’organisation pour atteindre les objectifs économiques sans se préoccuper des questions politiques dont celles liées à la situation des droits de l’homme dans les Etats membres. Les effets des conflits internes directement ou indirectement liés au déni et à la demande de protection des droits de l’homme ont empêché la CEDEAO d’atteindre les objectifs fixés et ont conduit l’organisation à se tourner vers la quête de la sécurité.46

A cette argumentation, peut s’ajouter l’argument de « la pratique », plus précisément la pratique de la Cour de justice de la Communauté. Le terme pratique doit être appréhendé ici de façon très large. Il désigne la « manière habituelle d’agir, de procéder ou de décider d’un Etat ou d’une organisation internationale; le comportement habituel d’un organe ».47 Dans cette perspective, si le Protocole A/SP1/01/05 avait été exclu des sources susceptibles de fonder directement la compétence de la Communauté dans les questions relatives aux droits de l’homme, il fonde l’intervention de l’institution communautaire que constitue la Cour. En retour, l’activité de la Cour peut être utilisée comme preuve d’une pratique de la Communauté dans le domaine, et fonder par conséquent, de façon implicite, la compétence de la Communauté, surtout que cet activisme semble rencontrer l’assentiment des Etats membres. Aucun Etat n’a pour l’heure remis radicalement en cause la mise en œuvre de cette compétence de la Cour.48 N’est-ce pas là une preuve que telle est la volonté des Etats membres - non explicitée dans les textes - de voir leur organisation commune agir pour garantir les droits de l’homme? Dix ans de garantie jurisprudentielle des droits de l’homme dans le chef de la CEDEAO semblent suffisants pour attester que cette dernière a bien établi sa place au rang des organismes de protection des droits de l’homme. Elle a d’ailleurs connu le même cheminement que son homologue européenne, l’Union européenne, qui, partie aussi d’un silence de carpe des textes sur le sujet des droits de l’homme, a dû s’ajuster à la marche du temps, résolument orientée vers la garantie des droits de l’homme, sans qu’aucun Etat ne s’insurge contre une telle extension de compétence, au-delà de l’objet initial des Communautés, puis de l’Union. Toutefois, les deux expériences se distinguent quant aux instruments juridiques employés pour assurer la garantie des droits de l’homme. En effet, tandis que la Cour de justice de l’Union européenne se fonde sur le droit de l’Union européenne, dont elle considère les droits de l’homme comme des principes généraux de droit,49 la Cour de la CEDEAO puise directement dans les ressources des différents systèmes de protection des droits de l’homme liant les Etats membres de la Communauté.

2.2 Un recours aux sources exogènes permis

La Cour de justice de la CEDEAO, dans l’exercice de son nouveau mandat de sauvegarde des droits de l’homme, s’appuie quasi-exclusivement sur des instruments élaborés et adoptés par des systèmes juridiques tiers. Ce faisant, elle s’adjuge un rôle d’interprète et d’adjudicateur de ces systèmes vis-à-vis desquels son organisation-mère demeure une tierce organisation. Sall, dans son étude sur la « justice de l’intégration », ne manque pas d’exprimer quelques inquiétudes sur cette habilitation de la Cour à recourir aux instruments internationaux de protection des droits de l’homme, qui sont étrangers à la CEDEAO. Pour lui, le fait que « les textes qui régissent sa compétence, en ne limitant pas celle-ci aux seuls instruments conçus dans le cadre de la CEDEAO » ne peut qu’en rajouter au caractère flou des droits de l’homme « comme objet de compétence juridictionnelle ».50

En soit, cette pratique n’est cependant pas propre qu’à la Cour de justice de la CEDEAO. Elle ne semble présenter aucune contrariété avec les règles du droit international général (2.2.1). Le débat porte davantage sur la justification de la pratique, du point de vue du droit interne de l’organisation (2.2.2).

2.2.1 La neutralité du droit international général

L’absence d’une constitution mondiale et la nature fragmentaire 51 du droit international qui en résulte, rend les règles de ce droit quelque peu relatives - exception faite des règles dites erga omnes et des règles de ius cogens52 - en limitant la portée de la plupart de ces règles aux cercles des sujets du droit constitués par les parties auxdits traités. On imagine ainsi très difficilement un effet translatif des règles, d’un régime ou système international à un autre. Dans un tel contexte, le fait pour l’organe d’un système de recourir aux règles d’un autre système titille la curiosité quant à sa légitimité, voire à la validité des règles ainsi empruntées. La question est d’autant plus intéressante dans la perspective des débats sur la fragmentation du droit international, un bon nombre justement de systèmes juridiques internationaux ayant été qualifiés de systèmes autosuffisants, du fait de leur complétude et de leur quasi-fermeture vis-à-vis des autres systèmes.53

Les systèmes dits autosuffisants ont leur propre dispositif de mise en œuvre et n’ont donc pas besoin de l’intervention de structures externes, en dehors des organes des Etats membres, pour se réaliser. Justement, le système continental africain de protection des droits de l’homme peut être qualifié comme tel, s’étant doté de son arsenal institutionnel à même d’assurer l’effectivité des normes, en l’occurrence, la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, instituée déjà dans la Charte africaine, et la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, instituée par le Protocole de Ouagadougou. La Cour de justice de la CEDEAO n’est pas prévue dans ce dispositif. Comme le fait remarquer le Sall, « lorsque les Etats parties à la Charte ont entendu assortir le mécanisme de Banjul d’une sauvegarde judiciaire, ils ont tout simplement créé la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, à travers le Protocole de Ouagadougou de 1998 ».54 C’est dire que l’on peut être dubitatif quant à l’opportunité, du point de vue du système de la CADHP, du lien établi par le juge de la CEDEAO entre sa compétence à connaître des violations des droits de l’homme et les instruments du système africain.

Il y a lieu de mentionner que la Cour de justice de la CEDEAO n’est pas unique dans cette situation. Le statut de la CIJ, par exemple, dispose que «  La Cour, dont la mission est de régler conformément au droit international les différends qui lui sont soumis, applique (a) les conventions internationales, soit générales, soit spéciales, établissant des règles expressément reconnues par les Etats en litige ».55 Le Protocole de Ouagadougou prévoit également, en ce qui concerne le champ de compétence de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, que:

La Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et de tous les différends dont elle est saisie concernant l’interprétation et l’application de la Charte, du présent Protocole, et de tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l’Homme et ratifié par les Etats concernés. 56

Les autres juridictions internationales, la plupart, d’envergure régionale - sauf la Cour pénale internationale - ont leur compétence limitée à l’interprétation et à l’application des conventions et protocoles relevant des systèmes juridiques dont elles sont dérivées. C’est le cas, par exemple, de la Cour interaméricaine des droits de l’homme, de la Cour européenne des droits de l’homme, de la Cour de justice de l’Union européenne,57 et de la Cour de justice de l’Union économique et monétaire ouest africaine. Ces juridictions se conforment, pour leur part, au principe selon lequel

la juridiction est (...) au service d’un traité, qu’elle applique ou interprète lorsque, précisément, des difficultés surviennent au sujet de cette application ou de cette interprétation [et qu’]en principe donc, sa compétence ne devrait pas déborder le champ du traité et des actes subséquents adoptés dans le cadre [du traité]. 58

Ainsi, la pratique suivie par la Cour de justice de la CEDEAO, bien qu’elle ne soit pas partagée par toutes les juridictions internationales, n’est pas un cas isolé, ce qui n’est pas une raison pour s’interdire de s’interroger sur sa régularité, du point de vue du droit international.

Pour éclairer le débat, la doctrine internationale n’est pas d’une grande aide. Si elle s’est très abondamment intéressée aux questions de rapports de systèmes, dans le cadre notamment du débat sur la fragmentation du droit international, elle les a appréhendées sous l’angle conflictuel, en exacerbant les risques de contrariétés et en tentant de proposer des solutions aux conflits pouvant en survenir.59 Or, il s’agit ici moins de conflit que de la validité ou de l’applicabilité de règles au-delà de leur contexte institutionnel d’origine.

La Convention de Vienne de 1986 sur le droit des traités entre Etats et organisations internationales et entre organisations inter-nationales60 offre des ressources permettant de dissiper les inquiétudes quant à la légalité - ou à la non-prohibition - de la pratique de recours aux sources exogènes en droit international. Il s’agit des dispositions relatives à l’application successive de traités et de celles relatives à l’effet des traités sur les Etats et les organisations tiers.

La relation qu’envisage la Cour de justice de la CEDEAO avec les instruments internationaux de protection des droits de l’homme, en général, et les instruments du système de la Charte africaine, en particulier, peut être éclairée, en premier lieu, par l’article 30 de la Convention de Vienne, qui porte sur « l’application de traités successifs portant sur la même matière », plus précisément son paragraphe 4. Dans la relation, les instruments du système de la Charte africaine se présenteraient comme « le traité antérieur », vis-à-vis des textes de la CEDEAO, qui formeraient « le traité postérieur ». 61 Le paragraphe 4, qui régit spécifiquement les situations dans lesquelles les parties au traité antérieur ne sont pas toutes parties au traité postérieur est applicable au rapport entre le système CEDEAO et la Charte, les textes de la CEDEAO prenant toujours le soin, en se référant aux instruments de protection des droits de l’homme, de mentionner la précision « que les Etats membres ont ratifiés ». 62

Dans cette configuration, le paragraphe 4(b) prévoit que dans les relations entre les Etats parties aux deux traités - ici, les Etats membres de la CEDEAO, dans leur intégralité ou même individuellement pris, en ce qu’ils sont également parties aux instruments des systèmes antérieurs - le traité antérieur s’applique dans la mesure où ses dispositions sont compatibles avec celles du traité postérieur. La logique de cette règle, c’est que des parties à un traité antérieur peuvent s’accorder ultérieurement pour déroger à des clauses convenues dans le cadre d’un premier accord, tant que les relations avec les autres membres du traité antérieur ne sont pas affectées. Si des parties peuvent s’entendre pour déroger, a fortiori le peuvent-elles pour consolider leurs relations ou améliorer l’efficacité des dispositions du traité antérieur.

