Ali Kairouani
 Professeur de Droit international public à l’Université Mohammed V de Rabat (Maroc). Docteur en Droit public (France), (Arbitre sur la liste de l’ORD de la ZLECAf), Membre de la société africaine de Droit international, Membre de la société africaine de Droit communautaire.
  https://orcid.org/0000-0003-0783-0798


 Edition: AHRY Volume 7
 Pages: 284-302
 Citation:   A Kairouani ‘La mise en oeuvre du droit au développement dans le Protocole d’investissement de la Zone de libreéchange continentale africaine’ (2023) 7 Annuaire africain des droits de l’homme 284-302
 http://doi.org/10.29053/2523-1367/2023/v7a13
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RÉSUMÉ

Le présent article explore la mise en œuvre du droit au développement à partir du protocole d’investissement de l’accord la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) et au regard du droit international africain des droits de l’homme et du droit international des investissements étrangers. Le projet de protocole d’investissement adopté en février 2023 vient confirmer dans son préambule le droit des Etats africains de réglementer au service du développement de leurs populations et des communautés locales. Néanmoins, ce dernier se heurte à la protection conventionnelle du droit d’investir des investisseurs étrangers et à la question épineuse de l’interprétation des traités d’investissement axée sur la protection de l’investisseur et de l’investissement. Cela constitue à la fois un obstacle à la lumière de la jurisprudence arbitrale existante et une opportunité africaine pour réorienter ce droit de l’investissement vers plus de développement et d’inclusion. Il faut préciser également qu’une cristallisation du droit au développement durable se profile à travers le protocole d’investissement de la ZLECAf notamment dans son préambule, dans l’article 24 et l’article 28 relatif aux objectifs de développement durable. En partant de cette perspective et en utilisant une méthode inductive, un droit de traitement préférentiel émerge en faveur des entreprises et des populations locales dans le cadre de cet accord ce qui bouleverse les principes préétablis du droit international des investissements et constitue une remise en question des clauses de protection substantielle de l’investissement à l’instar de la clause du traitement national.

TITLE AND ABSTRACT IN ENGLISH

The implementation of the right to development in the African Continental Free Trade Agreement Investment Protocol

ABSTRACT

This article explores the implementation of the right to development from the perspective of the African Continental Free Trade Agreement (AfCFTA) Investment Protocol, African international human rights law and international foreign investment law. The draft Investment Protocol, adopted in February 2023, confirms in its preamble the right of African states to regulate the development of their populations and local communities. However, this pursuit comes up against the conventional protection of foreign investors’ right to invest and the thorny issue of interpreting investment treaties in terms of investor and investment protection. This constitutes both an obstacle in the light of existing arbitration case law and an African opportunity to reorient investment law towards greater development and inclusion. It should also be pointed out that the right to sustainable development is crystallised in the AfCFTA Investment Protocol, particularly in its preamble, article 24 and article 28 on sustainable development objectives. From this perspective and using an inductive method, a right to preferential treatment emerges in favour of companies and local populations within the framework of this agreement, which overturns the pre-established principles of international investment law and calls into question the clauses providing substantial protection for investment, such as the national treatment clause.

MOTS-CLÉS: droit au développement, protection de l’investissement, liberté d’investir, protocole d’investissement de la ZLECAf, développement durable, droits de l’homme

 

SOMMAIRE:

1 Introduction 

2 La combinaison entre la protection de l’investissement et le droit au développement au sein du protocole d’investissement de la ZLECAf 

2.1 La corrélation entre la liberté d’investir et le droit au développement 

2.2 La subordination du droit de propriété de l’investisseur aux objectifs légitimes de développement de l’Etat

3 La contribution de l’«investissement protégé» au renforcement du droit au développement durable dans le protocole d’investissement de la ZLECAf 

4 L’implication des investisseurs dans la préservation du droit au développement durable au sein de la ZLECAf 

5 L’articulation entre l’investissement et les droits de l’homme pour un développement durable et inclusif au sein de la ZLECAf 

6 Conclusion 

1 INTRODUCTION

Le droit au développement est un droit à la fois individuel et collectif, il est considéré comme un droit au service de la promotion du développement.1 La déclaration sur le droit au développement du 4 décembre 1986 fut le premier texte universel consacré exclusivement à ce concept juridique. Toutefois c’est plutôt avec l’adoption de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples que cette notion fera son entrée au sein d’un instrument conventionnel régional contraignant en 1981. L’article 22 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples dispose que2  

  1. Tous les peuples ont droit à leur développement économique, social et culturel, dans le respect strict de leur liberté et de leur identité et à la jouissance égale du patrimoine commun de l’humanité.
  2. Les Etats ont le devoir, séparément ou en coopération, d’assurer l’exercice du droit au développement.

