Kamgang Simeu Christelle Corinne
 Docteur en droits de l’homme (PhD) de la Chaire UNESCO des droits de l’homme pour l’Afrique centrale
 Chargé de cours au département de droit international et communautaire de la Faculté des sciences juridiques et politique de l’Université de Dschang, l’auteure est actuellement chef de service de l’administration générale et du personnel à la Faculté des Arts, Lettres et Sciences humaines de l’Université de Yaoundé I
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  https://orcid.org/0000-0003-0666-8784


 Edition: AHRY Volume 6
 Pages: 179-200
 Citation:  CC Kamgang Simeu ‘Le droit humain à l’eau: un droit dans l’ombre d’autres droits de l’homme dans le système africain de protection des droits de l’homme?’ (2022) 6 Annuaire africain des droits de l’homme179-200
 http://doi.org/10.29053/2523-1367/2022/v6a8
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RÉSUMÉ:

Cet article questionne l’existence d’un droit humain à l’eau dans le système africain de protection des droits de l’homme. L’exégèse révèle que sur le plan régional, les conventions ne concourent qu’indirectement à la reconnaissance d’un droit de l’homme à l’eau, alors que ce dernier est expressément consacré par certains textes en vigueur sur le plan sous-régional ; ceux-ci lui accordant une base juridique distincte de celle d’autres droits de l’homme. La casuistique révèle pour sa part les occasions manquées par le juge régional de consacrer ce droit de l’homme afin de lui garantir une véritable protection par les États. L’auteur souligne cependant la contribution du droit mou de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples à la consécration explicite d’un droit humain à l’eau et les différentes obligations étatiques qui en découlent afin d’assurer son effectivité. Ceci constitue donc une avancée notable en matière de protection des droits de l’homme. Il propose que les organes de contrôle puissent se référer à ce droit mou pour consacrer un droit humain à l’eau dans le développement subséquent de leur jurisprudence, de même qu’il peut servir de boussole pour stimuler et guider des réformes juridiques internes visant une véritable garantie de ce droit.

TITLE AND ABSTRACT IN ENGLISH:

The right to water: a right in the shadow of other human rights in the African human rights system?

ABSTRACT:

This article questions the existence of a human right to water in the African human rights system. The doctrinal analysis reveals that at the regional level, treaties only indirectly contribute to the recognition of a human right to water, whereas the latter is clearly enshrined in certain texts in force at the sub-regional level. These provide a legal basis distinct from that of other human rights. The case-law analysis underscores the missed opportunities for the regional judge to enshrine this human right to guarantee its real protection by the states. Nonetheless, the article highlights the contribution of the African Commission on Human and Peoples’ Rights’ soft law to the explicit consecration of a human right to water and the various state obligations that ensue to ensure its effectiveness. This constitutes a significant progress in the protection of human rights. The author proposes that monitoring bodies can refer to this soft law to enshrine a human right to water in the subsequent development of their jurisprudence as it can serve as a compass to stimulate and guide domestic legal reforms aimed at a genuine guarantee of this right.

MOTS CLÉS: droit humain à l’eau, observation générale 15 sur le droit de l’eau, lignes directrices de Nairobi, lignes directrices sur le droit de l’eau en Afrique, Résolution sur l’obligation de garantir le droit à l’eau

 

SOMMAIRE:

1 Introduction 

2 Le droit humain à l’eau: une consécration textuelle et jurisprudentielle inachevée 

2.1 Un droit au contenu diffus sur le plan conventionnel 

2.2 Un apport jurisprudentiel encore peu satisfaisant 

3 Une consécration claire d’un droit humain à l’eau par le droit mou de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples 

3.1 La substance du droit à l’eau 

3.2 Les obligations minimales étatiques de respecter, protéger et mettre en œuvre le droit humain à l’eau 

4 Conclusion 

1 INTRODUCTION

Les premiers plaidoyers en faveur d’une reconnaissance explicite d’un droit humain à l’eau ont été menés dans les années 1970 lors de diverses conférences mondiales environnementales. Unanimement, les participants y admettaient «le droit qu’ont tous les peuples d’accéder, quel que soit leur niveau de développement et leur condition socio-économique, à l’eau potable en quantités suffisantes et de qualité, nécessaire pour subvenir à leurs besoins élémentaires».1 C’est également la quintessence des déclarations et résolutions adoptées en dehors du cadre onusien, à l’issue de quelques rencontres scientifiques internationales sur les questions liées à l’eau tenues au début du XXIe siècle, où il y est solennellement confirmé que «l’eau est un bien public» et que «l’accès à une quantité minimum d’eau potable est un droit humain étroitement lié à la dignité humaine».2

Ce n’est pourtant qu’en 2010 que l’ONU, par une résolution adoptée par son Assemblée générale, reconnut solennellement que «le droit à l’eau et à l’assainissement est un droit de l’homme, essentiel à la pleine jouissance de la vie et à l‘exercice de tous les droits de l’homme».3 Toutefois, en l’état actuel du droit conventionnel du système onusien de protection des droits de l’homme, aucune disposition normative ne le consacre explicitement, même si certains instruments font référence à la nécessité de fournir de l’eau potable mais seulement comme un élément déterminant pour la réalisation d’autres droits fondamentaux clairement garantis tels que le droit à la santé, le droit à une alimentation saine, le droit à un niveau de vie suffisant, le droit à la vie ou encore le droit à la dignité humaine.4 Le droit humain à l’eau est un droit implicite, qui n’existe qu’à l’aune d’autres droits humains.5

Néanmoins, le Comité des droits sociaux, économiques et culturels (CoDESC) adopte en 2002 (donc avant la résolution onusienne de 2010) son Observation générale 15 sur le droit à l’eau (concernant spécifiquement la mise en œuvre des articles 11 et 12 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC)). Cette dernière comble le vide juridique de certains instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme et plus spécifiquement le PIDESC qui ne le reconnaît pas comme un droit humain autonome, en consacrant sans ambiguïté le droit à l’eau, et en posant ses fondements juridiques.6 L’adoption de cette observation générale constitue un pas décisif dans la protection normative du droit de l’homme à l’eau, dans la mesure où elle en définit le contenu et explique les obligations étatiques d’assurer l’accès à l’eau à toutes les couches sociales sans discrimination aucune; reconnaît l’interdépendance de ce droit avec d’autres droits fondamentaux en soulignant que «le droit à l’eau fait clairement partie des garanties fondamentales pour assurer un niveau de vie suffisant, d’autant plus que l’eau est un droit fondamental visé par le paragraphe 1 de l’article 11». Elle poursuit en précisant que le «droit à l’eau est aussi inextricablement lié au meilleur état de santé susceptible d’être atteint [...], et aux droits à une nourriture et à un logement suffisant [...], à la vie et à la dignité humaine».7 Ainsi, le CoDESC reconnaît non seulement un droit humain à l’eau à part entière et distinct d’autres droits de l’homme, mais aussi que l’effectivité de ces derniers dépend de la mise en œuvre du droit à l’eau.

Qu’elle soit implicite ou explicite, la reconnaissance du droit à l’eau n’améliore pas l’accès à ce précieux sésame dans certaines régions du monde; la preuve étant que, environ 2,1 milliards de personnes n’y ont pas accès dans le monde et disponible à domicile, tandis que 4,5 milliards ne disposent pas d’un assainissement géré de manière adéquate.8 En Afrique, la pénurie d’eau sans cesse croissante creuse davantage le fossé d’inégalités.9 Face aux sources d’approvisionnement en eau potable et la récurrence des maladies hydriques qui mettent en péril la santé humaine,10 il est urgent d’ériger le droit à l’eau en droit fondamental avec comme corollaire la création d’obligations étatiques d’assurer l’approvisionnement en eau potable et d’engager, en cas de violation de ce droit, leur responsabilité nationale ou internationale le cas échéant.11

Le bilan peu reluisant en matière d’approvisionnement en eau potable dans la région africaine soulève le constat de la gestion déplorable des ressources hydriques probablement dû au déficit de bonnes politiques publiques visant à assurer une fourniture en eau potable de qualité, suffisante, à moindre coût et sans discrimination. Il semble opportun de s’interroger sur l’existence d’un droit humain à l’eau dans le système africain de protection des droits de l’homme. Un bref survol de son exégèse et de sa casuistique permet de constater le caractère encore diffus du statut et du contenu du droit de l’homme à l’eau et partant, de la nature des obligations minimales des États en vue de sa mise en œuvre (2). Toutefois, on note une avancée sur ces aspects par la consécration claire d’un droit humain à l’eau par le droit mou de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (3).