Le rapport entre le droit de la CEDEAO et le droit de la Charte africaine peut être appréhendé également sous l’angle des « effets d’un traité sur une organisation tierce » et recevoir l’éclairage des articles 34 et 36 de la Convention de Vienne. L’article 34 pose le principe selon lequel « un traité ne crée ni obligations ni droits pour un Etat tiers ou pour une organisation tierce sans le consentement de cet Etat ou de cette organisation ». L’article 36 quant à lui règle les situations dans lesquelles des traités peuvent produire des effets positifs pour des Etats ou des organisations tiers. Le paragraphe 2 dudit article porte précisément sur les droits qui pourraient naître d’un traité au profit d’une organisation tierce. La CEDEAO demeure une organisation tierce vis-à-vis de la Charte africaine et de ses protocoles, n’étant pas personnellement partie à ladite Charte; ce statut de tiers par rapport aux instruments du système de la Charte africaine n’est pas pour autant un obstacle dirimant à l’applicabilité des règles dudit système dans le cadre de la CEDEAO, puisque le paragraphe 2 en question entrevoit la possibilité qu’un traité produise des effets (positifs) sur une organisation tierce. Deux conditions sont requises pour une telle éventualité: il faut que l’effet ait été voulu par les parties au traité, d’une part, et que l’organisation tierce y ait également consenti.63

Certes, dans le cas d’espèce, la volonté des Etats parties à la Charte de conférer un quelconque droit à la CEDEAO n’est pas exprimée; mais elle peut être aisément présumée, de l’esprit de la Charte qui entend bénéficier du concours de tous pour une effectivité des droits de l’homme sur le continent africain. Quant au consentement de la CEDEAO, il est acté dans les différents textes qui se réfèrent clairement aux instruments du système de la Charte. La CEDEAO peut donc valablement se prévaloir des droits de l’homme définis dans des instruments internationaux, bien qu’elle demeure, à leur égard, une organisation tierce.

Au regard de ces dispositions de la Convention de Vienne de 1986 et du droit positif des traités entre Etats, le recours par une juridiction internationale aux dispositions d’un traité par rapport auquel l’institution est tierce, ne paraît pas en contradiction avec les règles du droit international, même si le statut des règles d’emprunt demeure indécis: faut-il les considérer comme du droit conventionnel, alors même que l’organisation utilisatrice n’est pas partie aux instruments sources? Serait-ce un élément du droit interne de l’organisation utilisatrice, alors même qu’elles n’ont pas été adoptées suivant les règles procédurales prescrites dans les textes constitutifs de l’organisation? 64

Dans tous les cas, il revient au droit interne de l’organisation de fournir des réponses à ces questions.

2.2.2 L’habilitation du droit interne de la CEDEAO

Dans son office, la compétence de la Cour de justice de la Communauté a été mise à rude épreuve, non pas tant pour connaître des violations des droits de l’homme que pour l’utilisation des sources exogènes. Dans l’affaire SERAP c. Nigéria, par exemple, la République fédérale du Nigéria a soutenu fermement que « la Cour n’a pas compétence pour examiner les allégations de violation du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) ». Pour la partie défenderesse dans cette instance, « la Cour n’est compétente que pour juger les affaires concernant les traités, conventions et protocoles de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest ».65 Pour y faire face, la Cour de justice a, dans un premier temps, tenté de s’appuyer sur l’article 20(1) - ancien article 19(1) du Protocole sur la Cour - qui renvoyait à l’article 38 du Statut de la Cour internationale de justice. Dans l’arrêt Ugokwe c. Nigéria, elle a évoqué cette référence à l’article 38 du Statut de la CIJ pour justifier le fait qu’elle puisse se fonder sur d’autres textes que ceux de la CEDEAO.66 Elle n’a pas insisté, par la suite, sur ce renvoi « aux principes du droit tels que définis dans l’article 38 de la CIJ »,67 préférant utiliser une autre méthode, celle de l’incorporation ou appropriation par « renvoi ».

Dans ce registre, la Cour part du principe que les textes communautaires se référant aux instruments internationaux, en général, et à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples ainsi que ses protocoles, en particulier, produisent l’effet d’intégrer les droits contenus dans ces instruments dans le droit de la CEDEAO,68 droit pour lequel elle est compétente pour assurer l’interprétation et l’application dans tous différends qui lui seraient soumis.69 Ce principe peut être déduit, en effet, des textes qui procèdent à ces référencements.

De ces textes, le Protocole sur la démocratie et la bonne gouvernance, pris ultérieurement à la révision du Traité, sans doute pour intégrer l’avancée de l’appropriation de la question par l’organisation ouest africaine, est celui qui pose clairement le principe d’intégration. Il y procède à l’article 1(h) en disposant:

Les droits contenus dans la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des peuples et les instruments internationaux sont garantis dans chacun des Etats membres de la CEDEAO; tout individu ou toute organisation a la faculté de se faire assurer cette garantie par les juridictions de droit commun ou par une juridiction spéciale ou par toute Institution nationale créée dans le cadre d’un Instrument international des Droits de la Personne.

En faisant de cette disposition un principe de convergence constitutionnelle, le Protocole l’inscrit, d’une certaine façon, dans la « constitution régionale ». Ainsi donc, les droits contenus dans la Charte africaine et ses différents protocoles - tout comme les autres instruments relatifs aux droits de l’homme auxquels sont parties les Etats membres - sont à considérer alors comme des droits que sont tenus de sauvegarder les Etats membres, non pas tant en leur qualité d’origine, c’est-à-dire, comme des dispositions des conventions en question, mais plutôt en tant que « principes constitutionnels communs à tous les Etats membres de la CEDEAO ».70 Le Protocole confère également à la disposition une applicabilité directe, ce qui consolide la nature communautaire de ces droits.71

Le juge de la CEDEAO n’a cependant pas eu besoin de passer par ce détour pour fonder le principe qu’il expose clairement dans un certain nombre de cas, notamment dans les affaires Ugokwe c. Nigéria et Dame Hadidjtou Koraou c. Niger.72 Dans la première, la Cour fonde le recours aux sources externes à la Communauté, en l’espèce, la Charte africaine, sur la référence à la Charte africaine dans le traité révisé de la CEDEAO. La même assertion est reprise dans l’affaire Hadidjtou Koraou avec un souci de pédagogie. La Cour y explique longuement qu’en mentionnant dans le Traité révisé de la CEDEAO de 1993, à son article 4(g), que les Etats membres de la CEDEAO adhèrent aux principes fondamentaux de la Charte africaine, « le législateur communautaire a voulu tout simplement intégrer cet instrument dans le droit applicable devant la Cour de Justice de la CEDEAO ».

La Cour utilise une technique bien rôdée en droit interne, notamment en droit constitutionnel, au sujet de la doctrine du bloc de constitutionnalité,73 à savoir la technique de constitutionnalisation « par renvoi » aux instruments internationaux de protection des droits de l’homme,74 en l’occurrence, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, la Déclaration universelle des droits de l’homme et « les instruments internationaux », pour reprendre la formule large de l’article 1er du Protocole A/SP1/12/01 sur la démocratie et la bonne gouvernance.

Toutefois, le système CEDEAO fait un usage très extensif de la technique. Il élargit le champ du droit communautaire au-delà des instruments auxquels se réfèrent expressément les textes communautaires, pour appréhender la matière tout entière des droits de l’homme. Dans l’affaire SERAP c. Nigéria, par exemple, la Cour estime que lorsque les Etats membres adoptaient le Protocole A/SP1/12/01, les droits de l’homme qu’ils avaient en vue étaient ceux contenus dans les instruments internationaux, sans exception aucune, dont ils étaient tous signataires.75 La Cour prête ainsi aux Etats membres, l’intention de lui conférer le pouvoir de s’appuyer sur toute source utile, pour peu que ceux-ci y aient adhéré, pour assurer sa mission nouvelle de sanctionner les violations des droits de l’homme perpétrés dans les Etats membres de la Communauté.

Ainsi, la Cour est partie de la référence à certains instruments internationaux de protection des droits de l’homme dans les textes fondamentaux de la CEDEAO pour étendre le périmètre du droit communautaire à tous les textes normatifs, pour les Etats membres, dont l’objet, les droits de l’homme, est clairement référencé dans le Protocole A/SP.1/01/05. L’appropriation communautaire des instruments de protection des droits de l’homme ne se fonde donc plus uniquement sur les références qui leur sont spécifiquement faites dans les textes de la Communauté; elle se satisfait dès l’instant où est prouvée, la normativité d’un texte pour les Etats membres dans leur ensemble ou individuellement pris, qui seraient mis en cause dans une violation des droits de l’homme. Dans l’état actuel de la jurisprudence de la Cour de la CEDEAO, toutes dispositions d’un instrument de protection des droits de l’homme opposables à un Etat membre, font parties des dispositions dont la Cour a la charge d’assurer le respect. En d’autres termes, elles deviennent des dispositions du droit de la Communauté.

De cette perspective, le recours aux sources externes est conforme à l’esprit et à la lettre des textes propres de la CEDEAO qui, au-delà des renvois à ces instruments externes, considèrent les droits contenus dans ces instruments comme étant dorénavant des droits conférés par la CEDEAO.

De toute évidence, le mécanisme de recours de la Cour de la CEDEAO aux normes de la Charte africaine, non seulement ne contrevient à aucune règle de droit international, mais en plus, tire clairement ses sources des textes fondamentaux de la CEDEAO. Le système comporte cependant quelques limites, parmi lesquelles, le risque d’une garantie communautaire « à la carte », en raison de la différence de ratification des instruments externes ou mêmes des protocoles de la CEDEAO, d’un Etat à un autre. Les citoyens communautaires n’auraient pas ainsi droit à une protection uniforme, la protection dont bénéficie chacun étant tributaire du niveau d’adhésion de l’Etat indexé aux instruments de protection des droits de l’homme. Une autre limite demeure dans le fait que la Communauté n’a pas la maîtrise des droits à protéger, reposant sur les acquis des autres systèmes de protection des droits de l’homme. Dans un tel contexte, on peut bien se demander si le jeu en vaut la chandelle. Qu’apporte bien de plus ce système de garantie à la carte que n’offrent pas déjà les systèmes dont il emprunte précisément les éléments?

Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’implication de la CEDEAO dans la mise en œuvre des normes issues de ces instruments participe à en renforcer l’effectivité.

3  UNE EFFECTIVITÉ RELATIVEMENT RENFORCÉE

Les normes relatives à la réalisation des droits de l’homme, bien que d’emprunt, bénéficient dans le système de la CEDEAO, d’une protection relativement meilleure, comparée à celle accordée par leur système d’origine, en l’occurrence, le système universel ainsi que le système continental africain. C’est dire que le système CEDEAO de garantie des droits de l’homme améliore l’effectivité des droits de l’homme. Le renfort du système ouest africain réside dans la transformation de la nature des règles (3.1) et dans leur justiciabilité devant l’organe judiciaire de la CEDEAO (3.2).

3.1 La communautarisation des droits de l’homme

Le régime de la garantie des droits de l’homme dans la CEDEAO repose, plus que sur un mécanisme d’emprunt, sur un système d’appropriation de droits consacrés dans d’autres systèmes, dont le système continental. Si ces normes apparaissent exogènes, au départ, elles ne le sont plus au bout du processus. Par un artifice dont seule la CEDEAO a le secret, « (...) la Communauté fait siens ces instruments, en se les appropriant », en les intégrant dans l’édifice juridique communautaire. Cette intégration produit l’effet « de leur conférer des dimensions étrangères à leur système d’origine »76 - celles d’un ordre juridique communautaire (3.1.2) - et de les en émanciper (3.1.1).