Il en ressort de ces deux paragraphes qu’il s’agit d’un droit garanti par l’Etat au profit de la personne ou d’une collectivité. Pour Kéba M’baye, il semble difficile de donner une définition catégorique au droit au développement, toutefois, la délimitation des éléments constitutifs reste possible

en cernant de plus près les éléments constitutifs du droit au développement, il ne sera pas impossible de trouver une définition. Notons que: le droit au développement est un pouvoir ou une prérogative; -- il concerne à la fois l’homme et tous les hommes pris collectivement; -- l’ensemble de la population doit participer librement au développement et en profiter sur une stricte égalité et en toute justice - le droit au développement postule l’exercice des droits de l’homme et des libertés fondamentales; -- le choix du modèle de développement doit être libre; -- le droit au développement s’exerce tant au plan national qu’international; -- il suppose la coopération sur une base équitable; -- il doit respecter le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.3

Pour Mohamed Bennouna, «les exigences du développement ne peuvent en aucun cas justifier les atteintes aux droits fondamentaux de la personne humaine».4 Le débat mené entre les Etats africains autour de l’impact positif ou négatif des traités d’investissement sur leur développement explique en partie la raison de l’établissement d’un accord recherchant plus d’équilibre dans le lien de droit entre les investisseurs et les Etats africains.5 Ce qui explique la structure contextuelle du protocole d’investissement de la ZLECAf qui veille à l’équilibre entre le droit au développement des Etats hôtes et des populations locales ainsi que la sauvegarde des intérêts et des droits économiques des investisseurs étrangers. La Résolution sur le droit au développement de l’Assemblée générale de l’ONU 67/171 adoptée le 20 décembre 2012 précise que «dans la Déclaration et le Programme d’action de Vienne, que le droit au développement est un droit universel et inaliénable qui fait partie intégrante des droits fondamentaux de la personne humaine, et que celle-ci est le sujet central du développement et son principal bénéficiaire».6 Dans cette même résolution, l’Assemblée générale rappelle son soutien indéfectible au nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique qui constitue le cadre de développement pour l’Afrique. Toutefois, depuis l’entrée en vigueur de la Zone de libre-échange continentale africaine en janvier 2021, la cadre de développement africain a été élargi au regard de cette nouvelle initiative.

L’article 3(e) de l’accord ZLECAf précise que parmi les objectifs de cette zone de libre-échange c’est de «promouvoir et réaliser le développement socio-économique inclusif et durable, l’égalité de genres et la transformation structurelle des États parties».7 L’Etat africain possède dès lors, une obligation à l’égard des individus ou des communautés dans la réalisation du développement économique, social, culturel et environnemental. Si l’on prend dans cette perspective également l’article 24 de la Charte africaine qui énonce que «tous les peuples ont droit à un environnement satisfaisant et global, propice à leur développement». Il s’agit d’une particularité africaine parce que dans la déclaration sur le droit au développement on ne se réfère pas du tout à la question environnementale ou climatique alors que le développement durable à l’heure actuelle conditionne tout développe-ment à l’échelle planétaire.8 Le droit au développement demeure souvent considéré comme «un droit matriciel» pour les autres droits de l’homme.9 A cet effet, le préambule du protocole d’investissement de la ZLECAf dispose: ‘Reaffirming the right of State Parties to regulate within their territories and to introduce new measures with a view to meeting national public policy objectives and to promoting sustainable development objectives’. Le préambule représente une affirmation du droit de réglementer au service du développement durable et reprend ainsi l’une des bases de l’ordre économique africain émergent.10 L’encadrement des investissements et la limitation de la marge de manœuvre de l’investisseur se traduisent par l’introduction de clauses relatives au respect du développement durable. Notamment des clauses de conditionnalité relative au fait que l’investissement étranger ne doit nullement entraver le développement durable de l’État hôte, surtout en matière du droit du travail et du droit environnemental à l’image des clauses RSE et de corporate governance qui constitue des critères de contrôle environnements, sociaux et de gouvernance des Etats africains pour mesurer l’impact des investisseurs en matière de développement durable.

Les disparités interétatiques de développe-ment et les disparités de développement entre les populations en Afrique reste l’une des principales raisons de l’établissement de la ZLECAf. D’ailleurs, l’élaboration du traité d’investissement ZLECAf a pour but d’attirer de nouveaux investissements africains pour le développement des pays africains les moins développés en concurrencent par la même occasion les traités bilatéraux d’investissement conclus entre les États africains avec des puissances économiques mondiales.11 Les objectifs de développement durable figurant à l’article 28 du protocole d’investissement et l’intégration de celui-ci dans le but du présent traité permettent à celui-ci de devenir volens nolens un critère de définition de l’investissement au sein de la ZLECAf. Cette analyse va chercher à explorer les outils qui mènent à la réalisation du droit au développement au sein du protocole d’investissement en deux temps. D’abord, la particularité de ce traité réside dans la combinaison entre la protection des investissements et la garantie du droit au développement. Ensuite, cet accord place «l’investissement protégé» conforme à ses dispositions convention-nelles comme un vecteur du développement durable au sein de la zone de libre-échange.

2 LA COMBINAISON ENTRE LA PROTECTION DE L’INVESTISSEMENT ET LE DROIT AU DÉVELOPPEMENT AU SEIN DU PROTOCOLE D’INVESTISSEMENT DE LA ZLECAf

La contexture du traité d’investissement panafricain se distingue des autres traités non africains de nouvelle génération,12 en combinant l’objet et le but du traité à savoir la promotion et la protection de l’investissement avec l’impératif de développement.13 En effet, certains droits de l’investisseur se trouvent encadrer par le droit au développement et d’autres droits de l’investisseur deviennent réguler par les exigences du droit au développement.