2 LE DROIT HUMAIN À L’EAU: UNE CONSÉCRATION TEXTUELLE ET JURISPRUDENTIELLE INACHEVÉE

On pourra observer à l’analyse du droit positif régional africain relatif à la garantie des droits humains, le mimétisme dont ont fait preuve les rédacteurs de certains instruments africains de protection des droits de l’homme en omettant tout comme ceux des textes universels de portée générale, de consacrer un droit humain à l’eau à part entière. Omission tout de même curieuse au regard des nombreux défis auxquels sont confrontés les États africains dans leur rôle de garant principal de l’approvisionnement en eau courante, dont la rareté est causée par les changements climatiques et la désertification croissante, entre autres facteurs.

2.1 Un droit au contenu diffus sur le plan conventionnel

Le silence de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (Charte), adoptée en 1981, quant à l’existence d’un droit humain à l’eau est plus ou moins comblé par la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant adoptée en 1990 (Charte africaine de l’enfant). Cette dernière dispose que  les États parties s’engagent à poursuivre l’exercice du droit de l’enfant à jouir du meilleur état de santé physique, mental et spirituel possible en «assurant la fourniture d’une alimentation adéquate et d’eau potable».12 Le Protocole à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, relatif aux droits de la femme en Afrique (le Protocole de Maputo) adopté en 2003, exige des États parties l’adoption des mesures en vue «d’assurer aux femmes l’accès à l’eau potable[...]» afin de leur assurer la jouissance du droit à une alimentation saine et adéquate.13 Enfin, dans la Convention de l’Union africaine sur la protection et l’assistance aux personnes déplacées en Afrique (Convention de Kampala) adoptée en 2009, il est interdit aux membres des groupes armés de «nier aux personnes déplacées le droit de vivre dans des conditions satisfaisantes de dignité, de sécurité[...], d’eau [...]».14

La lecture des dispositions sus évoquées révèlent l’ambiguïté du statut juridique du droit à l’eau. Il n’en ressort en fait aucune base juridique d’un droit à l’eau indépendant d’autres droits fondamentaux, encore moins un contenu normatif.15 Bulto le constate d’ailleurs par ces propos ‘The normative content and legal basis of a free standing and comprehensive right to water are ambiguously situated in the mainstream regional human rights instruments’. L’accès à l’eau n’est qu’un déterminant du droit à la santé selon la lettre de la Charte africaine de l’enfant; ou encore une composante du droit à une alimentation saine et adéquate en vertu du Protocole de Maputo, et du droit à la vie dans la Convention de Kampala. Les conventions sus évoquées ne concourent qu’indirectement à la reconnaissance d’un droit à l’eau tout comme les instruments juridiques internationaux, ce qui est insuffisant pour consolider sa justiciabilité devant les juridictions nationales.

Par ailleurs, quoique ne consacrant pas nommément le droit humain à l’eau, la Convention africaine révisée sur la conservation de la nature et des ressources naturelles, impose tout de même l’obligation étatique de garantir un approvisionnement suffisant et continu en eaux appropriés, et de qualité.16 Elle exige des États parties de prendre des mesures destinées à maintenir la quantité et la qualité d’eau procurée aux populations aux plus hauts niveaux possibles.17 Elle se démarque donc des conventions régionales sus évoquées dans le sens où, des obligations qu’elles imposent aux États parties, transparaît l’un de ses objectifs qui est celui d’assurer la réalisation du droit humain à l’eau.

Certains instruments juridiques adoptés sur le plan sous régional consacrent explicitement un droit humain à l’eau. À cet effet, la Charte de l’eau du Bassin du Lac Tchad (2012) et la Charte des Eaux du Sénégal (2002) reconnaissent le droit à l’eau «en tant que droit fondamental de la personne humaine et nécessaire pour sa dignité».18 La Charte des eaux du Niger (2008) s’inscrit dans la même logique que les deux précédents textes en reconnaissant dans son préambule «le droit à l’eau comme fondamental à tout être humain, et considère l’eau comme un bien écologique, social, économique dont la préservation est d’intérêt général».19 De manière générale, prendre toutes les mesures nécessaires pour la mise en œuvre du droit d’accès à l’eau et assurer une coopération fondée sur la solidarité pour une utilisation durable, équitable et coordonnée de la ressource en eau sont comptés parmi les objectifs principaux de ces différents cadres normatifs.20

Le Comité africain d’experts sur les droits et le bien-être des enfants (Comité), la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (Commission ou CADHP) et la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (Cour), organes chargés de contrôler l’application par les États parties des dispositions des textes juridiques relatifs aux droits humains, et d’interpréter leur contenu, ont donc indéniablement un rôle important à jouer dans le processus de consécration et de protection d’un droit humain à l’eau.21

Cependant, les deux premiers organes suscités saisis pour des allégations de violations des droits économiques et sociaux où la question de l’accès à l’eau potable a été soulevée, ont manqué à chaque fois l’occasion de consacrer clairement un droit humain à l’eau, en dépit des outils juridiques qu’ils possèdent et qui leur donnent un mandat à cet effet (dont la nature sera évoquée dans les prochaines lignes).

2.2 Un apport jurisprudentiel encore peu satisfaisant

D’entrée de jeu, il faut observer que dans la jurisprudence des organes de contrôle du système africain de garantie des droits de l’homme, le droit humain à l’eau fait l’objet d’une attention indirecte et incomplète dans le cadre de l’examen de communications relatives à des violations des droits à la santé, à un environnement sain, à la dignité humaine et à la vie.22

Dans l’affaire Centre pour les droits de l’homme et RADDHO c. Sénégal, face aux allégations d’atteintes au droit à la santé et aux services médicaux (art 14 de la Charte africaine de l’enfant) des talibés  (enfants) par les instructeurs des écoles coraniques «daaras», le Comité soutint que les efforts déployés dans la réalisation de ce droit devraient être orientés vers la prévention des maladies et des problèmes de santé, et la prestation de services de soins de santé nécessaires. S’agissant de garantir une nutrition adéquate et de l’eau potable à tous les enfants, le Comité souligna que les programmes d’alimentation scolaire, et la fourniture d’eau potable salubre et propre sont essentiels pour lutter contre la maladie et la malnutrition. Il précisa que le défaut de fournir des quantités sûres d’eau potable équivalait à «une violation du droit à la meilleure santé possible en vertu de la Charte».23 Ici, le Comité ne fait allusion qu’à la qualité de l’eau à pourvoir pour une alimentation saine des enfants, et ne considère l’eau qu’uniquement en termes de déterminant du droit à la santé. De même, dans un litige portant des allégations similaires - IHRDA & Open Society Justice Initiative (OSJI) (au nom d’enfants d’ascendance nubienne au Kenya) c. Kenya - le Comité soutint que la faillite de l’État kenyan à son devoir d’approvisionnement en alimentation saine et en eau potable de qualité en vertu de l’article 14(2)(c) de la Charte africaine de l’enfant, en soins de santé et en assistance médicale nécessaire conformément à l’alinéa 2(b) du même article, constituait une atteinte au droit à la santé.24

Le Comité s’inspira dans le cas suscité de la décision de la Commission dans l’affaire Free Legal Assistance Group et autres c. Zaïre dans laquelle, suite à des accusations de violations des articles 4, 5, 6, 7, 8, 16 et 17 de la Charte, elle souligna que l’incapacité du gouvernement [zaïrois] à fournir les services essentiels tels que l’approvisionnement en eau potable et électricité, et le manque de médicaments comme l’allègue la Communication 100/93, était une violation du droit à la santé (article 16 de la Charte).25