3.1.1 L’émancipation du système d’origine

L’intégration des droits de l’homme par la CEDEAO dans son système normatif comporte l’effet de les sortir de leur système d’origine en vue d’intégrer le système d’accueil.77 Elle les émanciperait, c’est-à-dire, les autonomiserait ainsi du système dont ils sont issus. « L’autonomisation signifie que la règle perd ses attaches avec son système d’origine dont l’interprète du droit communautaire n’est pas tenu de prendre en compte ».78 Des symboles forts de l’autonomisation des droits de l’homme empruntés par le système juridique de la CEDEAO, on peut retenir, entre autres, la justiciabilité de ces droits devant la Cour communautaire, le refus par cette dernière de se conformer au régime d’origine des normes relatives aux droits de l’homme, notamment la règle de l’épuisement des voies de recours internes et, de façon plus générale, la liberté d’interprétation que s’accorde la Cour dans son office.

La justiciabilité des droits de l’homme contenus dans la Charte africaine et les autres instruments internationaux, devant le juge communautaire est, en soit, une expression de l’autonomisation de ces droits, par rapport à leur système d’origine, celui-ci n’ayant certainement pas prévu la Cour de justice de la CEDEAO comme un organe adjudicateur de la règle. La Cour de justice de la CEDEAO, non seulement s’attribue la compétence de connaître des dispositions de systèmes juridiques qui ne l’ont pas prévue dans leur dispositif, mais, en plus, estime ne pas être liée par les aménagements institutionnels des systèmes juridiques dans le cadre desquels les instruments ont été adoptés. Elle s’octroie ainsi une certaine autonomie, par rapport aux instruments externes qu’elle incorpore dans le droit communautaire, vis-à-vis de leur système d’origine. L’une des illustrations de cette prise de liberté est le refus marqué de la Cour de se soumettre à la règle d’épuisement des voies de recours internes en vigueur dans la plupart des systèmes juridiques de protection des droits de l’homme auxquels la Cour emprunte les instruments, notamment le système de la Charte internationale des droits de l’homme et celui de la Charte africaine.79

Alors que la Commission africaine et la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, en se fondant sur les articles 50 et 56 de la Charte africaine, considèrent la règle d’épuisement préalable des voies de recours internes, comme une condition de recevabilité,80 la Cour de justice de la CEDEAO s’en est défaite, faisant observer dans une de ses décisions que,

s’il est constant que la protection des droits de l’homme par les mécanismes internationaux est une protection subsidiaire, il n’en demeure pas moins que cette subsidiarité connaît depuis quelques temps, une évolution remarquable qui se traduit par une interprétation très souple de la règle de l’épuisement des voies de recours interne.81

Elle en déduit que le législateur de la CEDEAO s’est sans doute conformé à cet appel en n’en faisant pas une condition de recevabilité devant la Cour.82 Dans l’affaire Ocean King Nigeria LTD c. République du Sénégal, la Cour, manifestement exaspérée par l’insistance des parties à invoquer la règle d’épuisement des voies de recours internes, entreprend d’expliquer sa position:

La règle de l’épuisement des recours internes découle du droit international coutumier qui exige l’épuisement des recours internes avant qu’une demande puisse être portée devant un tribunal international. Cependant, ce n’est pas une règle inflexible. Par exemple, la Cour internationale de Justice a déclaré dans l’affaire Electronica Sicula Sp.4 (affaire ELSI, deuxième phase, CIJ Rec. 1989), que l’exigence de l’épuisement des recours internes pouvait être levée par une disposition expresse d’un traité. Ainsi, en vertu de l’article XI (1) de la Convention de 1972 sur la responsabilité internationale pour les dommages causés par des objets spatiaux, l’exigence de l’épuisement des recours internes a été levée.83

Elle rappelle par ailleurs la constance de sa jurisprudence sur le sujet:

la Cour a décidé dans une pléthore de cas, comprenant les cas Pr Etim Moses Essien c. République de Gambie & Anor (Rôle général n° ECW/CCJ/APP/05/05, jugement rendu le 29 octobre , 2007), Musa Saidykhan c. République de Gambie (Rôle général n° ECW/CCJ/APP/11/07, arrêt rendu le 16 décembre 2010), et Hadijatou Mani Koraou c. République du Niger (...), que l’épuisement des voies de recours internes n’est pas une condition préalable à l’introduction d’une action en réparation de la violation des droits de l’homme dont elle est saisie. En conséquence, un plaignant n’est pas tenu d’épuiser les recours internes pour avoir accès à cette Cour. 84

A aucun moment la Cour ne se réfère à l’article 56 de la Charte africaine, ni à aucune autre règle procédurale de la Charte, comme pour montrer que de telles dispositions ne la lient nullement.

Une attitude comparable a pu être relevée au niveau de la Cour de justice de l’Union européenne qui a devancé la Cour de la CEDEAO dans cette technique d’emprunt - appropriation. Elle aussi, bien que puisant abondamment dans le catalogue des droits de l’homme de la Convention européenne des droits de l’homme, ne s’est jamais sentie liée par la Convention dans son intégralité, procédant alors de façon sélective au recours aux droits catalogués dans cet instrument. A ce sujet, Denys Simon fait observer qu’en dépit de la reconnaissance du rôle joué par la Convention européenne des droits de l’homme dans la définition des droits fondamentaux au sein de l’ordre juridique communautaire, « la Cour s’est soigneusement abstenue de reconnaître qu’elle pouvait, d’une manière ou d’une autre, lier la Communauté européenne ».85 La différence qui existe entre la jurisprudence de la juridiction européenne et celle ouest africaine, c’est que la dernière fonde la validité des règles empruntées des instruments sur celle des instruments dont ces règles sont tirées, tandis que pour la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), si la Convention est une source d’inspiration privilégiée, « il n’en reste pas moins vrai qu’elle n’applique pas la Convention pour elle-même. (...) ».86 D’une certaine manière, la CJUE estime que l’applicabilité des dispositions de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme dans ses différents Etats membres en fait un ensemble de principes généraux du droit de l’Union. C’est à ce point de divergence que se trouve le malaise avec le système CEDEAO: la CJC, tout en émancipant les règles qu’elle emprunte des systèmes d’origine est contrainte de fonder leur validité sur la seule normativité de leurs instruments.

3.1.2 Les attributs de droit communautaire

En rappel, le principe d’intégration qui se dégage de la technique d’appropriation des normes de systèmes exogènes par le système CEDEAO, permet d’intégrer dans le droit communautaire CEDEAO toutes dispositions d’instruments internationaux de protection des droits de l’homme valides dans les Etats membres. En faisant siennes, ces normes, le droit de la CEDEAO en transforme la nature: il les communautarise. Ce faisant, il leur transfère les attributs qui font de cette nouvelle catégorie de droit, un ensemble de normes relativement plus effectives, par rapport aux normes du droit international, en général. Selon une jurisprudence devenue classique pour les systèmes juridiques communautaires, les spécificités de l’ordre juridique communautaire sont son applicabilité directe et sa primauté. C’est dans ce sens que l’on doit comprendre l’avis de la Cour de justice de l’Union européenne qui considéra comme caractéristiques essentielles de l’ordre juridique communautaire « sa primauté par rapport aux droits des Etats membres ainsi que l’effet direct de toute une série de dispositions applicables à leurs ressortissants et à eux-mêmes ».87

L’effet direct ou encore l’applicabilité directe a pu être définie comme « l’aptitude d’une règle de droit (...) à conférer par elle-même aux particuliers, (...) des droits dont ils puissent se prévaloir devant les autorités (juridictionnelles) de l’Etat où cette règle est en vigueur. »88 En d’autres termes, c’est le droit pour toute personne de demander à son juge de lui appliquer le droit communautaire, avec l’obligation pour ce dernier « de faire usage de ce droit quelle que soit la législation du pays dont il relève ».89 Elle implique alors que la règle peut être invoquée, par les particuliers, dans le but de tirer un droit de celle-ci et, si nécessaire, de faire écarter par le juge toute disposition du droit de l’Etat membre non compatible avec le droit communautaire.90

L’effet direct91 des droits de l’homme dont s’approprie la CEDEAO, a été clairement affirmé dans le Protocole sur la démocratie et la bonne gouvernance, au titre précisément des principes de convergences constitutionnelles. L’article 1(h) dudit protocole dispose, en effet:

Les droits contenus dans la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des peuples et les instruments internationaux sont garantis dans chacun des Etats membres de la CEDEAO; tout individu ou toute organisation a la faculté de se faire assurer cette garantie par les juridictions de droit commun ou par une juridiction spéciale ou par toute Institution nationale créée dans le cadre d’un Instrument international des Droits de la Personne.

En cas d’absence de juridiction spéciale, le présent Protocole additionnel donne compétence aux organes judiciaires de droit civil ou commun.

Si dans la pratique, les normes relatives aux droits de l’homme ont fait leur chemin dans les systèmes juridiques nationaux et sont revêtues d’une certaine invocabilité, cette disposition est de nature à renforcer la confiance du juge national dans les Etats membres de la CEDEAO, sa compétence pour connaître des violations des droits de l’homme étant clairement confirmée. En plus, au cas où de dispositions internes, les juridictions en présence n’auraient pas les compétences appropriées, cette disposition intime l’ordre aux Etats de mettre en place un dispositif supplétif, de façon à garantir l’effectivité de l’applicabilité directe des droits de l’homme.

Toutefois, la pratique au sein de la CEDEAO tend à vider le principe de son contenu. Le mécanisme de l’effet direct instaure, en effet, un dialogue permanent entre le juge national et le juge communautaire, faisant du premier, le juge de droit commun du droit communautaire, et du second, le gardien de l’interprétation et de l’application uniformes dudit droit. Or, ignorant allègrement cette disposition, la Cour de justice de la CEDEAO s’est transformée en juridiction de droit commun du droit communautaire, toutes les fois où les normes relatives aux droits de l’homme sont en cause, en dispensant les justiciables du passage devant les juridictions internes.92 L’applicabilité directe des normes d’emprunt n’a pas de sens si la compétence pour connaître de leur violation est retirée aux juridictions nationales et si le juge communautaire se substitue à elles.