2.1 La corrélation entre la liberté d’investir et le droit au développement

La liberté d’investir reste l’objet principal de la plupart des traités d’investissement d’ancienne et de nouvelle génération au profit des investisseurs étrangers. Elle est principalement liée au droit d’établissement, la non-discrimination, la transparence ainsi que la norme minimale de traitement des investissements étrangers.14 Dans l’article 1 de la version finale du projet de protocole d’investissement adopté par les chefs d’Etat africains lors du 36ème sommet de l’UA en février 2023, l’on retient qu’il s’agit d’une définition objective de l’investissement qui reprend les quatre critères classiques du test Salini à savoir un certain apport, pour une certaine durée, avec une prise de risque et une contribution au développement durable de l’Etat hôte.15 On peut signaler que les deux éléments nouveaux résident dans la recherche du profit par l’investisseur et le terme durable qui vient remplacer le développement économique. Ces apports confortent la tendance jurisprudentielle observée auprès du CIRDI qui laissait la porte ouverte à l’évolutivité de la notion d’investissement.16 Il s’agit mutatis mutandis d’un rattachement certain entre le droit international des investissements et le développement durable en Afrique.17 Cela ressort du préambule du protocole d’investissement cité précédemment puisque le droit de réglementer de l’État des investissements étrangers doit poursuivre des objectifs de développement durable.18 Ce choix effectué par les États africains peut s’expliquer en partie par les attentes africaines et par la mutation du droit international

celle de la démultiplication des objets du droit international, du passage d’un droit qui, au XIXe siècle évoluait entre le boudoir de l’ambassadrice et le champ de bataille, essentiellement concentré sur des problèmes politiques, à un système juridique qui, aujourd’hui, se trouve confronté aux problèmes économiques, sociaux et culturels, aggravés par les disparités de développement.19

La liberté d’investir se trouve confrontée dans le cadre continental aux objectifs légitimes de politiques publiques de l’État liées au développe-ment principalement.20 L’agenda 2063 notamment s’articule autour de ce principal objectif qui devient la clé de voûte de l’ensemble de l’agenda normatif de l’Union africaine.21 L’article 24 du proto-cole d’investissement relatif au droit de réglementer des investisse-ments étrangers trouve son fondement dans l’article 2 de la Charte des droits et des devoirs économiques avec un élargissement de son contenu à travers la réalisation des objectifs de développement durable.22 Une partie de la doctrine avait rappelé l’importance d’imaginer une nouvelle manière pour établir des ponts entre le droit international des investissements et le droit international du développement pour réduire un hiatus qui existait entre les deux branches.23 Le constat qui en résulte c’est que «le droit au développe-ment et la liberté économique interfèrent l’un avec l’autre et s’influencent mutuellement».24 Force est de constater que le droit international africain a été précurseur en la matière et qu’il continue de renforcer cette spécificité par la corrélation entre la liberté d’investir et le droit au développement à travers les différentes dispositions du protocole d’investissement de la ZLECAf.25 Les clauses de traitement de l’investissement et de l’investisseur regroupent des exceptions liées au développement qui traduisent parfaitement la corrélation entre le droit d’investir et le droit au développement par le biais du droit de réglementer de l’État d’accueil au service du développement.26 L’article 5 du protocole d’investissement dispose qu’un investisseur qui ne se conformerait pas aux obligations qui lui incombent en vertu du chapitre 5 du protocole ne peut pas bénéficier des avantages et protection juridique de cet accord. La lecture combinée des articles relatifs aux droits de l’homme 33, 34 et 35 de ce traité confirme que la protection de la liberté d’investir reste étroitement liée au respect du droit au développement. Par ailleurs, l’article 13.2 du protocole rappelle que le traitement préférentiel accordé aux investisseurs nationaux et dont l’objectif principal reste le développement national ne constitue en aucun cas une violation de l’article 12 relatif à la clause du traitement national. La régulation de la liberté d’investir répond aux objectifs légitimes de politique de progrès économique et sociale pour la garantie du droit au développement de l’Etat d’accueil. D’abord, elle se profile par l’abandon, du standard du traitement juste et équitable dans le protocole d’investissement de la ZLECAf et son remplacement par l’article 17 relatif à la clause du traitement administratif et judiciaire ayant pour objectif d’éviter les controverses relatives au sens à attribuer au traitement réservé à l’investisseur et à l’investissement étranger. Ensuite, l’exclusion du traitement juste et équitable émane d’une volonté profonde des États africains de faire prévaloir le droit au développement sur la liberté d’investir et le droit de propriété de l’investisseur étranger tout en lui garantissant ses intérêts ainsi que ses droits fondamentaux. Cela se traduit par une ligne directrice du protocole d’investissement de la ZLECAf en partant du préambule aux articles 24 (droit de réglementer les investissements étrangers), 28 (objectifs de développement durable), 32 (conformité au droit interne et international), 33 (Business and Human rights) et l’article 47 sur la responsabilité de l’investisseur. Cette somme de dispositions normatives n’est qu’une consécration de la théorie de ‘the rule of law’ à savoir la primauté du droit comme stratégie de développement, un concept qui résulte des travaux de David Kennedy.27 La primauté du droit ici se traduit sur le plan continental par la tentative de refonte africaine du droit international des investissements en cours avec un essai d’acculturation juridique qui consiste à réorienter le droit international des investissements vers les valeurs et les priorités africaines.28 Cette théorie relative au ‘rule of law’ a été abordée également par Jansen Calamita à propos des accords internationaux d’investissement en Asie.29 Il faut souligner que le droit au développement formulé dans les dispositions conventionnelles de la zone africaine de libre-échange se distingue de l’approche classique du droit et du développement en incluant la dimension non marchande avec le référentiel normatif occidental.30 L’encadrement des libertés économiques de l’investisseur étranger par le droit au développement représente une illustration du particularisme africain.