Par ailleurs, dans une affaire opposant le Soudan au Sudan Human Rights Organisation et al, la Commission, en s’appuyant sur l’Observation générale 14 (2000) du CoDESC sur le droit à la santé soutint que la destruction, l’empoisonnement et la pollution des sources d’eau tels que les puits, exposaient les victimes à de sérieux risques de santé et équivalaient à une violation de l’article 16 de la Charte.26 L’Observation générale stipule, en effet, que les États doivent «s’abstenir de polluer de façon illicite l’eau, l’air et sol [...]».27 Elle parvint à une décision semblable dans l’affaire SERAC c. Nigéria (affaire qui précéda le litige soudanais sus-cité), à la suite d’allégations de contamination de l’air, de l’eau et du sol par le gouvernement nigérian de connivence avec un consortium de sociétés d’exploitation pétrolière, causant de graves dommages à l’environnement et des problèmes de santé aux communautés de l’Ogoniland.28

Sur le plan de la reconnaissance d’un droit humain à l’eau, on peut observer les opportunités manquées par la Commission et le Comité de le consacrer explicitement, et pire encore, lorsque la perche lui aura été tendue par un des plaignants (notamment dans le cas opposant le Soudan au Sudan Human Rights Organisation et al de 2009), qui sollicitait une claire consécration d’un droit humain à l’eau.29 On peut par exemple et à juste titre, s’interroger sur les raisons qui ont motivé la Commission à éluder cette requête pourtant pertinente et dont la réponse aurait comblé le vide normatif existant sur la question. Curieusement, elle a opéré dans le cas d’espèce, une rupture avec la démarche interprétative entreprise dans l’affaire SERAC, dans laquelle elle a consacré à travers d’autres droits fondamentaux garantis par la Charte, les droits à un logement décent et à une alimentation saine, qui y sont pourtant absents, et a constaté leur violation par le gouvernement nigérian.

Pour parvenir à cette fin, la Commission opte pour l’approche téléologique, méthode interprétative destinée à interpréter une loi en fonction de son but, de son objet et de sa finalité.30 Ces derniers peuvent ressortir de certains éléments tels que les travaux préparatoires relatifs à l’élaboration d’un traité ou d’une loi, la conduite des États dans l’application d’un instrument juridique, ou encore les conditions qui prévalent au moment de l’interprétation d’une norme juridique.31 La portée de cette approche est de contribuer à combler les insuffisances ou les limites d’un ordre juridique donné. Ainsi s’agissant du droit à un logement décent dans l’affaire SERAC, la Commission note32

Bien que le droit au logement ne soit explicitement prévu par la Charte africaine, le corollaire de la combinaison des dispositions protégeant le droit de jouir du meilleur état de santé physique et mentale qu’une personne soit capable d’atteindre, énoncées aux termes de l’article 16 susvisé, le droit à la propriété et la protection accordée à la famille empêche la destruction gratuite d’abri car, lorsqu’une maison est détruite, la propriété, la santé et la vie de famille sont négativement affectées en conséquence. Il est [...] noté que les effets combinés des articles 14, 16 et 18(1) prévoient dans la Charte africaine un droit à l’abri ou au logement que le gouvernement nigérian a apparemment violé.

De même, le droit à une alimentation saine est implicitement contenu dans la Charte à travers le droit à la vie, le droit à la santé et celui relatif au développement économique, social et culturel. En violant ces droits, la Commission conclut que le Nigéria bafoue les droits protégés explicitement mais aussi le droit implicite à l’alimentation.33 L’organe de contrôle poursuit son argumentaire en relevant que le traitement infligé au peuple Ogoni par l’État mis en cause transgresse trois devoirs minimum du droit à l’alimentation, engageant ainsi la responsabilité du Nigérian pour violation du droit à l’alimentation: par la destruction des sources d’alimentation à travers ses forces de sécurité et les compagnies pétrolières d’État; par les compagnies pétrolières privées; et par la propagation de la terreur qui crée des obstacles aux communautés ogoni dans la recherche de leur nourriture.34

On peut déplorer cependant que le même zèle pour la protection des droits humains n’ait pas dévoré la Commission pour les litiges subséquents (à l’instar de l’affaire Sudan Human Rights Organisation and Another c. Soudan, susévoquée) où la garantie du droit humain à l’eau était en jeu et particulièrement où la question de la pollution des ressources hydriques fut évoquée. La Commission manqua de donner une suite à son approche innovante d’interprétation de la Charte. Bulto relève en effet ce qu’aurait été le sort réservé au droit à l’eau si elle avait été constante en vertu du mandat d’interpréter les instruments africains des droits de l’homme, qui lui est conféré

[ ...] Considered against the backdrop of the merging trend of the ACHPR’s case-law in which the Commission read implicit rights into those who are explicitly guaranteed. It would have been expected that the Commission would follow the same route in future case and declare the existence of a free-standing human right to water under the Charter.35

Ce reproche peut être également fait à l’endroit du Comité qui pourtant s’est inspiré de certaines décisions de la Commission, dans des cas d’atteintes aux droits des enfants, notamment le droit à la santé.36 Partant, il aurait pu par exemple recourir à l’outil interprétatif utilisé dans l’affaire SERAC qui a permis de consacrer les droits à une alimentation saine et au logement, pour consacrer un droit humain à l’eau dans l’affaire opposant le Centre pour les droits de l’homme et RADDHO au Sénégal et celle des enfants d’ascendance nubienne au Kenya. 37

Ainsi, en l’état actuel de la jurisprudence africaine, ni le Comité, ni la Commission, encore moins la Cour, n’a statué clairement sur l’existence d’un droit humain à l’eau. Ce dernier est considéré comme un droit latent qui n’est mis en exergue que lorsque survient la transgression d’un droit conventionnellement garanti. La protection du droit à l’eau dépend donc de celle d’autres droits fondamentaux. Pour illustrer ce statut juridique ambigu et précaire du droit à l’eau ressortant de ce bilan jurisprudentiel, Bulto relève ce qui suit:38

Because the human right to water is protected through other rights, the human right to water is a derivative or subordinate right, the violation of which can only be complained of when the parents’ rights are violated. In this sense, the relationship between the human right to water and its source (parent right) is such that the former is a small subset of the latter. Its violation thus arises only when the parent right is violated in situations that involve the victim’s access to adequate quantity and quality of water. Consequently, the right to water can only be guaranteed to the extent of its utility to and overlapping with the source from its springs.

Pourtant, l’une des raisons de consacrer le droit humain à l’eau indépendamment des autres droits est justifiée par le fait qu’il peut avoir des hypothèses où seul un élément constitutif de ce droit n’est pas mis en œuvre par un État, et permet toutefois d’engager la responsabilité étatique pour violation du droit à l’eau sans pour autant qu’il soit porté atteinte à un droit fondamental dont l’effectivité dépend de la garantie du droit humain à l’eau, et vice versa.

Les organes de contrôle auraient gagné dans les affaires qui leur ont été soumises, et gagneraient dans des prochains litiges qui soulèveraient éventuellement des questions relatives à l’accès à l’eau potable, à s’inspirer des approches interprétatives utilisées par le CoDESC dans son observation générale 15 (2002). Ceci permettra non seulement de dégager un droit humain à l’eau d’autres droits de l’homme, mais également de mettre en exergue l’interdépendance et la complémentarité entre le premier et le second. En effet, le CoDESC recourt à l’argument téléologique pour faire une interprétation extensive de l’article 11(1) du PIDESC qui dispose que «les États parties [...] reconnaissent le droit de toute personne à un niveau de vie suffisant pour elle-même et sa famille, y compris une nourriture, un vêtement et un logement suffisants [...]». En interprétant cette disposition, le CoDESC relève que l’expression «y compris» «indique que le catalogue de droits n’entendait pas être exhaustif». Par conséquent, «le droit à l’eau fait clairement partie des garanties fondamentales pour assurer un niveau de vie suffisant, d’autant plus que l’eau est l’un des éléments les plus essentiels à la survie [...]».39 Le droit humain à l’eau fait partie des droits qui concourent à l’effectivité du droit à un logement décent, et est en droite ligne avec le but et l’objet de l’article 11(1). La seconde méthode interprétative est l’approche dérivée qui a permis au CoDESC de consacrer un droit de l’homme à l’eau sous le prisme du droit à la santé garanti à l’article 12(1) du PIDESC qui dispose que «Les États parties reconnaissent [...] le droit qu’a toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale qu’elle soit capable d’atteindre [...]». Par le biais de cet outil interprétatif, le CoDESC a pu mettre en exergue l’interdépendance entre le droit humain à l’eau, le droit à la santé et les droits à une nourriture saine et à un logement suffisant, et sa complémentarité avec d’autres droits de l’homme: «le droit à l’eau est inextricablement lié au meilleur état de santé susceptible d’être atteint [...] et aux droits à une nourriture et à un logement suffisant [...]. Il devait être également considéré conjointement avec les autres droits consacrés dans la Charte internationale des droits de l’homme, et d’abord le droit à la vie et à la dignité».40