L’applicabilité directe, parce qu’elle peut requérir du juge national d’écarter une règle de droit interne incompatible avec une norme communautaire, pour être effective, implique que la norme communautaire l’emporte systématiquement dans les conflits avec les normes internes. Elle s’accompagne donc nécessairement de la primauté. La primauté, en soit, signifie que la règle à laquelle elle s’applique occupe un rang supérieur aux autres normes qui seraient en conflit avec elle. Comme telle, la notion a la même signification en droit international général et en droit communautaire. La spécificité de la primauté en droit communautaire réside dans sa portée. Cette spécificité a été résumée par la Cour de justice de l’UEMOA dans l’un de ses avis en ces termes:

La primauté bénéficie à toutes les normes communautaires, primaires comme dérivées immédiatement applicables ou non, et s’exerce à l’encontre de toutes les normes nationales administratives, législatives, juridictionnelles et, même constitutionnelles parce que l’ordre juridique communautaire l’emporte dans son intégralité sur les ordres juridiques nationaux.93

Cette portée générale et absolue de la primauté est une spécificité du droit communautaire. Il ne saurait en être autrement, sans remettre en cause précisément la spécificité de l’ordre juridique communautaire, voire, son existence même. Elle est consubstantielle au droit communautaire. En effet, pour reprendre les termes de Pierre Pescatore,

l’existence même de la Communauté est mise en cause dès lors que l’ordre juridique communautaire ne peut pas se réaliser avec des effets identiques et avec une efficacité uniforme sur l’ensemble de l’aire géographique de la Communauté.94

Le caractère absolu de la primauté en droit communautaire, comme l’a souligné la Cour de justice de l’UEMOA dans son avis 1/2003, confère une préséance au droit communautaire même sur le droit constitutionnel. C’est sur cette dimension de sa portée que le principe n’a pas été accueilli avec enthousiasme par les juridictions constitutionnelles européennes.95 Pour l’heure, le principe tel que formulé n’a pas encore fait l’objet d’un rejet de principe par les juridictions constitutionnelles africaines. Au contraire, la Cour constitutionnelle du Bénin, dans sa Décision DCC 00-072 du 17 novembre 2000, reconnaît au droit communautaire, sa place dans le droit positif béninois, alors même qu’il contrevient aux dispositions de l’article 98 de la constitution, ce qui est une façon subtile de reconnaître à l’ordre juridique communautaire une certaine suprématie, tout en le rangeant dans le bloc de constitutionnalité.96

Ainsi, en s’appropriant les droits contenus dans la Charte africaine et dans les autres instruments internationaux de protection des droits de l’homme, le système CEDEAO leur conférerait cette préséance inconditionnelle sur toute norme interne, quelle qu’en soit la source, ce qui renforcerait l’efficacité de leur garantie dans les Etats membres. Une telle primauté pet être tirée des dispositions du Protocole sur la démocratie et la bonne gouvernance qui, en plaçant « les droits de l’homme contenus dans la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et les instruments internationaux » au rang de principes de convergence constitutionnelle, a sans doute entendu en faire des normes supra-constitutionnelles, c’est-à-dire, des normes auxquelles le pouvoir constituant lui-même ne pourrait pas déroger. Il les met ainsi à l’abri de tout conflit de normes, en leur conférant un rang supérieur.

Cet abri est d’autant plus sûr que dans l’agencement des compétences avec les instances nationales, la Cour de justice de la Communauté s’est adjugé pratiquement un monopole de la justiciabilité des droits de l’homme en question, pour peu que leurs violations soient imputables aux Etats membres.

3.2 La justiciabilité des droits de l’homme devant la justice communautaire

La justiciabilité des droits de l’homme dans le système communautaire est de nature à renforcer l’effectivité de ces droits, en consolidant le processus de juridictionnalisation enclenché au niveau continental, voire universel. Il ne s’agit cependant pas juste d’une « justice de plus »: la justice communautaire, surtout celle de la CEDEAO en matière des droits de l’homme comporte des aspects innovants, voire révolutionnaires. Pour Sall, la révolution s’est produite sur deux points majeurs où on l’attendait: une plus grande ouverture de l’accès au prétoire des juridictions aux personnes privées, d’une part (3.2.1) et l’accroissement de l’autorité attachée aux décisions judiciaires,97 d’autre part (3.2.2).

3.2.1 Une accessibilité accrue des justiciables au prétoire de la Cour

En accédant au statut de règles de droit communautaire, par emprunt ou par absorption, voire par appropriation,98 les droits de l’homme bénéficient dorénovant de la garantie juridictionnelle de la Communauté. Toutefois, les termes du Protocole A/SP1/01/05, taillés sur mesure pour établir au profit de la Cour communautaire une compétence pour connaître des cas de violation des droits de l’homme, ainsi que la pratique jurisprudentielle de l’institution communautaire, tendent à éloigner la justiciabilité de ces droits du régime de droit commun. Bien que ce régime dérogatoire des droits de l’homme devant le prétoire du juge d’Abuja soit critiquable sur cet angle, il a comme conséquence au moins d’accroître « la puissance juridictionnelle »99 de la Cour, faisant de ces droits « naturalisés » les « privilégiés de la république ».

Le régime de droit commun du système judiciaire communautaire, qui s’applique ordinairement aux règles du droit communautaire régissant les rapports verticaux entre les Etats et les justiciables instaure, pour l’essentiel du contentieux - c’est-à-dire, le contentieux principal,100 une coopération entre le juge national et le juge communautaire. Dans ce schéma, le juge national est le juge de droit commun du droit communautaire, c’est-à-dire, celui à qui incombe, en premier lieu, la responsabilité d’assurer l’application du droit communautaire. C’est une conséquence même de l’applicabilité directe. La juridiction communautaire intervient, en aval, comme le garant de l’application et de l’interprétation uniformes du droit communautaire. Il est saisi pour ce faire par les juridictions nationales, facultativement ou impérativement, en fonction de l’existence encore ou non d’une voie de recours interne, par le mécanisme de renvoi préjudiciel.101

A la lecture de l’article 1(h) du Protocole sur la démocratie et la bonne gouvernance, on peut penser que la CEDEAO a voulu un tel mécanisme de garantie pour les droits de l’homme, un mécanisme dans lequel le juge national serait le « juge naturel du droit communautaire », et « la Cour supranationale serait une sorte de Cour suprême ».102 Ce n’est pourtant pas ce qu’a instauré le Protocole A/SP.1/01/05 portant amendement du Protocole relatif à la Cour de justice de la Communauté. Celui-ci a conféré une compétence directe à la Cour supranationale, supprimant de ce fait l’échelon national de l’organisation de la justice communautaire. En disposant que « la Cour est compétente pour connaître des cas de violation des droits de l’Homme dans tout Etat membre », sans autre mention, l’article 9 nouveau du Protocole relatif à la Cour de justice de la Communauté reconnaît aux justiciables communautaires, une accessibilité directe à la Cour, sans besoin de passer par l’échelon national.103 Enfonçant le clou, la Cour de justice, dans sa jurisprudence, interprète cette disposition comme la dispensant de l’obligation d’observer la règle d’épuisement des voies de recours interne comme condition de recevabilité des recours.104

Bien que critiquable sur ce point « cette ouverture est une véritable aubaine, voire, une première dans l’univers institutionnel africain de protection des droits de l’homme »,105 pour ce qui concerne strictement le renforcement de la juridictionnalisation des droits de l’homme. Pour la Cour de justice de la CEDEAO elle-même, c’est une révolution, quand on sait qu’avant le Protocole de 2005, le particulier ne pouvait bénéficier des services de la Cour qu’à travers son Etat d’origine106 et que la Cour de justice de la CEDEAO se cantonnait dans une fonction de justice internationale, ne pouvant être saisie que par les sujets attitrés du droit international, à savoir, les Etats membres et les institutions de la Communauté. La Cour a ainsi débouté un particulier, dans l’une de ses toutes premières affaires - l’affaire Oladije Afolabi c. Nigéria107 - en appliquant strictement les dispositions de l’article 9(3) du Protocole de 1991.

Comparée aux autres juridictions internationales des droits de l’homme, accessibles aux justiciables ouest africains, l’ouverture du prétoire du juge de la CEDEAO est sans précédent. Certes, le Protocole à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples relatif à la création de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples a prévu, lui aussi, une certaine accessibilité des particuliers à son office Cour. Mais la formule censée accorder l’accès aux particuliers laisse à désirer, le Protocole de Ouagadougou disposant que la Cour africaine « peut permettre aux individus ainsi qu’aux ONG dotées du statut d’observateur auprès de la Commission africaine d’introduire des requêtes directement devant elle ».108 Cette disposition laisse ainsi à la Cour toute latitude pour accepter ou non les recours des particuliers. De plus, l’accès des particuliers est conditionné par l’acceptation préalable de l’Etat en cause, qui y procède par une déclaration au titre de l’article 34(6) du Protocole de Ouagadougou.109 « Ainsi, l’État contre lequel une action est introduite doit, non seulement être partie au Protocole, mais plus important encore (s’agissant de ces deux catégories de requérants), avoir consenti à la juridiction de la Cour, condition commune et sine qua non de sa compétence. » 110

Du point de vue des droits protégés, la position de la Cour de justice de la CEDEAO s’avère bénéfique. En mettant la Cour communautaire en compétition directe avec les juridictions nationales, dans le domaine des droits de l’homme, cette situation devrait inciter les juridictions nationales à faire preuve de célérité. Ces dernières devraient faire preuve de plus de perspicacité pour ne pas voir leurs justiciables préférer le juge communautaire, toutes les fois où sont en cause les violations des droits de l’homme.111

Au-delà de cet avantage comparé procédural, la justiciabilité des droits de l’homme devant le juge communautaire leur fait bénéficier de l’autorité attachée à la juridiction de la Cour de la CEDEAO.

3.2.2 Une autorité accrue des décisions de la Cour

La portée des décisions de la Cour de justice de la CEDEAO a été précisée depuis le protocole de 1991, qui dispose à son article 62 que « l’arrêt a force obligatoire à compter du jour de son prononcé ». Le traité révisé de 1993 a été plus explicite, en précisant que « les arrêts de la Cour de justice ont force obligatoire à l’égard des Etats membres, des institutions de la Communauté et des personnes physiques et morales ».112

En plus de ce caractère obligatoire, le régime juridique des décisions de la Cour comporte un aspect peu familier des systèmes juridictionnels internationaux: le caractère exécutoire.113 Ce caractère de la premiére décision du juge communautaire a été consacré par le Traité révisé, à son article 76, et repris par l’article 24 nouveau du Protocole relatif à la Cour qui dispose que « les arrêts de la Cour qui comportent à la charge des personnes ou des Etats, une obligation pécuniaire, constituent un titre exécutoire ». Ils peuvent faire l’objet d’une exécution forcée. Le caractère exécutoire des arrêts de la Cour implique, en principe, que les Etats ont l’obligation de faire cesser immédiatement les violations et, au-delà, de procéder sans délai à l’acquittement des obligations pécuniaires, le cas échéant.

La portée des décisions de la Cour doit cependant être relativisée, au regard de la non-détention par l’exécutif communautaire, à l’instar des Etats, d’une force à même de contraindre, au besoin, le respect d’une décision de sa Cour. Pour l’exécution de ses décisions, la CEDEAO est obligée de compter sur la collaboration des autorités nationales. Précisément, dans les systèmes juridiques internes, l’autorité des décisions de la Cour ainsi que leur caractère exécutoire peuvent se buter à la règle de l’immunité d’exécution des Etats qui fait obstacle à la réalisation d’une exécution forcée contre les Etats. Au finish, le respect des décisions de la Cour demeure largement tributaire de la bonne volonté des Etats membres indexés dans les décisions qui demeurent maîtres de l’exécution des arrêts de la Cour.114

Il n’en demeure pas moins que le dispositif institutionnel de la Communauté, dans son ensemble, est à même d’obliger politiquement les Etats membres à respecter, voire, à exécuter les décisions de la Cour. Certes, la pratique a déjà laissé voir quelques situations d’irrévérence de la part des Etats membres, certaines décisions de la Cour communautaire ayant déjà souffert de la négligence, voire de la méprise des autorités des Etats condamnés dans ces décisions, sans qu’aucune action particulière n’ait été entreprise au niveau de la Communauté, pour y remédier. C’est le cas notamment des affaires Madame AMEGANVI Manavi Isabelle et autres c. l’Etat du Togo et Congrès pour la Démocratie et le Progrès (CDP) et Autres c. l’Etat du Burkina Faso.