2.2 La subordination du droit de propriété de l’investisseur aux objectifs légitimes de développement de l’Etat

Le droit de propriété de l’investisseur reste étroitement lié à la définition de l’investissement dans le protocole d’investissement dans l’article 1(b). Le droit de propriété est un droit-liberté puisqu’il donne la liberté de posséder mais aussi le pouvoir sur la chose possédée. La protection des investisseurs étrangers contre l’expropriation illicite constitue le noyau dur de l’ensemble des traités d’investissement.31 La liberté d’investir évoquée ci-dessus ainsi que le droit de propriété reste complémentaire parce que la première liberté constitue une garantie et la conséquence du droit de propriété. Le traité d’investissement panafricain quant à lui a pour principal effet de conduire au développement.32 La promotion de l’investissement repose pour une grande partie sur la liberté d’investir et le droit de propriété dans le cadre du protocole d’investissement de la ZLECAf. Toutefois, à la lumière de ce traité panafricain d’investissement, le droit de propriété se trouve subordonné aux exigences des objectifs légitimes de développement de l’Etat tel que cela figure dans le protocole d’investissement au niveau des articles 19 et 20 qui concernent respectivement la clause de protection contre l’expropriation directe et indirecte et la clause d’exception de cette dernière. L’expropriation ou la nationalisation est un droit qui appartient à l’État hôte de l’investissement en vertu du droit de réglementer les investissements étrangers conformément au droit international coutumier et à l’article 2 de la Charte des droits et des devoirs économiques de l’Etat mais reste soumis à certaines conditions comme l’a si bien rappelé récemment la Cour internationale de justice.33

Le droit de réglementer avec pour objectif de réaliser le progrès économique et social, voire in fine le développement, constitue un droit fondamental de l’Etat et un droit impératif au sein de l’ordre juridique international34 étroitement lié à l’exercice de la souveraineté en droit international.35 Cette souveraineté comme l’explique Michael Reisman n’est plus l’apanage unique des gouvernants car elle se manifeste actuellement à travers la liberté des populations ou des gens à choisir le schéma économique et social pour leur développement.36 Cela est largement consacré dans le protocole d’investissement de la ZLECAf notamment dans les articles 28 (objectifs de développement durable), 33 (éthique des affaires, droits de l’homme et droit du travail), 34 (protection de l’environnement) et 35 (populations autochtones et communautés locales). L’expropriation d’après l’article 19 du même traité est considérée une mesure licite sous certaines conditions, la non-discrimination, Le but d’intérêt public et une indemnisation ou compensation adéquate. La non-discrimination est mentionnée dans l’article 12 à savoir la clause relative au traitement national, c’est-à-dire que l’État d’accueil s’engage à offrir les mêmes avantages aux investisseurs nationaux et étrangers conformément à ses engagements conventionnels en matière d’investissement. Néanmoins, elle devrait être nuancée par l’article 5 de l’accord ZLECAf qui rappelle que l’un des principes de cette zone demeure la flexibilité et le traitement spécial et différencié. Cela figure clairement dans l’article 13 du protocole d’investissement concernant l’exception au traitement national en faisant référence aux objectifs légitimes de développement qui permettront traitement préférentiel et différentiel en faveur des investisseurs nationaux au détriment des investisseurs étrangers. Dans le troisième alinéa de l’article 21 relatif à la compensation pour expropriation, celui-ci se distingue également des autres traités d’investissement de nouvelle génération, dans la mesure où l’évaluation d’une indemnité est basée sur un juste équilibre entre l’intérêt public et l’intérêt des populations. L’intérêt public est un principe de droit international général depuis la résolution 1803 de l’Assemblée Générale des Nations Unies et qui considère que la nationalisation ou l’expropriation doivent se fonder sur des motifs d’utilité publique, de sécurité ou d’intérêt national. Les impératifs de développement s’inscrivent-ils dès lors dans la droite lignée de l’intérêt public qui justifie largement une mesure de nationalisation ou d’expropriation non-discriminatoire de la part de l’Etat d’accueil et moyennant une compensation prompte et adéquate. Ce qui ressort de l’analyse textuelle de l’article 20 du protocole c’est que la mesure d’expropriation ou de nationalisation qui répond à un objectif légitime de politiques publiques liées au développement ne constituent pas une mesure illicite. Ces mesures s’inscrivent dans le cadre du critère du but légitime de la mesure réglementaire. Certaines réglementations spécifiques sont communément désignées comme des «mesures de police» Polices Powers ou «réglementations publiques légitimes» et ne sont donc pas indemnisables.37 Les mesures réglementaires qui ne sont pas discriminatoires et qui sont prises pour protéger l’environnement, la santé, le bien-être public ou la sécurité ne peuvent pas être considérées comme des mesures d’expropriation indirectes. Le développement représente un soubassement effectif pour la protection de l’environne-ment ainsi que du bien-être public.