Ainsi, que ce soit pour le Comité ou la Commission, le recours à l’observation générale 15 aurait contribué à la détermination claire et sans équivoque d’un droit humain à l’eau, dans leur fonction quasi-juridictionnelle. En effet, en vertu du mandat que leur confèrent la Charte africaine de l’enfant, 41 la Charte42 et le Protocole relatif à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l’homme et des peuples,43 le Comité, la Commission et la Cour respectivement sont chargés non seulement d’interpréter toute disposition de l’instrument dont ils sont chargés de surveiller le respect par les États parties, mais également de formuler et d’élaborer des principes et des règles, en vue de permettre aux parties d’adopter des textes juridiques visant la pleine jouissance sur le plan interne des droits de l’homme qu’ils ont librement acceptés de respecter et de protéger. Mieux encore, le droit régional africain des droits de l’homme leur donne la latitude de s’appuyer sur le droit international des droits de l’homme pour invoquer des droits qui ne seraient éventuellement pas conventionnellement garantis. Ceci peut transparaître des dispositions de la Charte qui stipule que la Commission peut s’inspirer «du droit international relatif aux droits de l’homme et des peuples [...] des dispositions des autres instruments adoptés par les Nations Unies et par les pays africains dans le domaine des droits de l’homme et des peuples, ainsi que des dispositions de divers instruments adoptés au sein d’institutions spécialisées des Nations Unies dont sont membres les parties à la [...] Charte [africaine]».44 C’est donc à juste titre qu’elle s’appuya sur l’observation générale 15 pour consacrer le droit humain à l’eau et élaborer des instruments juridiques qui relèvent du droit mou pour attirer l’attention des États parties à la Charte sur les droits économiques, sociaux et culturels, et les aider à s’acquitter de leurs obligations de les réaliser et de les protéger, et particulièrement le droit de l’homme à l’eau. De même, le droit international africain des droits de l’homme confère des pouvoirs similaires au Comité et à la Cour, qui peuvent s’en référer dans le but de promouvoir mais surtout de protéger les droits de l’homme de toutes atteintes, tant par les acteurs étatiques que non étatiques.

En outre, la Charte autorise la Commission à considérer comme moyens auxiliaires de détermination des règles de droit, toute convention universelle relative aux droits de l’homme qu’elle soit de portée générale ou spéciale, reconnue par les membres de l’UA, la doctrine, la jurisprudence, les principes généraux de droit, etc.45 Elle se trouve donc dotée d’armes supplémentaires et pertinentes lui permettant de déployer son potentiel novateur en matière de protection de droits humains indispensables pour le respect de la dignité humaine.

Par ailleurs, les principes directeurs et les lignes directrices de la Commission sur la mise en œuvre des droits économiques, sociaux et culturels dans la Charte de 2011,46  la Résolution sur l’obligation de garantir le droit à l’eau de 201547 et les lignes directrices sur le droit à l’eau en Afrique de 2019,48 s’inscrivent dans la continuité de l’obser-vation générale 15 du CoDESC, et reconnaissent l’existence d’un droit humain à l’eau doté d’un statut juridique similaire et d’égale importance que les droits conventionnellement protégés. Ils précisent aussi bien son contenu que les obligations étatiques pour sa mise en œuvre, entre autres orientations données aux gouvernements pour remplir leur obligation de protéger ce droit, tout en tenant compte du contexte socio-économique et culturel africain.49 Ce sont donc des instruments sur lesquels doivent s’appuyer le Comité, la Commission et la Cour dans le développement de leur jurisprudence, en vue de consacrer un droit humain à l’eau, et de déclencher sur le plan normatif aussi bien régional qu’interne, des réformes indispensables pour une véritable protection juridique du droit humain à l’eau.

3 LA CONSÉCRATION CLAIRE D’UN DROIT HUMAIN À L’EAU PAR LE DROIT MOU DE LA COMMISSION AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES

Le constat de la méconnaissance par la plupart des États africains de la justiciabilité et du caractère exécutoire des droits économiques, sociaux et culturels (DESC) dont le droit à l’eau fait partie50 justifie la définition du contenu normatif de ce dernier, de même que l’élucidation des obligations imputées aux États pour son effectivité. Le Rapporteur spécial sur les droits humains à l’eau et à l’assainissement de l’ONU (Rapporteur spécial) relevait en effet que les obligations fondamentales minimales du PIDESC devaient comprendre des efforts visant à rendre ces droits justiciables, en les reconnaissant explicitement dans leur système juridique interne.51

3.1 La substance du droit humain à l’eau

Si l’eau est indispensable à des fins diverses, toutes ne sont cependant pas prises en compte par le droit international comme faisant partie du noyau dur («minimum core content») du droit humain à l’eau. Tandis que le CoDESC reconnaît l’usage de l’eau pour la réalisation des droits à une nourriture suffisante et à la santé, mais accorde la priorité aux usages personnels et domestiques, à la prévention de la faim et des

maladies, et au respect des obligations fondamentales découlant du PIDESC,52 la Commission demande aux États de mettre l’accent sur l’usage personnel, domestique et agricole.53 Selon elle, le «droit à l’eau autorise donc chacun à [avoir accès à] une eau suffisante, salubre, acceptable, physiquement accessible et abordable pour l’usage personnel, domestique et agricole [...]».

Outre l’exigence d’être fournie en quantité suffisante54 cette eau doit être de bonne qualité pour couvrir les besoins des populations quel que soit leur lieu de résidence, et en tenant compte des besoins particuliers des catégories vulnérables.55 De ce qui précède, on peut résumer que le droit humain à l’eau dans le contexte africain, garantit le droit de chacun de disposer d’une eau potable, salubre c’est-à-dire exempte de substances dangereuses (par exemple, micro-organismes, substances chimiques et risques radiologiques) susceptibles de mettre en danger la santé humaine; en quantité suffisante nécessaire à la satisfaction des besoins personnels, domestiques et agricoles qu’ils soient individuels ou communautaires. De plus, cette eau doit être physiquement accessible par toutes les couches sociales, notamment les groupes marginalisés,56 et doit être abordable.57

Reprenant les éléments constitutifs du droit humain à l’eau contenus dans l’observation générale 15, la Commission s’en démarque toutefois en incluant dans la définition de la notion d’ «usage domestique et personnel», l’utilisation d’une eau salubre et propre à des fins de boisson, d’hygiène personnelle et domestique et d’assainissement, mais «aussi religieuses et culturelles»,58 ce que le CoDESC a pris le soin d’exclure du concept «d’usage personnel et domestique». Selon l’institution spécialisée onusienne, l’usage personnel et domestique renvoie à la consommation, l’assainissement individuel, le lavage du linge, la préparation des aliments ainsi que l’hygiène corporelle et domestique.59 De même qu’il exclut l’usage de l’eau à des fins religieuses et culturelles comme faisant partie du contenu normatif du droit à l’eau, il en fait de même pour l’eau destinée à l’agriculture de subsistance et autres moyens de subsistance. Ces derniers, par contre, sont un besoin humain ou une priorité prise en compte dans la définition du contenu normatif du droit humain à l’eau par la Commission.