Dans la première affaire,115 les autorités togolaises ont refusé de tirer les conséquences de la décision du juge communautaire et de réintégrer par conséquent les demandeurs dans l’hémicycle, alors que la Cour dans sa décision avait semblé leur donner raison contre l’Etat togolais.116 Dans cette affaire précisément, saisie à nouveau par les requérants par une demande en révision, avec comme motif que la Cour dans son arrêt du 7 octobre 2011 a omis de trancher sur leur demande en réintégration, la Cour n’a pas manqué de signifier son impuissance face à l’inaction des autorités nationales, en usant d’arguments qui s’assimilent à une fuite en avant. En effet, la Cour, en estimant que la nouvelle demande formulée par les requérants s’apparente à un recours contre une décision de la Cour Constitutionnelle de la République Togolaise,117 refusa de se prononcer sur la demande de réintégration qui, selon elle, « si elle était ordonnée, équivaudrait à l’annulation de la décision de la Cour Constitutionnelle pour laquelle la Cour de justice de la Communauté n’a pas de compétence ».

Dans la seconde affaire,118 alors que la Cour avait conclu à l’irrégularité du Code électoral du Burkina Faso, tel que modifié par la loi n° 005-2015/CNT du 7 avril 2015, en ce qu’il constitue « une violation du droit de libre participation aux élections » et ordonné conséquemment à l’Etat du Burkina de lever tous les obstacles à une participation aux élections consécutifs à cette modification, le Conseil constitutionnel du Burkina Faso a maintenu les critères d’exclusion incriminés par la Cour régionale, refusant ainsi de faire allégeance à la décision de la Cour communautaire.119 Aucune action de la Communauté n’a été perçue, à la suite de ce refus ostentatoire de se conformer à la décision de la justice communautaire, sauf lorsque la crise politique qui sourdait, entre autre, en raison de cette fameuse loi d’exclusion épinglée par le juge communautaire, a débouché dans un coup d’Etat, obligeant la Communauté à sortir à nouveau de son silence.

Ces cas de non-exécution manifeste, par les autorités nationales, et même, de façon générale, le faible taux d’exécution constaté par les rapports du greffe de la Cour de justice de la Communauté, ne remettent pas en cause le principe du caractère obligatoire et exécutoire des décisions de la Cour et le mérite d’ensemble du dispositif communautaire. Dans tous les cas, la Cour de justice est inscrite dans un système institutionnel doté de mécanismes pour faire respecter son droit, notamment celui repris dans l’Acte Additionnel A/SA.13/02/12 du 17 février 2012 portant régime des sanctions applicables à l’encontre des Etats membres qui n’honorent pas leurs obligations vis-à-vis de la CEDEAO. Aux termes justement de cet acte additionnel, les Etats qui ne respecteraient pas les décisions prises par les organes de la Communauté, y compris les décisions de la Cour de justice, « encourent des sanctions judiciaires et des sanctions politiques »,120 la sanction judiciaire étant la constatation d’un manquement et ouvrant la voie aux voies politiques.121 Bien que ces ressources juridiques et politiques ne soient pas encore très utilisées à ce jour,122 elles n’en constituent pas moins un élément à prendre en compte pour apprécier l’apport de la Communauté dans la mise en œuvre des droits de l’homme, en général, et des droits de la Charte africaine, en particulier.123

C’est dire que l’offre de garantie du système institutionnel de la CEDEAO aux droits de l’homme définis dans les instruments du système continental, n’est pas anodine et superfétatoire par rapport au système continental de sauvegarde des droits de l’homme. Elle forme un système atypique qui est de nature à renforcer l’effectivité des droits concernés, du fait de l’efficacité hors du commun du système juridique et institutionnel de la CEDEAO.

4  CONCLUSION

La réforme institutionnelle qu’a connue la CEDEAO au début du XXIe siècle a été très favorable à la problématique des droits de l’homme qui a fait son chemin dans la construction de la Communauté ouest africaine, tant et si bien qu’aujourd’hui la CEDEAO ne saurait se définir sans son pendant humaniste. Pour paraphraser Burgorgue-Larsen après l’âge ingrat, celui de l’indifférence; l’âge mûr, celui de la reconnaissance, l’histoire de la protection communautaire des droits fondamentaux a pris une toute autre dimension avec l’avènement de l’âge d’or, celui de la consécration. Elle s’est matérialisée tout d’abord par l’inscription expressis verbis des droits fondamentaux dans l’édifice constitutionnel communautaire, avant d’intégrer formellement le champ de la compétence de la juridiction communautaire.124 Cet attelage de la problématique des droits de l’homme au processus de réalisation d’une intégration économique a donné lieu à l’émergence d’un système atypique de protection des droits de l’homme, un système dont l’une des spécificités demeure dans l’absence d’un catalogue propre qui est suppléée dans la pratique jurisprudentielle par un mécanisme de recours, voire un procédé d’emprunt - appropriation de droits contenus dans des instruments à l’origine exogènes par rapport au système communautaire.

Ce système de sauvegarde des droits de l’homme titube encore de sa jeunesse, mais également de sa configuration inédite qui ne lui permet pas de beaucoup apprendre de ses semblables. L’instance juridictionnelle, le véritable moteur de cette machine communautaire pro-humaniste a opéré des choix très critiquables d’un point de vue théorique, mais qui, pour l’heure, semblent au bénéfice des droits de l’homme qui s’en trouvent plus effectivement et efficacement garantis. Cette aventure de la Cour hors des sentiers battus des systèmes de sauvegarde des droits de l’homme n’est pas garantie de pérennité, car il n’est pas certain que les juridictions nationales écartées du schéma communautaire de garantie juridictionnelle des droits de l’homme se cantonnent dans leur mutisme. Certaines attitudes irrévérencieuses des juridictions constitutionnelles des Etats membres vis-à-vis des décisions de la Cour communautaire peuvent être interprétées déjà comme l’amorce d’une fronde contre la « puissance juridictionnelle » de la Cour régionale dans le domaine des droits de l’homme. Une autre variable à appréhender dans la construction du système ouest africain de garantie des droits de l’homme est l’attitude à la fois des justiciables ouest africains et de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples qui a été opérationnalisée après que la Cour de la CEDEAO se soit proclamée adjudicatrice des droits contenus dans la Charte, ces mêmes droits que la Cour africaine a pour mandat de protéger. S’achemine-t-on vers une situation de forum shoping dans l’espace de la sous-région ouest africaine, sur fond de « droits communs »? Peut-on espérer un dialogue des juges, quand on sait que l’attitude du juge communautaire a été, jusque-là, une forme d’esquive d’un tel dialogue, tout au moins vis-à-vis du juge national? 125

 


1. E Roosevelt ‘In our hands’ Discours de 1958 prononcé à l’occasion du dixième anniversaire de la déclaration universelle des droits de l’homme.

2. La Déclaration universelle des droits de l’homme, qui sonne le top départ de la dynamique contemporaine des droits de l’homme, a été adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies, à Paris, le 10 décembre 1948.

3. En effet, quelles que soient les avancées enregistrées, le droit international demeure toujours le droit des relations interétatiques, l’individu étant toujours tenu à l’écart des sujets attitrés du droit international.

4. Ainsi qualifiait la Cour de justice des Communautés européennes, l’ordre juridique communautaire dans deux de ses arrêts fondateurs, en l’occurrence, l’arrêt Van Gend en Loos, CJCE (5 février 1963), Aff. 26/62, Rec.1963 et l’arrêt Costa contre ENEL, CJCE (15 juillet 1964), Aff. 6/64, Rec 1141. Il s’agit ici d’un croisement des formules issues des deux arrêts, à savoir celle de l’arrêt Van Gend en Loos qui qualifia l’ordre juridique de la Communauté économique européenne de ‘nouvel ordre juridique de droit international’, et l’arrêt Costa, d’ordre juridique propre, intégré au système juridique des États membres’.

5. A Soma ‘Les caractères généraux du droit communautaire’ (2017) 1 Revue CAMES/SJP 376.

6. La Cour de justice des Communautés européennes a, dans un premier temps, ‘proclamé que les actes communautaires devaient, à peine de nullité, être compatibles avec les droits fondamentaux de la personne, compris dans les principes généraux du droit dont elle assure le respect’ (D Simon ‘Des influences réciproques entre CJCE et CEDH: ‘je t’aime, moi non plus’?; (2001) 96 Pouvoirs 35, commentant l’arrêt Stauder  (Stauder CJCE (12 novembre 1969), aff. 29/69, Rec.419). Elle a ensuite considéré comme source de ces droits fondamentaux, ‘les instruments internationaux concernant la protection des droits de l’homme, auxquels les Etats membres ont coopéré ou adhéré’ (Nold  CJCE (14 mai 1974) aff. 4/73, Rec.491, cité par Simon, 35).

7. Après avoir adopté une Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, en 2000, il a mentionné dans le Traité sur l’Union européenne, à son article 6(3) que ‘Les droits fondamentaux, tels qu’ils sont garantis par la Convention européenne de sauvegarde les droits de l’Homme et des libertés fondamentales et tels qu’ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres, font partie du droit de l’Union en tant que principes généraux. »

8. Il en est ainsi de la Communauté économique des Etats de l’Afrique Centrale (CEEAC), de la South African Development Community (SADC), de l’Autorité Intergouvernementale pour le Développement (IGAD) et de la Communauté Économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Voir, pour un aperçu rapide de la prise en compte des droits de l’homme dans les activités de ces organisations sous-régionales: M Mubiola Le système africain de protection des droits de l’homme (2005) 172-183. C’est le cas aussi de l’Union Économique et Monétaire Ouest africaine (UEMOA), dont l’article 3 dispose d’emblée que ‘L’Union respecte dans son action les droits fondamentaux énoncés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 et la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples de 1981’.

9. La Charte a été adoptée le 27 juin 1981 à Nairobi et est entrée en vigueur le 21 octobre 1986.

10. R Yougbaré ‘La garantie communautaire du droit à la nationalité dans le cadre de la CEDEAO’ (2018) Revue CAMES/SJP 479.

11 C’est une question que s’est posée le Pr Solomon Ebobrah en ces termes: ‘Considering the wide differences in the form in which human rights find expression in the [two] constitutional epochs of ECOWAS (the 1975 and the 1993

11. constitutional epochs), it becomes interesting to engage the question whether ECOWAS has transformed from an economic integration initiative into a political integration scheme’ (ST Ebobrah ‘A critical analysis of the human rights mandate of the ECOWAS Community Court of Justice’ (2008) in Research Partnership 11).