Par ailleurs, l’expropriation indirecte et son impact sur l’articulation entre la liberté d’investir et le droit de réglementer de l’Etat pour réaliser les objectifs de développement reste posée avec acuité et l’interprétation stricto ou lato sensu de ces dispositions conventionnelles permettra de déterminer les contours de la confluence entre le droit au développement et la liberté d’investir. La nouveauté ici dans le protocole d’investissement est l’introduction du développement y compris durable comme un objectif légitime de politique publique susceptible de limiter le droit de propriété de l’investisseur. Le caractère absolu du droit de propriété de l’investisseur a été fortement limité à travers ses dispositions conventionnelles qui justifient en grande partie les actions publiques de développement conduisant à une dépossession des investisseurs étrangers. Cela peut s’expliquer par la nécessité de réduire les disparités de développement existantes qui continuent de s’aggraver entre les Etats. Elles ont été mentionnées dans la résolution 67/171 de l’Assemblée générale des Nations Unies qui38

se déclare profondément préoccupée, à ce propos, par le fait que la réalisation du droit au développement pâtit de la nouvelle aggravation de la situation économique et sociale, en particulier dans les pays en développement, engendrée par les crises énergétique, alimentaire et financière internationales et la multiplication des difficultés liées au changement climatique planétaire et à la perte de biodiversité, facteurs de vulnérabilité et d’inégalité accrues qui ont également mis en péril les acquis du développement, notamment dans les pays en développement.

La même préoccupation est reprise par les Etats africains dans le préambule du protocole d’investissement qui dispose que «[r]econnaissant les différents niveaux de développement entre les États parties et les défis auxquels ils sont confrontés dans l’adoption et l’application du présent protocole et les autres politiques d’investisse-ment». On peut déduire mutatis mutandis, qu’il ressort de l’article 24 et de l’article 28 du protocole d’investissement deux types de libertés de réglementer de l’Etat d’accueil qui ne peuvent en aucun cas porter atteinte au droit de propriété de l’investisseur et conduire à une compensation. D’un côté, un droit de réglementer des investissements étrangers au service du développement à l’instar de l’article 28 (a) et (b) (le développement de la branche production locale, nationale ou infrarégionale) le choix de la politique économique, article 28(c) et (d) (le développement de l’économie de la connaissance), le choix de la politique sociale. D’un autre côté, un droit de règlementer pour réduire les disparités et le sous-développement: article 28(e) et (f) (le développement humain et du savoir) le choix de la politique de l’enseignement et de la recherche scientifique, article 28(g) (le développement inclusif pour lutter contre les disparités de développement) discrimination positive en faveur des populations autochtones et des minorités), le choix de la politique d’inclusion économique et sociale.

3 LA CONTRIBUTION DE L’«INVESTISSEMENT PROTÉGÉ» AU RENFORCEMENT DU DROIT AU DÉVELOPPEMENT DURABLE DANS LE PROTOCOLE D’INVESTISSEMENT DE LA ZLECAf

Le droit au développement durable ne peut être réalisé exclusivement par l’Etat d’accueil et c’est pour cela que les entreprises sont impliquées et assument une responsabilité juridique à travers la conformité de leur investissement à l’engagement des investisseurs dans la réalisation du développement durable. Cela ne doit pas éluder pour autant que le protocole d’investissement instaure un traitement différentiel qui désavantage les investisseurs au profit des populations locales pour lutter contre les disparités et assurer un développement durable.