Le noyau dur du droit à l’eau comprend l’exigence de la disponibilité de l’eau qui consiste en un approvisionnement constant et régulier qui permette de répondre aux besoins personnels et domestiques, à l’agriculture de subsistance et aux autres moyens de subsistance.60 Les individus doivent avoir accès équitablement à une eau salubre, en quantité suffisante, qui permette de vivre dignement. La réponse aux besoins humains exige des États qu’ils veillent à une utilisation raisonnable et équitable de l’eau, ainsi que sa répartition, permettant de faire bénéficier aux groupes vulnérables et marginalisés d’un traitement plus favorable adapté à leurs besoins hydriques particuliers que leurs conditions socio-économiques et même physiologiques engendrent.61

La qualité de l’eau fournie aux individus pour jouir de leur droit humain à l’eau s’apprécie au niveau de la couleur, de l’odeur et du goût de celle-ci, qui doivent être acceptables.62 Il incombe aux États la responsabilité de prévenir la pollution de l’approvisionnement en eau aussi bien par les activités agricoles et industrielles que par les eaux usées. Ils ont également l’obligation de contrôler la qualité de l’eau de boisson fournie aux consommateurs, laquelle doit être conforme aux normes internationales et à la réglementation interne.63

Quant à l’accessibilité, élément constitutif du noyau dur de ce droit, elle suppose que l’eau, les installations et les services doivent être accessibles à tous, sans discrimination. L’accessibilité physique, l’accessibilité économique, la non-discrimination et l’accessibilité de l’information sont les quatre éléments constitutifs de ce critère.64 Le premier élément exige la mise en place d’installations ou de services d’approvisionnement en eau, physiques accessibles à tous, en toute sécurité. Ces points d’eau doivent être en nombre suffisant pour éviter des attentes excessives et doivent être disponibles dans les foyers, les établissements d’enseignement; les hôpitaux, les prisons, les camps des réfugiés, les zones rurales, les zones urbaines défavorisées, etc.65 En outre, ces installations doivent considérer particulièrement les cas des catégories vulnérables et marginalisées, en particulier les personnes handicapées, et doivent être culturellement adaptées et respectueuse de l’égalité des sexes, de l’âge et de l’intimité.66

L’accessibilité économique renvoie au coût abordable de l’eau. Cette dernière doit être économiquement accessible à toute personne de sorte que la réalisation d’autres droits humains n’en soit pas préjudiciée. De même, la fourniture gratuite d’eau salubre est un moyen de rendre l’eau abordable.67 Afin de garantir l’accessibilité à l’eau sur une base égalitaire, la Commission demande aux États d’assurer une fourniture ininterrompue de l’eau aux groupes marginalisés et aux populations ayant un niveau de vie très bas.68 La rupture d’approvisionnement en eau ne sera légale que lorsqu’une personne qui a pourtant les moyens financiers de payer ses factures, refuse de le faire, et ceci après notification au moins un mois à l’avance de la coupure envisagée.69 Par ailleurs, respecter le principe de non-discrimination qui fait partie de l’obligation étatique de garantir le droit humain à l’eau, ne sera effectif que si les groupes marginalisés et vulnérables qui requièrent une attention particulière, auront un accès à l’eau avec des moyens adaptés à leurs conditions spécifiques.70 Enfin l’accessibilité à l’information correspond au droit de rechercher, de recevoir et de répandre les informations concernant les questions relatives à l’eau.71 À cet effet, la Commission demande aux gouvernements de «renforcer les capacités des populations dans la connaissance des droits de l’homme, y compris du droit humain à l’eau, ainsi que les mécanismes de protection.72

3.2 Les obligations minimales étatiques de respecter, protéger et de mettre en œuvre le droit humain à l’eau

À l’instar des droits conventionnellement protégés, le droit humain à l’eau impose trois niveaux d’obligations étatiques que sont celles de le respecter, de le protéger, et de le mettre en œuvre.73 La Commission a souligné dans ses lignes directrices sur le droit à l’eau en Afrique, l’absence de hiérarchie entre ce dernier et les autres droits humains74 (qui dès lors est d’application immédiate par les gouvernements), afin d’éviter que les États ne s’appuient sur le prétexte de la réalisation progressive des DESC pour justifier une éventuelle ineffectivité de ce droit dans leur ordre juridique. La réalisation progressive des DESC, concept consacré par le PIDESC,75 signifie que les États parties à la Charte doivent mettre en œuvre, dans un plan raisonnable, en posant des jalons et des délais réalisables, la jouissance progressive des DESC, dans les limites de leurs ressources disponibles.76 En ce qui concerne le droit humain à l’eau, ces mesures doivent être concrètes et ciblées pour progresser vers l’objectif de la pleine réalisation de ce droit.77

L’obligation de respecter le droit à l’eau impose aux États un devoir d’abstention ou encore d’obligations négatives d’application immédiate.78 Ces dernières renvoient à l’interdiction de toute ingérence directe ou indirecte dans la jouissance de ce droit par les individus ou les communautés. Le CoDESC précise que le devoir de respecter le droit humain à l’eau consiste entre autres à s’abstenir d’exercer une activité susceptible de restreindre ou de refuser l’accès en toute égalité à un approvisionnement adéquat en eau; de s’immiscer dans les arrangements traditionnels et coutumiers de partage de l’eau; de limiter la quantité d’eau ou de la polluer illicitement; de restreindre l’accès aux services et infrastructures ou de les détruire à titre punitif, etc.79

L’obligation de protéger le droit humain à l’eau exige des États l’adoption et l’exécution de mesures positives, c’est-à-dire celles dont l’objectif est d’empêcher toute personne, ou des entités étatiques et non étatiques d’entraver l’exercice de ce droit. La protection passe par l’adoption de lois et règlements garantissant l’accès à une eau salubre, suffisante et sur une base non discriminatoire, et par l’instauration de recours administratifs et juridictionnels disponibles et adéquats assortis d’un mécanisme de réparations en cas d’atteinte au droit humain à l’eau. Si le CoDESC établit que le Pacte ne contient pas de vagues objectifs, intraduisibles en droit interne et insusceptibles de recours, mais de véritables droits subjectifs dont les individus peuvent se prévaloir à l’égard des tiers,80 La Commission s’inscrit dans une logique similaire. Tout en soulignant et déplorant la méconnaissance par la plupart des droits internes africains du caractère justiciable du droit humain à l’eau, l’organe de contrôle de la Charte demande aux parties de protéger ce droit par des mécanismes judiciaires et administratifs.81 Il est toutefois important de relever que bien avant les lignes directrices de 2019, la Commission exhortait déjà les gouvernements concernant leur obligation de protéger le droit humain à l’eau, à mettre l’accent sur sa justiciabilité, c’est-à-dire sur la possibilité de son invocabilité devant le juge.82

Ce dernier est, comme le souligne Roman, «un acteur efficace pour garantir l’effectivité des droits universellement proclamés mais inégalement respectés»; son rôle dans le concept d’effectivité des droits sociaux étant «d’en garantir l’accomplissement».83 L’expérience sud-africaine - où le droit humain à l’eau a été reconnu et consacré bien avant l’ONU - constitue une avancée en matière de garantie de ce droit, dont pourraient s’inspirer d’autres États africains pour d’éventuelles réformes légales destinées à mieux le protéger. La Constitution sud-africaine de 1996 attribue en effet aux tribunaux un large pouvoir discrétionnaire de sanctions et de réparations84 des atteintes aux DESC en reconnaissant la légitimité pour les juges de rendre toute ordonnance pour donner effet aux DESC qu’ils estiment juste et convenable suivant les faits de chaque affaire.85 Il peut aussi assortir ses décisions d’ordonnances de «reddition de compte» qui lui permettent de superviser la conformité des actions étatiques avec un jugement rendu, et d’avoir ainsi un droit de regard sur un dossier en cours.86

En droit sud-africain, le droit humain à l’eau est doté d’une valeur constitutionnelle87 revêtant donc un caractère fondamental, et invocable devant toute juridiction compétente. C’est donc à juste titre que dans l’affaire Grootboom,88 la Cour constitutionnelle a eu l’occasion, en s’appuyant sur l’observation générale 15 du CoDESC, d’expliciter le contenu normatif du droit à l’eau et les obligations étatiques liées à l’effectivité de ce droit. Il serait néanmoins important, avant d’aborder la question de la protection du droit de l’homme à l’eau particulièrement, de faire un bref résumé de l’affaire: Irène Grootboom et d’autres plaignants contestaient, en s’appuyant sur l’article 26 de la Constitution sud-africaine, la constitutionnalité d’un programme gouvernemental de logement qui écartait les besoins en abri, en eau, en électricité et en équipements sanitaires des plus démunis. En appel, la Cour constitutionnelle conclut que la réalisation progressive des DESC est une «obligation indérogeable» étatique, et que «l’obligation est de fournir un accès au logement [...], à une nourriture et à une eau suffisante [...] pour ceux qui ne parviennent pas à assurer leurs conditions d’existence et celles des personnes qui dépendent d’eux [...]». Elle décida que les mesures prises par le gouvernement sud-africain ne pouvaient être considérées comme adéquates ou raisonnables si elles ne bénéficiaient pas aux démunis, et ne répondaient pas à l’obligation de «prendre toutes les mesures raisonnables dans la limite des ressources disponibles».89 La Cour ordonna aux autorités municipales et nationales de «concevoir, financer, et mettre en œuvre et superviser des mesures pour fournir un secours à ceux qui en ont besoin», ainsi que des mesures conservatoires telles que la fourniture des points d’eau, en toilette, etc.90