12. Protocole additionnel (A/SP1/01/05) du 19 janvier 2005 portant amendement du Protocole relatif à la Cour de justice de la Communauté.

13. Un point fait en 2009 par le Professeur Alioune Sall, aujourd’hui juge à la Cour de justice de la CEDEAO, laisse voir la frénésie de la Cour et des justiciables depuis l’adjonction de la nouvelle compétence. Depuis, « le rythme du travail de la Cour s’est (...) brutalement accru, les sollicitations sont devenues plus nombreuses, mais cette réalité cache une donnée inquiétante: le délaissement du contentieux des règles édictées par l’organisation internationale et une polarisation autour d’un contentieux des ‘droits de l’homme’ ». Voir: A Sall La justice de l’intégration. Réflexions sur les institutions judiciaires de la CEDEAO et de l’UEMOA (2011) 27. Pour les statistiques du développement de la jurisprudence de la Cour, se reporter à la page 79.

14. Il s’agit des libertés constitutives de la libre circulation des personnes (droit d’entrée, droit de séjour, droit de résidence, d’établissement, ...) et de la libre circulation des biens, des capitaux, etc. La présente analyse ne prend pas en compte ces libertés qui sont des droits fonctionnels, c’est-à-dire, des droits accordés pour les besoins de l’intégration économique, et non des droits de l’homme pris comme tels.

15. Voir par exemple: Mubiala (n 8) et F Viljoen International human rights law in Africa (2012).

16. K Alter et al ‘A new international human rights court for West Africa: the ECOWAS Community Court of Justice’ (2013) 108 American Journal of International Law 1; ST Ebobrah ‘Human rights development in African sub-regional economic communities during 2009’ (2010) 10 African Human Rights Law Journal 240.

17. Voir Ebobrah (n 11) et Sall (n 13).

18. SH Adjolohoun Giving effect to the human rights jurisprudence of the Court of justice of the Economic Community of West African States. Compliance and influence (2013) PhD Thesis University of Pretoria.

19. Yougbaré (n 10).

20. Adjolohoun est l’un des rares à avoir abordé le sujet, mais spécifiquement sous l’angle de l’exécution des décisions de la Cour. Voir Adjolohoun (n 18) 382.

21. Ebobrah (n 11) et Sall (n 13).

22. Sall (n 13).

23. Ebobrah, ‘A rights protection goldmine or a waiting volcanic eruption? Competence of, and access to, the human rights jurisdiction of the ECOWAS Court of Justice’ (2007) 7 African Human Rights Law Journal 328. Voir aussi Sall (n 13).

24. La question n’est pas non plus véritablement débattue dans la présente analyse, car elle mériterait à elle seule une étude à part.

25. Par lien, il est entendu ici la possibilité pour une organisation internationale donnée d’être partie à une autre organisation, ce qui justifie la validité des normes produites dans le cadre de cette dernière dans l’ordre juridique de la première. Cette hypothèse ne concerne pas le cas en présence, la CEDEAO n’étant pas partie à aucune des conventions, à aucun des instruments auxquels se réfèrent ses textes. D’ailleurs, même si elle l’avait voulu, non seulement elle ne l’aurait pas pu, les instruments africains se montrant fermés à l’adhésion d’autres sujets que les Etats (voir Arrêt Femi Falana c. Union africaine, Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (26 juin 2012), Requête n°001/2011), mais également cela n’aurait pas changé la donne, puisqu’il ne s’agit pas ici de la responsabilité personnelle de la CEDEAO au regard de son (éventuelle) obligation de respecter les droits de l’homme, mais plutôt d’un engagement volontaire à jouer un rôle actif dans la garantie des droits de l’homme contre précisément leur violation par d’autres sujets du droit africain des droits de l’homme, en l’occurrence, les Etats.

26. Ces questionnements sont inévitables, au regard du caractère fragmenté de l’ordre juridique international, la société internationale ne disposant pas d’une constitution qui organiserait les rapports entre tous les sujets du droit international. Du moins, si l’on en conçoit une, ce serait au sens donné par Hammarskjöld A., pour qui, ‘la véritable organisation ou constitution internationale est celle qui résulte de l’ensemble des cercles plus ou moins superposés, dont chacun est formé par les Etats qui sont groupés autour d’un objet déterminé’ (AD Hammarskjöld ‘Les immunités des personnes investies de fonctions internationales’ (1936) RACADI 114).

27. Voir Rapport du groupe d’étude de la CDI sur la fragmentation du droit international, A/CN.4/L.682 du 13 avril 2006.

28. Voir les réserves de l’auteur et celles d’autres auteurs sur le sujet (n 10, 11 et 13 ci-dessus).

29. D’autres actes, dont le Protocole relatif au mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité, signé à Lomé, le 10 décembre 1999, ont évoqué aussi le sujet des droits de l’homme, sans apporter d’éléments nouveaux. La présente analyse se focalise sur les actes qui ont marqué des étapes dans le processus d’institutionnalisation de la CEDEAO comme acteur dans la sauvegarde des droits de l’homme.

30. Déclaration A/DCL.1/7/91 du 06 juillet 1991.

31. Protocole A/SP.1/12/01 sur la démocratie et la bonne gouvernance additionnel au Protocole relatif au mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité.

32. Préambule du Traité révisé

33. Voir notamment les articles 3 et 56 du Traité révisé.

34. IM Fall et A Sall ‘Une constitution régionale pour l’espace CEDEAO: le Protocole sur la démocratie, et la bonne gouvernance de la CEDEAO’ in S Bolle (dir) La Constitution en Afrique - http://www.la-constitution-en-afrique.org/article-34239380.html (consulté le 12 octobre 2018).

35. Art 1(h) du Protocole A/SP.1/12/01.

36. Faisant suite à l’annonce du Protocole A/SP.1/12/01, est adopté le 19 janvier 2005 le Protocole additionnel (A/SP1/01/05) portant amendement du Protocole relatif à la Cour de justice de la Communauté. Ce texte couronne l’ascension de la CEDEAO vers son statut de système de protection des droits de l’homme, en consacrant explicitement la compétence de sa Cour à connaître des violations des droits de l’homme dans les Etats membres.

37. Pour savoir si les textes de la Communauté qui abordent le sujet des droits de l’homme ont modifié ou étendu la compétence de l’organisation pour y intégrer la promotion et la protection des droits de l’homme, le Professeur ST Ebobrah propose de distinguer la compétence de l’organisation-mère, ici la CEDEAO comme organisation internationale, détentrice de la compétence, de celle de ses institutions, en l’occurrence, celle de la Cour de justice de la Communauté, qui est en principe dérivée de la compétence de l’organisation. L’auteur part du postulat que l’institution ne saurait détenir une compétence que l’organisation elle-même n’a pas. Il suggère dès lors de ne tenir compte, dans l’analyse, que des textes qui viseraient l’organisation-mère. Voir: Ebobrah (n 11). Le Juge Alioune Sall est du même avis: ‘ la juridiction est, pourrait-on dire, au service d’un traité, qu’elle applique ou interprète lorsque, précisément, des difficultés surviennent au sujet de cette application ou de cette interprétation. En principe donc, sa compétence ne devrait pas déborder le champ du traité et des actes subséquents adoptés dans le cadre de la CEDEAO.’ (Sall, n 13) 16. Suivant cette logique, le Protocole additionnel (A/SP1/01/05) portant amendement du Protocole relatif à la Cour de justice de la Communauté doit être occulté, tout au moins dans un premier temps, en ce qu’il ne porte pas sur la compétence de l’organisation, mais sur celle d’un de ses organes. Les seuls textes pertinents à prendre en compte sont donc le Traité révisé de 1993, le Protocole A/SP1/12/01 sur la démocratie et la bonne gouvernance et de la Déclaration des principes politiques de la CEDEAO. On pourrait être tenté d’écarter également la Déclaration des principes politiques de la CEDEAO, au regard de son apparente faible portée juridique. Si la Déclaration n’est, ni en droit international général ni en droit CEDEAO une source d’obligations juridiquement contraignantes, on peut considérer que les nombreuses références qui lui sont faites par des textes d’une portée juridique indéniable (Traité révisé, Protocoles, etc.) l’incorporent au bloc de constitutionalité communautaire.

38. Les textes de la CEDEAO utilisent indistinctement et de façon interchangeable, tantôt la terminologie des droits de l’homme, tantôt celle des droits de la personne, ou encore, celle de droits fondamentaux comme équivalentes.

39. Il convient de relever, au sujet de ce protocole, qu’il demeure à l’heure actuelle l’un des instruments les plus prolixes de la CEDEAO dans le domaine des droits de l’homme. En effet, en plus des renvois aux instruments internationaux auxquels les Etats membres ont souscrits, il se risque à énumérer un certain nombre de droits précis tels: la liberté de presse, la liberté de religion, d’opinion, la liberté d’association, de réunion et de manifestation pacifique, les droits des femmes, les droits des enfants, etc.

40. Certes, la Cour a considéré que cette disposition est nulle et de nul effet, au motif qu’elle serait en contradiction avec les dispositions du Traité révisé dont fait partie le Protocole de 1991 relatif à la Cour de justice de la Communauté, dans son arrêt Ocean King Nigeria LTD c. la République du Sénégal, CJC (8 mai 2011) Arrêt n° ECW/CCJ/JUD/07/11): ‘Article 39 of the Protocol on Democracy and Good Governance, which is clearly in conflict with the provisions of Article 4(d) of the Supplementary Protocol of 2005 with respect to the exhaustion of local remedies as a condition precedent to the institution of an action in human rights is null and void to the extent. The 1991 Protocol, as amended by the Supplementary Protocol, forms an integral part of the Treaty and thus the exclusion of exhaustion of local remedies under the Protocol is perfectly valid in international law’.

41. Réparation des dommages subis au service des Nations Unies, Avis consultatif: CIJ Recueil 1949, 182.

42. Licéité de l’utilisation des armes nucléaires par un Etat dans un conflit armé, avis consultatif, CIJ, Recueil 1996, 75.

43. ‘Can it therefore be argued that human rights realisation has become a goal of the organisation or alternatively, that it represents a ‘means’ for achieving organisational goals? A quick answer would be that human rights realisation is not yet one of the goals of ECOWAS as the purposes of an organisation can only be found in the constitutional instrument of the organisation and cannot be implied’ (Ebobrah (n 11) 13).

44. ‘The revised Treaty does not engage the link between human rights realisation and the goal of raising living standards through economic integration.’ (Ebobrah (n 11) 13).

45. Préambule du Traité révisé.

46. Traduction par l’auteur du passage suivant: ‘However, the record of ECOWAS under the 1975 Treaty demonstrates the difficulties that the organisation faced in implementing the economic goals without attending to the political issues linked with domestic human rights situations. The effects of domestic conflicts directly or indirectly related to denial of, and demand for human rights protection prevented ECOWAS from achieving set goals and resulted in moving the organisation towards security ends.’ (Ebobrah (n 11) 13).