4 L’IMPLICATION DES INVESTISSEURS DANS LA PRÉSERVATION DU DROIT AU DÉVELOPPEMENT DURABLE AU SEIN DE LA ZLECAf

La responsabilité de l’investisseur ou des entreprises étrangères qui découle du chapitre 5 du protocole d’investissement prend une tournure spéciale mais elle reflète en même temps l’effort qui a été fourni à l’échelle continentale en matière de responsabilisation des entreprises, en matière de développement et de garantie des droits sociaux et environnementaux.39 L’article 47 du même accord concerne l’obligation de l’investisseur en abordant la responsabilité de ce dernier sans équivoque devant les juridictions internes de l’Etat d’accueil pour des faits et des actes en relation avec l’investissement et qui constitue une violation du droit interne ou du droit international conformément à l’article 32 relatif à l’obligation de conformité qui pèse sur l’investisseur. L’article 5 relatif au refus d’accorder des avantages en cas de violation des dispositions inhérentes au développement durable prévues telles que prévues par le chapitre 5 portant sur les obligations de l’investisseur. En d’autres termes, cette disposition permet de refuser d’accorder la protection à des investisseurs qui manquent aux objectifs de développement durable envisagés par le protocole d’investissement conformément à la résolution de l’Assemblée générale de l’ONU A/RES/70/1 relative aux objectifs de développement durable ou au cadre politique de l’investissement de la CNUCED. Dès lors «l’expression investissement protégé» acquiert une nouvelle connotation ici à travers l’élargissement du contenu normatif du développement durable.40 Elle permet ainsi d’éviter les recours préventifs ou plaintes frivoles des investisseurs qui ne se conforment pas à leurs obligations conformément au chapitre 5 du protocole d’investissement de la ZLECAf. En effet, cela est corroboré indirectement par l’article 8 mettant la lumière sur les mesures incitatives concernant l’investissement durable et renvoie à ce qui a été évoqué dans les écrits d’Andrea Bjorklund vis-à-vis de l’investissement qui devient un outil pour atteindre les objectifs de développement durable.41 Par ailleurs, la clause de la responsabilité sociale des entreprises mentionnée dans l’article 38 du protocole d’investissement ZLECAf représente une obligation essentielle et inévitable. Elle soumet les entreprises étrangères à une obligation juridiquement contraignante en intégrant des pratiques durables, éthiques et responsables dans leurs activités commerciales à travers la promotion du développement économique et social de la région, tout en protégeant les droits de l’homme (article 33), l’environnement et les intérêts des parties prenantes (article 34). Néanmoins, le problème de la justiciabilité de ces normes reste entier en raison du forum non conveniens et de l’interprétation par les arbitres des dispositions pertinentes en la matière. Ce fut le cas dans l’affaire Eco Oro c. Colombie du 9 septembre 2021, une affaire dans laquelle une mesure réglementaire environnementale prise par le gouvernement colombien a été considérée comme violant la norme minimale de traitement prévue par le TBI Canada Colombie de nouvelle génération.42 Il faut souligner ici qu’il s’agit davantage d’un problème d’interprétation décontextualisée de certaines dispositions du TBI; en l’espèce la clause environnementale et la clause de traitement juste et équitable. Les arbitres ont continué d’utiliser les mêmes procédés d’interprétation des traités d’ancienne génération sur la base du précédent arbitral pour interpréter ce traité de nouvelle génération ce qui a abouti à une argutie juridique. C’est ceux à quoi doivent faire attention dorénavant les arbitres au sein de la ZLECAf. Cette obligation s’applique à toutes les entreprises participant aux investissements au sein de la ZLECAF et donc les entreprises doivent se conformer aux standards les plus élevées sur le plan international en matière de respect des droits de l’homme, des normes du travail, de la protection de l’environnement et de la responsabilité sociale conformément à l’article 38.1 du Protocole:

Investors and their investments shall endeavour to achieve the highest possible level of contribution to the sustainable development of the Host State and the local community, through the adoption of a high degree of socially responsible practices, in accordance with the principles and standards set out in paragraph 2 of this Article. 2. Investors and their investments shall use their best efforts to: a. stimulate economic, social and environmental progress, aiming at achieving sustainable development [...]», mais aussi à l’article 34.1(a) «Investors and their investments shall, in carrying out their business activities, respect and protect the environment, and, in particular shall: a. respect the right to a clean, healthy and sustainable environment, as reflected in Article 24 of the African Charter of Human and Peoples’ Rights.

Cette dernière disposition consacre d’une manière claire la volonté des Etats africains de mettre en place plus de cohérence dans le système juridique africain. Cette tendance du droit international a été rappelée par une partie de la doctrine qui l’avait constaté dans la jurisprudence de la CIJ «la Cour a recouru à l’interprétation systémique dans le but de préciser les champs opératoires entre les différents pans du droit international, contribuant ainsi, pour employer une terminologie informatique, à la dé-fragmentation du système juridique».43 Le protocole d’investissement rappelle que les Etats ont des obligations comprenant la promotion et la mise en œuvre de diverses mesures, notamment l’adoption de lois et de politiques visant à protéger les droits de l’homme, les droits du travail et l’environnement et à garantir le respect des droits fondamentaux des individus, la protection des travailleurs et la préservation de l’environnement. Dès lors, les Etats sont tenus par l’ensemble des engagements conventionnels sous l’égide de l’Union africaine et la ZLECAf n’est qu’une dimension du réseau conventionnel existant. Cette clause RSE présente à l’article 38 dispose que les investisseurs et leurs investissements doivent s’efforcer de contribuer au développement durable de l’État hôte et de la communauté locale en adoptant des pratiques socialement responsables conduit à une implication directe des investisseurs dans la préservation de ces droits. Ils doivent développer des pratiques d’autorégulation et de gestion efficaces, favoriser la transparence des politiques de l’entreprise, soutenir les lanceurs d’alerte, encourager leurs partenaires commerciaux à adopter la responsabilité sociale des entreprises, et respecter les processus politiques locaux. De plus, les États parties réaffirment l’importance d’encourager les investisseurs à intégrer les normes de responsabilité sociale des entreprises internationalement reconnues dans leurs politiques internes. Les articles 33 et 34 établissent en effet l’obligation pour les États parties de garantir des niveaux élevés de protection de l’environnement, du travail et des consommateurs. Ces dispositions s’appuient sur les normes internationalement reconnues et les accords internationaux auxquels les États parties sont parties en mettant l’accent sur l’importance de continuer à perfectionner ces normes au sein des lois et réglementations nationales. De même, l’article 28 relatif aux objectifs de développement durable permet aux États parties d’adopter des mesures qui visent à promouvoir le développement national et local. Ces mesures peuvent comprendre des initiatives qui visent à solidifier les capacités locales, à favoriser l’emploi local, à promouvoir la formation professionnelle et le développement des ressources humaines, ainsi qu’à encourager l’égalité des genres et l’exclusivité et qui peuvent aller à l’encontre des intérêts des entreprises étrangères. En tant qu’obligations contraignantes, les États signataires du protocole d’investissement ont mis en place des mécanismes de surveillance, de vérification et de sanctions pour garantir le respect de ces engagements conformément à l’article 31 du protocole qui consacre la responsabilité des investisseurs s’ils ne respectent pas ces obligations dans le cadre de leurs activités commerciales.