S’agissant spécifiquement du droit humain à l’eau, le juge dans le cas d’espèce estima que sa réalisation supposait un niveau minimum d’eau nécessaire pour la survie, sur lequel un système de tarification progressif serait imputé pour le recouvrement des coûts.91

Le département sud-africain des affaires de l’eau et de la foresterie, sur la base de cette décision, institua en décembre 2000, un tel programme pour les besoins basiques en eau; ce qui a contribué à réduire les disparités dans l’approvisionnement en eau potable, entre 1996, année de la consécration constitutionnelle du droit humain à l’eau, et 2002. Ainsi, à l’exemple du cas Grootboom, l’intervention du juge peut modeler et améliorer l’action politique et économique pour la protection non seulement du droit humain à l’eau, mais des DESC en particulier. En Afrique du Sud, même si la jouissance du droit à l’eau s’opère encore sur une base discriminatoire dans certains cas, au moins le juge a eu le mérite de contribuer à la réalisation progressive de ce droit.92

On a whole, it appears that South Africa has [...] genuinely attempted to achieve a progressive realization of its right to water, though the costs of realizing this right have not been equitably distributed among various segments of the population, with the poor disproportionately burdened by connection fees and tariff schedules designed to achieve full cost recovery.

Une décennie après l’affaire Grootboom, la Cour constitutionnelle sud-africaine précisa davantage les obligations étatiques relatives à la réalisation du droit humain à l’eau et le rôle du juge dans sa mise en œuvre dans le cas Mazibuko. En l’espèce, les plaignants, résidents pauvres du district de Pirhi contestaient la constitutionnalité d’une décision gouvernementale de limiter l’accès gratuit à l’eau à six kilolitres par famille et mensuellement. Ils exigeaient la fourniture gratuite et quotidienne de 50 litres pour chaque résident du district.93 La Haute Cour et la Supreme Court of Appeal confirmèrent l’obligation constitutionnelle du gouvernement de fournir gratuitement la quantité demandée par les plaignants en fondant leurs décisions sur l’observation générale du CoDESC de 2002.94

La Cour constitutionnelle souligna, s’agissant des obligations étatiques relatives au droit humain à l’eau, que le droit humain à l’eau exigeait plutôt de l’État qu’il prenne des mesures législatives et autres raisonnables pour réaliser progressivement la réalisation du droit d’accès à une eau suffisante, dans les limites de ressources raisonnables. Le rôle du juge est de servir de forum de responsabilisation ou de reddition de compte. La mise en œuvre des obligations positives en matière de DESC n’est exigée des États que lorsque ceux-ci ne prendraient aucune mesure pour réaliser ces droits ou lorsque les mesures prises par l’État étaient déraisonnables.95

Enfin, l’obligation de mettre en œuvre consiste en l’exécution d’actions positives pour avancer sa réalisation. La Commission énumère des obligations étatiques essentielles minimales contribuant à l’effectivité du droit humain à l’eau. Elles renvoient à assurer l’accès à une quantité essentielle minimale d’eau, suffisante et salubre pour l’usage personnel et domestique, y compris pour la prévention des maladies, ainsi qu’à l’accès à un système sanitaire adéquat.

La seconde exigence minimale consiste à assurer un accès physique sûr à des installations ou des services fournissant une eau suffisante salubre et régulière disposant d’un nombre adéquat de sorties d’eau pour éviter les longues files d’attente, et situés à une distance raisonnable des habitations, des établissements éducatifs, des lieux de travail ou des établissements de santé.96

Par ailleurs, en vertu du principe de non-discrimination et d’égalité d’accès, la Commission accentue la nécessité de satisfaire prioritairement les besoins essentiels des groupes vulnérables, dans l’allocation des ressources disponibles qui sont d’ordre financier, technique et humain.97 La précarité des ressources ne justifie pas, à l’exception de quelques situations d’urgence prévues dans les lignes directrices de 2019, la prise de mesures régressives qui peuvent entraîner des reculs dans l’exercice du droit à l’eau.98 De telles mesures peuvent consister en des hausses injustifiées des coûts de l’eau qui excluent systématiquement les populations pauvres. L’insuffisance des investissements dans les ressources humaines, dans l’exploitation et dans l’entretien des services et installations d’approvisionnement en eau potable, contribuent également à la régression dans l’exercice du droit de l’homme à l’eau, en contradiction avec les exigences du droit international et du droit international africain des droits de l’homme.

4 CONCLUSION

L’analyse de la jurisprudence de la Commission et du Comité révèle les occasions manquées de consacrer un droit humain à l’eau autonome d’autres droits de l’homme, sous l’aune desquels il est invoqué. Aucun de ces organes de contrôle n’a pu combler le vide juridique ou encore le silence des instruments régionaux africains de protection des droits humains et particulièrement du texte pionnier en la matière qu’est la Charte, sur l’existence d’un tel droit pourtant fondamental au respect du droit à la vie et à la dignité humaine. Cette insuffisante protection normative pourrait expliquer la considération minimisée que lui accordent la plupart des États africains dans leurs ordres juridiques internes, à quelques exceptions près. Toutefois, on note une avancée à travers le droit mou développé par la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, qui comble cette lacune du système africain de protection des droits humains en consacrant explicitement un droit humain à l’eau distinct des droits conventionnellement consacrés, et entre lesquels n’existe aucune hiérarchie. En s’inspirant du droit international et en tenant compte du contexte socio-économique et culturel africain, l’organe de contrôle de la Charte en définit le contenu normatif et précise les obligations essentielles étatiques que ce droit engendre, en précisant son caractère justiciable très souvent ignoré dans les droits internes africains. Les lignes directrices de Nairobi, la Résolution 300 sur l’obligation de garantir le droit à l’eau et les lignes directrices sur le droit à l’eau en Afrique donnent l’occasion aux organes de contrôle dans des litiges subséquents où des questions d’ordre hydrique seraient évoquées, de confirmer l’existence d’un droit humain à l’eau d’application immédiate et invocable devant les juridictions internes. De même, ce droit mou peut guider les États désireux d’introduire le droit humain à l’eau dans leurs ordres juridiques dans le processus de détermination de son contenu normatif et des responsabilités qui incombent aux pouvoirs publics pour sa mise en œuvre. Cette consécration juridique et surtout constitutionnelle donnera la possibilité pour tout individu d’invoquer devant toute juridiction compétente la violation de son droit d’accès à une eau potable, en quantité suffisante et sur une base non-discriminatoire lorsqu’il est établi que l’insuffisance ou les difficultés d’accès sont dues à l’inaction du gouvernement. Dès lors, elle autorise le juge à participer à sa réelle protection contre atteinte du fait des individus ou des entités étatiques et non-étatiques chargées de sa mise en œuvre.


1. PH Gleick ‘The human right to water’ (1998) 1 Water Policy 493, https:// stuff.mit.edu/afs/athena/course/12/12.000/www/m2017/pdfs/huright.pdf (consulté le 25 mai 2022). La Conférence Mar del Plata tenue à New York en 1977, la Conférence régionale sur la session méditerranéenne du 5ème Forum de l’eau du 15 janvier 2009 à Tunis, par exemple.