47. J Salmon (dir) Dictionnaire de droit international public (2001) 860.

48. Certes, il convient de relativiser cette déduction, au regard du faible taux d’exécution par les Etats membres des décisions de la Cour de justice de la Communauté relativement aux violations des droits de l’homme pour lesquelles ils sont épinglés. Ce manque d’entrain des Etats peut s’analyser comme une fronde silencieuse contre la juridiction de la Cour.

49. Voir les développements ci-dessous.

50. Sall (n 13) 27.

51. Le débat sur la fragmentation du droit international a fait rage dans les deux dernières décennies, surtout avec la publication du Rapport du groupe d’étude de la CDI sur la fragmentation du droit international, A/CN.4/L.682 du 13 avril 2006. Pour un aperçu critique de la controverse, voir: B Conforti ‘Unité et fragmentation du droit international. “Glissez, mortels, n’appuyez pas!”’ (2017) 111 Revue générale de droit international public 1.

52. En s’inspirant d’un considérant de la CIJ dans l’affaire Barcelona Traction (affaire de la Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited (Belgique c. Espagne) (deuxième phase), CIJ Recueil 1970 32), les règles erga omnes sont celles qui imposent des obligations aux Etats envers la Communauté internationale dans son ensemble et envers lesquelles tous les Etats peuvent être considérés comme ayant un intérêt juridique à ce que les droits qui sont en cause soient protégés. Quant aux normes de jus cogens, selon l’article 53 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, une de jus cogens ou ‘norme impérative du droit international général est une norme acceptée et reconnue par la communauté internationale des Etats dans son ensemble en tant que norme à laquelle aucune dérogation n’est permise et qui ne peut être modifiée que par une nouvelle norme du droit international général ayant le même caractère’.

53. Voir le Rapport du groupe d’étude de la CDI sur la fragmentation du droit international. La qualification a été donnée aux systèmes conventionnels dotés d’organes d’exécution et d’adjudication (interprétation et application) et disposant d’une certaine autonomie vis-à-vis des autres systèmes pour leur0 mise en œuvre.

54. Sall (n 13) 75-76.

55. Art 38(1)(a) du Statut de la Cour internationale de justice. Il est vrai que cette instance, ‘instituée par la Charte des Nations Unies comme organe judiciaire principal de l’Organisation’ (article 1er du Statut de la CIJ), se voit comme la juridiction de droit commun du droit international, ce qui expliquerait l’ouverture de sa compétence à interpréter et à appliquer toute règle de droit international.

56. Art 3(1) du Protocole de Ouagadougou.

57. La Cour de justice de l’Union européenne, bien qu’elle ait admis l’importance particulière à accorder à la Convention européenne des Droits de l’homme, n’a pas franchi le pas pour considérer les droits consacrés par cette convention comme constituant des sources directes du droit de l’Union dont il a la charge d’assurer l’interprétation et l’application uniforme (voir arrêts Stauder, Nold). Sa conception du rapport de systèmes lui a imposé une attitude de différenciation, ce qui l’a contrainte à ne se référer aux dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme, comme de tout autre instrument exogène, que comme ‘source d’inspiration’ et, au mieux, comme source des principes généraux du droit de l’Union.

58. Sall (n 13) 29.

59. Voir n 54.

60. Certes, la Convention de Vienne de 1986 sur le droit des traités entre Etats et organisations internationales et entre organisations internationales n’est pas encore formellement en vigueur. Mais, les dispositions qui sont ici concernées sont une réplique de la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités entre Etats. C’est dire que ces dispositions sont en vigueur dans le droit international interétatique; les extrapoler pour régler la situation juridique des organisations internationales ne paraîtra pas contraire au droit international.

61. La postériorité résulte ici de ce que la plupart des textes instaurant cette dynamique inter-systémique entre la CEDEAO et le système de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples - respectivement la Déclaration des principes politiques, en 1991, le Traité révisé en 1993, le Protocole sur la démocratie et la bonne gouvernance, en 2001 et le Protocole portant amendement au Protocole relatif à la Cour de Justice de la Communauté, en 2005 - sont postérieurs à l’adoption de la Charte intervenue en 1981.

62 Sont donc exclus du système d’emprunt communautaire, les textes que les Etats membres n’auraient pas ratifiés. Toutefois, l’exigence semble pouvoir être appréciée au cas par cas, ce qui signifie qu’il n’est pas nécessaire que tous les Etats membres aient adhéré à l’instrument pour que la Cour puisse s’en servir; il suffit que l’Etat membre incriminé soit lié par l’instrument exogène utilisé par la Cour. C’est en cela que la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples qui a été ratifiée par tous les Etats membres de la CEDEAO, est la référence idéale du système de la CEDEAO, ce qui explique sa récurrence dans les arrêts de la Cour

62. qui s’y réfèrent quasi-systématiquement. A titre d’exemple, la Cour recourt à des dispositions de la Charte africaine dans les arrêts suivants: Simone Ehivet et Michel Gbagbo c. l’Etat de la République de Côte d’Ivoire CJCEDEAO (22 février 2013), Arrêt n° ECW/CCJ/JUD/03/13; Dame Haijatou Mani Koraou c. République du Niger CJCEDEAO (27 octobre 2008) Arrêt ECW/CCJ/JUD/08/08); Bama Boubie c. République de Côte d’Ivoire CJCEDEAO (19 février 2018) Arrêt n° ECW/CCJ/JUD/05/18; etc.

63. Le paragraphe 2 dispose: ‘Un droit naît pour une organisation tierce d’une disposition d’un traité si les parties à ce traité entendent, par cette disposition, conférer ce droit (...) à l’organisation tierce (...) et si l’organisation tierce y consent.’

64. La Cour de justice de l’Union européenne, face à la difficulté, a considéré que de telles règles - celles notamment de la Convention européenne des droits de l’homme, font partie des principes généraux du droit communautaire dont elle a la charge d’assurer l’interprétation et l’application. Elle n’a pas été suivie sur ce chemin par sa consœur ouest africaine qui ne s’est pas embarrassée de ces subtilités. La Cour de justice de la CEDEAO intègre les normes contenues dans ces instruments dans le droit de la Communauté, et les traite comme telles.

65. Affaire SERAP c. l’Etat du Nigéria, CJC (14 décembre 2012), Jugement ECW/CCJ/JUD/18/12.

66. Certes, dans cette affaire, la Cour a fini par admettre son incompétence, au regard de l’objet purement électoral du différend.

67. Elle s’était inspirée, dans cette affaire, de la méthode du juge de l’Union européenne. Mais, elle n’en a pas tiré toutes les conséquences par la suite.

68. Nous désignerons ce principe, dans les lignes qui suivent, par l’expression ‘principe d’intégration’.

69. Cf. art 9 nouveau du Protocole relatif à la Cour de justice de la CEDEAO.

70. Chapeau de l’article 1er du Protocole A/SP.1/12/01.

71. Voir les développements ultérieurs sur les attributs du droit communautaire.

72. Affaire Ugokwe c. Nigéria CJC (7 octobre 2005), Jugement n° ECW/CCJ/JUD/03/05, et affaire Dame Hadidjtou Koraou c. Niger, CJC (27 octobre 2008), Jugement n°ECW/CCJ/JUD/06/08.

73. Conceptualisée par L Favoreu, la notion de ‘bloc de constitutionnalité’ permet aujourd’hui, en doctrine comme en jurisprudence, d’inclure dans le bloc de normativité à valeur constitutionnelle, des textes à l’origine étrangers au texte constitutionnel proprement dit, par le simple fait que le texte constitutionnel y fait référence. (L Favoreu ‘Bloc de constitutionnalité’ (1992) in O Duhamel & Y Meny (dir) Dictionnaire constitutionnel Paris PUF 87). L’auteur y définit le bloc de constitutionnalité comme ‘l’ensemble des principes et des règles à valeur constitutionnelle’.

74. Ainsi, par exemple, tour à tour, le juge constitutionnel français a-t-il conféré une valeur constitutionnelle à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, au Préambule d’une ancienne constitution, en l’occurrence, la Constitution de 1946 (Conseil constitutionnel français, Décision 51 DC du 27 décembre 1973, Taxation d’office), à la Charte de l’environnement de 2004 (Conseil constitutionnel français, Décision n° 2008-564 DC du 19 juin 2008, Loi relative aux organismes génétiquement modifiés). etc., s’appuyant à toutes ces occasions sur la référence qu’en fait le Préambule de la Constitution, notamment à son alinéa 1er ainsi formulé: ‘Le peuple français proclame solennellement son attachement aux droits de l’homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu’ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946, ainsi qu’aux droits et devoirs définis dans la Charte de l’environnement de 2004’. Le Conseil constitutionnel sénégalais a aussi déjà formulé expressément le principe d’appartenance de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples au bloc de constitutionnalité en jugeant ‘que la procédure du rabat d’arrêt instituée par le législateur au Sénégal violerait le principe d’égalité devant la loi et devant la justice contenu dans l’article 3 de la CADHP de juin 1981’ (H Akerekor ‘La Cour constitutionnelle et le bloc de constitutionnalité au Bénin’  (2016) sept Afrilex 11.)

75. SERAP c. Nigéria, traduction par l’auteur du passage suivant: ‘When the Member States were adopting the said Protocol[A/SP1/12/01], the human rights they had in view were those contained in the international instruments, with no exception whatsoever, and they were all signatory to those instruments’.

76. Yougbaré (n 10) 487.

77. La notion de ‘système’ utilisée ici renvoie à l’idée qu’une règle de droit n’existe pas isolément et ne doit donc pas être interprétée comme telle. Le caractère systémique de la règle de droit implique que son interprétation constituer ‘la mise en œuvre d’un tout ordonné aux fins de l’homme’; elle doit ‘vise en grande partie à établir un rapport entre une règle qui n’est pas claire et une finalité et donc, en situant cette règle au sein d’un système, à justifier l’application qui en est faite dans un sens plutôt que dans un autre’ (Fragmentation du droit international: difficultés découlant de la diversification et de l’expansion du droit international. Rapport du Groupe d’études de la Commission du Droit international, 13 avril 2006 (A/CN.4/L.682) 24). La notion doit donc s’entendre comme un ‘régime autonome’ (spécial), au sens donné par la Commission du droit international dans son rapport ci-dessus référencé, c’est-à-dire, comme un ensemble normatif fait de règles primaires et de règles secondaires constituant un tout cohérent.

78. Yougbaré (n 10) 490.

79. Ibidem (n 10).

80. Voir, par exemple: pour la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, les communications: Nixon Nyikadzino (represented by Zimbabwe Human Rights NGO Forum) c. Zimbabwe, Session du 21 février au 1 mars 2012, (Communication 340/07); Lawyers for Human Rights (Swaziland) c. The Kingdom of Swaziland (Communication 414/12); pour la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples: affaire Femi Falana c. l’Union africaine, Arrêt du 26 juin 2011; affaire Daniel Amare et Mulugate Amare c. République du Mozambique, Décision du 16 juin 2011; etc.