  1. The provisions in this Chapter are without prejudice to the obligations of the State Parties to promote and enforce, among others: a. laws and policies to protect human rights, labour rights and the environment; b. anticorruption and anti-bribery measures; or c. laws and policies to protect the rights of indigenous peoples.
  2. State Parties shall ensure that investors and their investments comply with the highest standards provided for in domestic regulation and international law.

D’ailleurs, l’article 47 met en avant également la responsabilité judiciaire de l’investisseur en cas de manquement à ses obligations notamment l’article 38, en vertu du présent traité et prévoit que

Investors and their investments shall be subject to civil actions for liability in the judicial process of their Home State for the acts, decisions or omissions made in the Host State in relation to the investment where such acts, decisions or omissions lead to significant damage, personal injuries or loss of life in the Host State.

Le caractère obligatoire de la clause RSE dans le Protocole ZLECAf est indéniable en s’inscrivant dans le contexte plus large de l’engagement mondial en faveur de la durabilité et de la responsabilité sociale des entreprises. Les normes et les principes de responsabilité sociale des entreprises sont de plus en plus reconnus à l’échelle internationale et font l’objet d’un consensus croissant parmi les acteurs économiques, les gouvernements et la société civile. L’intégration du caractère obligatoire de ces normes dans les accords commerciaux régionaux tels que la ZLECAF témoigne donc de la volonté de promouvoir sérieusement des pratiques commerciales responsables et durables dans le continent africain, de constituer une hard law autour de la clause RSE. Cette volonté est née de commun accord lors de négociations de ce Protocole, les États signataires sont parvenu à un accord de manière claire car ils visent une évolution et amélioration du contexte d’investissement en Afrique contrairement à d’autres accords tels le CETA, le CPTTP ou RCEP qui ont ignoré lors de la négociation la clause RSE ou lui ont accordé comme dans le cas du CPTPP valeur symbolique ce qui jette le discrédit sur une telle disposition.44

5 L’ARTICULATION ENTRE L’INVESTISSEMENT ET LES DROITS DE L’HOMME POUR UN DÉVELOPPEMENT DURABLE ET INCLUSIF AU SEIN DE LA ZLECAf

Le dépassement du droit au développement proclamé antérieurement peut s’expliquer aujourd’hui au sein de la ZLECAf par la cristallisation du droit au développement durable à travers la pratique convention-nelle panafricaine.45 En effet, l’accord ZLECAf marque sans aucun doute une évolution significative dans la reconnaissance de l’importance de la place du développement durable et des droits de l’homme dans le contexte africain étant donné que la protection de l’environnement, des droits sociaux et des droits de l’homme en matière d’investissement était insuffisante et peu contraignante au sein de l’ordre juridique international.46 Cet accord rejoint d’autres accords internationaux d’investissement conclus à l’échelle internationale puisqu’il se réfère à maintes reprises aux droits de l’homme dans son préambule, soulignant que le développement durable exige en plus de la réalisation des piliers économiques, la promotion des droits de l’homme et du développement humain47

Reconnaissant la contribution importante que l’investissement peut apporter au développement durable des États parties, y compris ... la promotion des droits de l’homme et du développement humain, tout en comprenant que le développement durable exige la réalisation des piliers économique, social et environnemental qui sont intégrés dans le concept.

L’article 25 du protocole consacre l’importance de garantir des niveaux élevés de protection de l’environnement, du travail et des consommateurs en prenant en compte les normes internationalement reconnues dans ces domaines, ainsi que les accords internationaux auxquels sont parties les Etats africains. Cela signifie que les Etats doivent respecter les normes établies au niveau international pour la protection de l’environnement, du droit du travail et des droits des consommateurs:

  1.  Les États parties garantissent des niveaux élevés de protection de l’environnement, du travail et des consommateurs ...
  2. Les États parties n’encouragent pas l’investissement en assouplissant ... à se conformer aux lois sur l’environnement, le travail et la protection des consommateurs, ainsi qu’aux normes internationalement reconnues.