2. Une telle affirmation découle du 5ème Forum mondial de l’eau tenu en 2009 à Tunis. Pour des déclarations et résolutions similaires militant pour la consécration d’un droit humain à l’eau et à l’assainissement; lire B Clémenceau ‘Où en est le droit des êtres humains à l’eau et à l’assainissement depuis l’adoption de la Résolution No. 64/292 de l’Assemblée Générale des Nations Unies du 28 juillet 2010 ?’ (2018) 13 Revue des droits de l’homme (2018) notes 37 et 38, https://doi.org/10.4000/revdh.3561 (consulté le 1 avril 2022)

3. Voir la Résolution A/RES/64/292 du 28 juillet 2010, para 1.

4. Par exemple, l’art 14(2)(f) de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDEF) (1979/1981) dispose que: ’Les États parties prennent toutes les mesures appropriées pour éliminer la discrimination à l’égard des femmes dans les zones rurales afin d’assurer sur la base de l’égalité de l’homme et de la femme, leur participation au développement rural [...], ils leur assurent le droit de [...] de bénéficier des conditions de vie convenables, [...] l’approvisionnement en électricité et en eau [...]’; l’art 24 de la Convention relative aux droits de l’enfant (CDE) (1989/1990) dispose que ‘Les États parties reconnaissent le droit de l’enfant de jouir du meilleur état de santé possible [...],et prennent les mesures appropriées pour: c) lutter contre la maladie et la malnutrition [...] grâce à [...] et à la fourniture d’eau potable, [...]’.

5. Clémenceau (n 2) 4. Lire aussi à ce sujet, Gleick (n 1) 492.

6. Pour le CoDESC, le droit à l’eau consiste en ‘approvisionnement suffisant, physiquement accessible et à coût abordable, d’une eau salubre et de qualité acceptable pour les usages personnels domestiques de chacun [...]’. Voir Comité des droits sociaux, économiques et culturels, Observation générale 15 (2002) para 2.

7. Comité des droits économiques, sociaux et culturels (n 6) para 3.

8. HCDH ‘Le HCDH et les droits à l’eau et à l’assainissement’, https:// www.ohchr.org/fr/water-and-sanitation (consulté le 1 avril 2022)

9. Ces inégalités sont majoritairement basées sur le genre. Ce sont principalement les filles et les femmes qui supportent l’essentiel de la charge liée à la collecte d’eau, à laquelle elles consacrent plus d’une demi-heure par jour, au détriment de leur droit à l’éducation

10. Un africain sur quatre a accès à une source sûre d’eau potable, et en Afrique subsaharienne, seulement 24% de la population y accède et les installations sanitaires de base - non partagées avec d’autres foyers - sont réservées à 28% de la population. En outre, des disparités persistent entre les couches défavorisées et celles nanties: en ville, les pauvres vivent dans la promiscuité et ne sont pas connectés au système d’eau courante, ou encore paient souvent l’eau plus cher. Lire ONU ‘L’accès à l’eau potable: plus de 2 milliards de personnes toujours privées de ce droit fondamental’, du 19 mars 2019, disponible sur https://www.un.org/developpement/desa/fr/news/sustainable/new-un-water-development-report.html (consulté le 1 avril 2022).

11. Pour les diverses raisons de garantir un droit humain à l’eau, lire Gleick (n 1) 489.

12. Art 14(2)(c).

13. Art 15(a).

14. Art 7(5)(c).

15. TS Bulto ‘The human right to water in the corpus and jurisprudence of the African human rights system’ (2011) 11 African Human Rights Law Journal 345.

16. Art VII(2). La version révisée de cette convention fût adoptée en juillet 2013 et entrée en vigueur en 2016.

17. Art VII(1).

18. Art 72(1) de la Charte de l’eau du Bassin du Lac Tchad du 30 avril 2012 ratifiée en 2017 par le Cameroun, le Tchad, le Niger et le Nigeria. Seules la Libye et la République centrafricaine ne l’ont pas encore fait. Il en de même de l’article 4 de la Charte des Eaux du Sénégal qui disposent que les principes directeurs de toute répartition des eaux du Fleuve visent à assurer [...] la pleine jouissance de la ressource dans le respect [...] du droit fondamental de l’homme à une eau salubre [...]». Cette Charte est adoptée le 28 mai 2002 avec pour pays signataires le Mali, la Mauritanie et le Sénégal. Elle n’est pas encore entrée en vigueur.

19. La Charte a été adoptée en 2008 par le Burkina-Faso, la Côte-d’Ivoire, la Guinée, le Mali, le Niger, le Tchad, le Nigéria et le Cameroun. Elle n’est pas encore entrée en vigueur.

20. Voir par exemple les arts 2 et 32(1) de la Charte de l’eau du Bassin du Lac Tchad.

21. L’art 42 de la Charte africaine de l’enfant confère au comité comme mission de: e) promouvoir et protéger les droits protégés dans ladite Charte notamment: v) d’élaborer et formuler des principes visant à protéger les droits et le bien-être de l’enfant en Afrique; g) d’interpréter les dispositions de la présente Charte [...]. L’art 45 de la Charte donne une mission similaire à la Commission dans ses alinéas 1(b) et 3. La Cour en vertu de l’art 3 du Protocole la créant (1998/2004), est compétente pour connaître de toutes les affaires et de tous les différends dont elle est saisie concernant l’interprétation et l’application de la Charte.

22. Arts 16, 24, 5 et 4 de la Charte, respectivement.

23. Centre pour les droits de l’homme (Université de Pretoria) et la Rencontre africaine pour la défense des droits de l’homme (Sénégal) c. Le gouvernement de Sénégal, décision No. 3/Com/001/2012 para 52.

24. IHRDA & Open Society Justice Initiative (OSJI) (au nom d’enfants d’ascendance nubienne au Kenya) c. Kenya (2011) AHRLR 181 (ACERWC 2011) paras 59-60.

25. Free Legal Assistance Group & autres c. Zaïre (2000) AHRLR 74 (ACHPR 1995) para 62.

26. Sudan Human Rights Organisation and Another c Sudan (2009) AHRLR 153 (ACHPR 2009) para 212.

27. Comité des droits sociaux, économiques et culturels, Observation générale 14 (2000) para 34.

28. Social and Economic Rights Action Centre (SERAC) and Another c. Nigeria (2001) AHRLR 60 (ACHPR 2001) paras 49, 50 et 70.

29. Bulto (n 15) 346.

30. M Samson & C Béranger ‘La méthode téléologique’ du 9 novembre 2016, https://www.redactionjuridique.chaire.ulaval.ca/sites/redactionjuridique.chaire.ulaval. ca/files/capsule-methode-teleologique-vf.pdf (consulté le 3 juin 2022).

31. A Amin ‘The potential of African philosophy in interpreting socio-economic rights in the African Charter on Human and Peoples’ Rights’ (2021) 5 African Human Rights Yearbook 25.

32. SERAC (n 28) para 60.

33. SERAC (n 28) para 64.

34. SERAC (n 28) para 66.

35. Bulto (n 15) 350.

36. Dans l’affaire IHRDA & Open Society Justice Initiative (OSJI) (au nom d’enfants d’ascendance nubienne au Kenya) c. Kenya (2011) AHRLR 181 (ACERWC 2011), afin de constater la violation du droit à la santé des enfants nubiens par le gouvernement kenyan, le Comité s’appuie sur la décision de la Commission dans le cas Purohit c. Gambie (2003) AHRLR 96 (ACHPR 2003) où celle-ci reconnaît que le droit à la santé garanti par la Charte comprend ‘l’accès aux installations de soins, l’accès aux marchandises et aux services qui doivent être garantis pour tous sans discrimination d’aucune sorte’. Voir para 59.

37. Pour l’affaire concernant les enfants d’ascendance nubienne, voir note 24.

38. Bulto (n 15) 350.

39. Comité des droits sociaux, économiques et culturels (n 6) para 3.

40. (n 6) para 3.

41. Art 42(e) (v) et (g).

42. Art 45(1)(b) et 3.

43. Art 3.

44. Art 60 de la Charte.

45. Art 61 de la Charte

46. Les principes et les lignes directrices de la Commission sur la mise en œuvre des droits économiques, sociaux et culturels «Lignes directrices de Nairobi» ont été adoptés le 24 octobre 2011 par la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP).

47. CADHP Résolution sur l’obligation de garantir le droit à l’eau-CADHP/Res.300 (EXT.OS/XVII) 2015, https://www.achpr.org/fr_sessions/resolutions?id=149 (consulté le 8 juin 2022).

48. Adoptées lors de la 26ème session extraordinaire de la CADHP, en juillet 2019. Disponible sur https://www.achpr.org/fr_legalinstruments/detail?id=71 (consulté le 8 juin 2022).