81. Affaire Dame Haijatou Mani Koraou c. Niger (n 62).

82. Affaire Dame Haijatou Mani Koraou c. la République du Niger.

83. Affaire Ocean King Nigeria LTD c. la République du Sénégal (n 32) (traduit par l’auteur). La Cour en profite pour expliquer qu’elle se conforme aux dispositions du Protocole qui fonde sa compétence à connaître des violations des droits de l’homme: ‘En vertu de l’article 10 du Protocole additionnel de 2005, toute disposition d’un Protocole antérieur qui est incompatible avec les dispositions du Protocole additionnel de 2005 est, dans la mesure de l’incompatibilité, nulle et non avenue. D’où, l’article 39 du Protocole sur la démocratie et la bonne gouvernance, qui est manifestement contraire aux dispositions de l’article 4(d) du Protocole additionnel de 2005, en ce qui concerne l’épuisement des recours internes comme condition préalable à la recevabilité d’une action en matière de droits de l’homme, est nul et non avenu. Le Protocole de 1991, tel que modifié par le Protocole additionnel, fait partie intégrante du Traité et l’exclusion de l’épuisement des recours internes en vertu du Protocole est donc parfaitement valable en droit international.’

84. Affaire Ocean King Nigeria LTD.

85. Simon (n 6) 37.

86. Ibidem.

87. Avis 1/91, CJCE (14 décembre 1991), Rec I.6079. Cet avis a été précédé de longue date par les arrêts Van Gend en Loos, pour ce qui concerne l’affirmation de l’applicabilité directe (Van Gend & Loos Aff. 26/62, CJCE (5 février 1963) Rec.1963) et Costa contre ENEL, pour ce qui concerne la primauté (Arrêt Costa c. ENEL, Aff. 6/64, CJCE (15 juillet 1964) Rec 1141).

88. J Verhoeven ‘La notion d’“applicabilité directe” du droit international’ (1982) 2 Revue belge de droit international 243.

89. J Boulouis Droit institutionnel de l’Union européenne (1995) 242.

90. P Manin Les Communautés européennes, l’Union européenne: droit institutionnel, 3e éd. (1997) 310; cité par R Yougbaré et al Glossaire de l’intégration (2013), Ouagadougou, Publications du CEEI 10.

91. Dans la doctrine comme dans la jurisprudence communautaire, les expressions ‘applicabilité directe’, ‘effet direct’ et ‘ invocabilité’ sont interchangeables. Voir: Yougbaré et al (n 93) 10.

92. En réfutant et en refusant de se plier à la règle de l’épuisement des voies de recours internes, comme condition de sa saisine, la Cour de justice de la CEDEAO s’accapare, en effet, la juridiction des droits de l’homme.

93. Avis n°001/2003 portant sur la demande d’avis de la Commission relative à la création d’une Cour des comptes au Mali, CJUEMOA (18 mars 2003).

94. P Pescatore Droit communautaire et droit national selon la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes (1969) 183.

95. Dans deux de ces arrêts célèbres, le juge constitutionnel allemand, l’un des symboles forts de la résistance des cours constitutionnelle, a clairement affiché le désavoeu du principe, surtout concernant les actes de droit dérivé (Bundesverfassungsgericht, 2e Ch., 29 mai 1974, RTDE 1975, p. 316), avant de se raviser, lorsqu’il a estimé le niveau de protection des droits de l’homme par la Communauté, équivalent à celui offert par la Loi fondamentale allemande (Bundesverfassungsgericht, 22 octobre 1986, Solange II, RTDE 1987, p 537.

96. Voir: IM Fall ‘Le régime juridique des ordonnances de mise en vigueur des-lois de finances: commentaire de la décision DCC 00-072 du 17 novembre 2000’ (2014) Annuaire béninois de justice constitutionnelle. Dossier spécial 21 ans de jurisprudence de la Cour constitutionnelle du Bénin (1991 - 2012), Cotonou, Presses universitaires du Bénin 291.

97. Sall (n 13) 16.

98. Simon (n 6) 37.

99. Sall (n 13) 16.

100. Dans le contentieux communautaire classique, les rapports verticaux entre les Etats et les justiciables font l’objet du mécanisme de renvoi préjudiciel, qui permet aux juges nationaux d’appliquer le droit communautaire et de recourir au juge communautaire, spontanément ou à la demande du justiciable, pour une interprétation authentique.

101. Se référer à l’article 10 nouveau du Protocole relatif à la Cour de justice de la Communauté tel qu’amendé par le Protocole A/SP.1/01/05.

102. Sall (n 13) 35.

103. Cela est confirmé d’ailleurs par l’article 10(d) nouveau qui prévoit, parmi les personnes pouvant saisir la Cour, ‘toute personne victime de violations des droits de l’homme’.

104. Voir la jurisprudence de la CJC précitée, notamment affaire Ocean King Nigeria LTD c. la République du Sénégal.

105. Yougbaré (n 10) 496.

106. Le Protocole A/P.1/7/91 relatif à la Cour disposait à son article 9.3 qu’ ‘un Etat membre peut, au nom de ses ressortissants, diligenter une procédure contre un autre Etat membre ou une institution de la Communauté, relative à l’interprétation et à l’application des dispositions du Traité, en cas d’échec des tentatives de règlements à l’amiable’.

107. Arrêt Afolabi c. République du Nigéria, CJCEDEAO (27 avril 2004), arrêt n° ECW/CCJ/JUD/01/04.

108. Art 5(3) du Protocole à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples relatif à la création de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples.

109. Pour une étude approfondie de l’accès des particuliers à la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, voir M Mubiala ‘L’accès de l’individu à la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples’ (2007) in MG Kohen (dir) Promoting justice, human rights and conflict resolution through international law = La promotion de la justice, des droits de l’homme et du règlement des conflits par le droit international: liber amicorum Lucius Caflisch 369. Voir également  H Werner ‘L’accès de l’individu à la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples’ (2016) 2 Revista juridica 43 Curitiba 825-883. La jurisprudence Felana de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples est également assez éloquente quant aux difficultés qu’éprouve la Cour à ouvrir son prétoire à tous les potentiels justiciables, au regard des restrictions prévues dans le Protocole de Ouagadougou.

110. L Burgorgue-Larsen & G-F Ntwari ‘Chronique de jurisprudence de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples’ (2015-2016) Revue trimestrielle des droits de l’homme 134. Pour l’heure, comme on pouvait s’y attendre, seul un petit nombre d’Etats parties au Protocole - huit d’après les auteurs Laurence Burgorgue-Larsen et Guy-Fleury Ntwari - ont déjà fait la fameuse déclaration, ce qui réduit considérablement le nombre des justiciables potentiels de la Cour africaine.

111. Yougbaré (n 10) 497.

112. Art 4(4) du Traité révisé.

113. En comparaison, le Protocole de Ouagadougou s’abstient de conférer une telle dimension aux arrêts de la Cour d’Arusha. Il se contente de responsabiliser les Etats parties pour l’exécution de ces arrêts, en disposant, à son article 30, que ‘Les Etats parties au (...) Protocole s’engagent à se conformer aux décisions rendues par la Cour dans tout litige où ils sont en cause et à en assurer l’exécution dans le délai fixé par la Cour.’

114. C’est ce que démontre S Horace Adjolohoun dans sa thèse consacrée précisément à l’étude de l’exécution des décisions de la CJC. Voir Adjolohoun (n 18) 37.

115. Affaire Madame AMEGANVI Manavi Isabelle et autres c. Togo, CJC (07 octobre 2011), Arrêt n° ECW/CCJ/JUD/O0/11.

116. Il est vrai que dans cette affaire, le dispositif du juge communautaire a été des plus ambigus, la Cour n’ayant pas explicitement enjoint les autorités togolaises de réintégrer les plaignants. Mais la question de la réintégration étant l’une des revendications clés des requérants, leur donner raison semblait signifier également faire droit à cette requête.

117. ‘La demande de réintégration s’apparente à un recours contre la Décision n°E018/10 du 22 novembre 2010 de la qui est une (...), juridiction pour laquelle la Cour, suivant sa jurisprudence constante, n’est ni une juridiction d’appel, ni de cassation et dont la décision par conséquent ne peut être révoquée par elle.’

118. Affaire Congrès pour la Démocratie et le Progrès (CDP) et Autres contre l’Etat du Burkina Faso, CJC (13 juillet 2015), Jugement n° ECW/CCJ/JUG/16/15.

119. Pour un aperçu d’ensemble sur l’affaire, voir: Y Ouedraogo ‘Retour sur une décision controversée: l’arrêt de la Cour de justice de la CEDEAO du 13 juillet 2015, CDP et autres c/ État du Burkina’ (2016) Les Annales de droit 10.

120. Art 3(1) de l’Acte additionnel A/SA 13/02/2012.

121. Pour une vision holistique du dispositif d’ensemble qui est censé accompagner l’exécution des décisions de la Cour, se reporter à l’étude d’Adjolohoun. Voir  Adjolohoun (n 18).

122. Les sanctions promises par l’acte additionnel A/SA 13/02/2012 ont pu déjà être décidées, notamment dans le cadre de la crise politique en Guinée-Bissau avec la prise de première décision en février 2018 (Décision A/DEC.2.01/2018) sanctionnant individuellement des personnes qui auraient manqué de respect aux injonctions de la Communauté.

123. Voir, à ce sujet la Communication de Gérard Aivo: G Aivo ‘La contribution de la Cour de justice de la CEDEAO à la mise en œuvre de la Charte africaine des droits de l’homme’ (2012) Communication au Colloque international de Pretoria (Afrique du Sud) portant sur la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, du 5 au 7 novembre 2012.

124. L Burgorgue-Larsen ‘Le fait régional dans la juridictionnalisation du droit international’ (2003) in La juridictionnalisation du droit international, Colloque de la SFDI 234. Bien qu’elle s’exprimât au sujet de la prise en compte des droits de l’homme par le juge communautaire européen, ses propos peuvent être transposés dans la situation de la CEDEAO.

125. Sègnonna Horace Adjolohoun se pose à peu près les mêmes questions dans une tribune publiée en ligne. Voir: SH Adjolohoun ‘The Njemanze ECOWAS Court ruling and “universal” jurisdiction: implications for the “Grand African Human Rights System”’ (2017) International Journal of Constitutional Law Blog, 16 novembre, 2017 (disponible à l’adresse suivante: http://www.iconnectblog. com/2017/11/the-njemanze-ecowas-court-ruling-and-universal-jurisdiction-imp lications-for-the-grand-african-human-rights-system . Il conclut, en effet, sa tribune par les propos suivants: ‘while the ECOWAS jurisdictional ascension is legally acceptable, it poses a number of challenges to the effective operation of what I refer to as “the grand African human rights system’’. Issues arising include duplication of forum, negative forum shopping, challenges in observing the principles of res judicata and lis pendens , conflicts of interpretation and problems of enforcement’.