49. Les lignes directrices sur le droit à l’eau en Afrique (2019) stipulent que tous les droits, y compris le droit à l’eau, sont d’application immédiate après ratification de la Charte. Les États doivent donc respecter, protéger, promouvoir et mettre en œuvre le droit à l’eau exercé individuellement ou groupe. Elles précisent l’absence de hiérarchie entre tous les droits de l’homme qui doivent être protégés au moyen de recours administratifs et judiciaires. Voir para 3.

50. CADHP (n 48) para 3.3.2.

51. Rapporteur Spécial, Rapport sur la réalisation progressive des droits humains à l’eau et à l’assainissement, A/HRC/45/10 disponible sur https://www.ohchr.org/sites/default/files/Documents/Issues/Water/10anniversary/Progressive_Realiza tion_FR.pdf (consulté le 7 avril 2022).

52. Comité des droits économiques, sociaux et culturels (n 6) para 6: ‘L’eau est nécessaire à des fins diverses, outre les usages personnels et domestiques, pour la réalisation de nombreux droits énoncés dans le Pacte [...]. La priorité devrait aussi être donnée à la prévention de la faim et des maladies [...]’.

53. CADHP (n 48) para 88.

54. Selon l’OMS, fournir une eau en quantité suffisante renvoie à un approvisionnement par l’État d’un minimal de 20l/pers/jr. Pour la réalisation du droit à l’eau, il doit fournir au moins 50 à 100 l d’eau/hbt/jr. Voir CADHP (n 49) notes 6 & 27. Elle fait également référence selon la Commission, à la quantité d’eau nécessaire pour satisfaire les besoins personnels et domestiques de l’individu.

55. CADHP (n 48) 10 et paras 13.1 & 13.2. Un groupe vulnérable est constitué de personnes particulièrement exposées au risque de ne pas recevoir suffisamment d’eau ou ne pas en recevoir du tout, en raison d’une situation de dépendance vis-à-vis d’un établissement public ou d’une condition pouvant être liée à leur âge, situation économique, état de santé, travail, lieu de résidence, sexe, handicap ou autre.

56. Selon la Commission, ce sont ceux qui n’ont pas accès ou un accès insuffisant à l’eau.

57. Une eau abordable signifie que le coût du service de l’eau ne constitue pas une menace, ni un obstacle à la capacité de la personne à satisfaire d’autres besoins essentiels, comme la nourriture, le logement et les soins de santé. Lire CADHP (n 48) 9.

58. CADHP (n 49) 10. Voir aussi CADHP (n 48) para 89.

59. Comité des droits économiques, sociaux et culturels (n 6) para 12(a)

60. CADHP (n 48) paras 13.1 & 13.4

61. CADHP (n 48) para 13.3

62. CADHP (n 48) para 16.1.

63. CADHP (n 48) para 16.2

64. Comité des droits économiques, sociaux et culturels (n 6) para 12(c).

65. CAHDP (n 48) para 14.1.

66. CADHP (n 48) para 14.2.

67. CADHP (n 48) para 15.1.

68. CADHP (n 48) paras 15.4 & 15.5: ‘Les groupes marginalisés ne doivent jamais être déconnectés du réseau d’approvisionnement en eau. La coupure complète par défaut de paiement ne peut être autorisée que si la personne incapable de payer a accès à une autre source d’approvisionnement garantissant ainsi son droit à l’eau tel que défini dans les présentes Lignes directrices’.

69. CADHP (n 48) para 15.6.

70. Voir la partie 4 des Lignes directrices sur le droit à l’eau en Afrique de 2019 qui détaille les individus faisant partie des groupes concernés par le principe de non-discrimination ; la Résolution de la CADHP sur l’obligation de garantir le Droit à l’Eau - CADHP/Res.300(EXT.OS/XVII) de 2015 para vii; et l’observation générale No15 (2002) sur le droit à l’eau du CoDESC, para 12(c)(iii).

71. Comité des droits économiques, sociaux et culturels (n 6) para 12(c)(iv).

72. CADHP (n 48) para vi.

73. Comité des droits économiques, sociaux et culturels, observation générale (n 6) para 20. Voir également CADHP (n 48) paras 4-12.

74. CADHP (n 48) para 3.2.

75. PIDESC art 2(1).

76. CADHP (n 48) para 14.

77. Rapporteur spécial (n 52) 2

78. D Roman ‘La justiciabilité des droits sociaux ou les enjeux de l’édification d’un État de droit social’ (2012) 1 La Revue des droits de l’homme 17 disponible sur https://revdh.revues.org/635 (consulté le 23 juin 2022).

79. Comité des droits économiques, sociaux et culturels (n 6) para 21.

80. Roman (n 79) 17.

81. CADHP (n 48) para 3.2.

82. CADHP (n 47) para v.

83. Roman (n 79) notes 143 et 182.

84. Dans l’affaire Ministère de la santé et autres c. Organisation Treatment Action Campaign et autres, Cour Constitutionnelle d’Afrique du Sud CCT 8 février 2002, la Cour constitutionnelle ordonna la levée immédiate des restrictions gouvernementales à la fourniture des médicaments antirétroviraux dans les hôpitaux extérieurs aux sites pilotes, et d’élaborer un programme complet visant la réduction des risques de transmission du VIH de la mère à l’enfant. Pour les détails sur les faits de cette espèce et le jugement de la Cour, lire ONUSIDA ‘La poursuite des droits: Études de cas sur le traitement judiciaire des droits fondamentaux des personnes vivant avec le VIH’ (2006) 83-86 disponible sur https://www.unaids.org/sites/default/files/media_asset/jc1189-courtingrights_ fr_0.pdf (consulté le 01 juillet 2022).

85. D Robitaille ‘La justiciabilité des droits sociaux en Inde et en Afrique du Sud’ (2012) 1 La Revue des droits de l’homme 174, https://journal.openedition.org/revdh/pdf/127 (consulté le 1 juillet 2022).

86. Robitaille (n 85) 258.

87. L’Afrique du Sud est le premier pays africain à consacrer un droit humain à l’eau. Sa Constitution de 1996, en son art 27(1)(b) dispose: ‘Everyone has the right to have access to [...] sufficient food and water [...]’. Elle reconnaît également le concept de la réalisation progressive des droits économiques et sociaux: ‘The state assumes an obligation to take reasonable legislative or other measures, within its available resources, to achieve the progressive realisation of each of these rights’ (Chap II, sect 27(2)). Le Burkina-Faso est le premier pays ouest africain à s’investir dans la protection du droit humain à l’eau en le constitutionnalisant en 2015. A la faveur de la révision constitutionnelle du 05 novembre 2015 par la loi n° 072-2015/CNT, l’eau potable et l’assainissement ont été ajoutés comme droit sociaux: ‘[...] l’eau potable et l’assainissement [...] constituent des droits sociaux [...] reconnus par la présente Constitution qui vise à les promouvoir ’ (art 18 de la Constitution du Burkina-Faso du 2 juin 1991)

88. Government of the Republic of South Africa and Others v Grootboom and Others 2000 11 BCLR 1169 (CC).

89. V Roufiol ‘La justiciabilité des obligations positives en matière de DESCE: l’affaire Grootboom (Afrique du Sud, 2001)’ du 20 avril 2005 https://www.rinoceros.org/article1129.html (consulté le 1 juillet 2022).

90. Roufiol (n 89). Lire cet article pour les points saillants de la décision de la Cour constitutionnelle.

91. Erik B Bluemel ‘The implications of formulating a human right to water’ (2009) 31 Ecology Quarterly 958 disponible sur https://www.internationawaterlaw.org/bibliography/articles/general/Erik_Bluemel/-Right_to_water. pdf (consulté le 25 mai 2022).

92. Bluemel (n 91) 980.

93. T Humby & M Grandbois ‘The human right to water in South Africa and the Mazibuko decisions’ (2010) 51 Les cahiers de droit 531, https://www.erudit.org/en/journals/cd1/2010-v51-n3-4-cd4010/045722ar.pdf (consulté le 17 novembre 2022).

94. Humby & Grandbois (n 93) 533-535.

95. Humby & Grandbois (n 93) 536-537.

96. CADHP (n 48) para 92(a)(b)(c)

97. CADHP (n 48) para 14.

98. CADHP (n 47) para 16 et CADHP (n 48) para 6.1.