En outre, le protocole d’investissement a réservé dans son 5ème chapitre intitulé «Obligations des investisseurs», des dispositions relatives au respect des droits de l’homme notamment dans l’article 31 «Rapport avec les obligations de l’État partie» qui constitue une clause de sustentation dans la relation entre l’investisseur et l’Etat d’accueil. De même, l’article 33 conforte cela en soumettant l’investisseur et son investissement à des obligations relatives à l’éthique des affaires, aux droits de l’homme et aux normes du travail. Autrement dit, cet article renforce le respect et la protection des droits de l’homme tels qu’ils sont internationalement reconnus d’une manière indivisible en incluant les droits des travailleurs et les droits de l’enfant. Par ailleurs, l’article 34.1 du même chapitre intitulé «Protection de l’environnement», met en avant la protection de l’environnement en intégrant par la même occasion l’article 24 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples qui associe la protection de l’environnement et droit au développement, étant donné qu’un environnement propre, sain et durable est indispensable à l’exercice des droits de l’homme y compris le droit à la vie. Le protocole d’investissement de la ZLECAf et la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples se complètent dès lors, parfaitement dans une perspective normative dynamique et évolutive. «Le traité est un instrument vivant appelé à interagir avec les évolutions du système international formé lui aussi entre autres d’instruments vivants en constante mutation».48 Autrement dit, cette disposition a pour but de codifier l’impérativité du droit au développement durable en y intégrant une norme relative à l’indissociabilité entre la protection de l’environnement et le droit au développement ce qui tend vers une codification rampante du droit au développement durable en matière d’investissement. D’un côté, cet ensemble de dispositions confirment que les investisseurs sont dorénavant tenus de promouvoir et de respecter les droits de l’homme et notamment le droit au développement durable. D’un autre côté, l’article 31 aborde un sujet épineux, celui du respect des droits des peuples autochtones et des communautés locales, ainsi que l’accès à l’information concernant les évaluations d’impact environnemental et social. Il met l’accent sur l’importance du consentement préalable et la nécessité pour l’Etat d’accueil d’informer les populations autochtones dans le strict respect de leurs droits de propriété sur les terres, leurs ressources halieutiques et leurs forêts. L’accord promeut la transparence en rendant les évaluations d’impact environnemental et social accessibles au public et aux parties prenantes concernées.

Ces dispositions s’inspirent fortement de la jurisprudence de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples. D’ailleurs dans l’arrêt rendu par la CAFDHP le 26 mai 2017, elle confirme que le droit au développement appartient à toutes les personnes qui habitent au sein de l’Etat y compris les populations autochtones ce qui oblige l’Etat d’accueil d’adopter une démarche participative dans le processus de promotion de l’investissement.49 La jurisprudence de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples est bien établie et claire parce qu’«il incombe à l’Etat défendeur la responsabilité de créer des conditions favorables au développement des populations locales. L’Etat a l’obligation de garantir aux Endorois qu’ils ne sont pas exclus du processus de développement ou du partage des bénéfices».50 La Cour africaine des droits de l’homme et des peuples a même condamné l’Etat kényan à réparer le préjudice moral et matériel subi par le peuple Ogiek dans un arrêt du 23 juin 2022 en versant plus d’un million de dollars.51 «C’est dans cette optique que les commissaires et les juges africains participent à travers leurs décisions à la clarification du droit au développement».52

Une lecture systématique de l’article 24 relatif au droit de réglementer combinée à l’article 28 portant sur les objectifs de développement durable précise l’existence d’un coté, d’un droit de réglementer de l’Etat d’accueil des investissements étrangers au service du développement et d’un autre côté, d’un droit de réglementer de l’Etat d’accueil afin de remédier au sous-développe-ment. S’agissant du droit de réglementer au service du développement, l’article 28(a) et (b) comporte un traitement préférentiel avec pour principal objectif le développement de la branche production locale, nationale ou infrarégionale et le choix de la politique économique. Il résulte de cette disposition un traitement préférentiel en faveur des entreprises nationales à des fins de développement et ce au détriment des entreprises étrangères. Tandis qu’à l’article 28(c) et (d) c’est le développement de l’économie de la connaissance qui demeure prioritaire qui va de pair avec les articles 33 et 34 en consacrant le libre choix de la politique sociale. Concernant le droit de réglementer des investissements étrangers pour remédier au sous-développement et aux disparités de développement. L’article 28(e) et (f) aborde le traitement différentiel concernant les secteurs permettant de réaliser le développement humain et le savoir, le choix de la politique de l’enseignement et de la recherche scientifique. Quant aux articles 28(g) et 35, ces dispositions déterminent les traits caractéristiques du développement inclusif à l’aide du traitement différentiel des populations autochtones et des minorités, le libre choix de la politique d’inclusion économique et sociale. La protection du droit au développement des populations démunies ou vulnérables à travers un traitement spécifique reste assurée dans le protocole d’investissement. Cet accord reconnaît in fine le traitement différentiel et la géométrie variable des standards de protection de l’investissement.53 La Cour africaine des droits de l’homme et des peuples sera amenée à jouer également le rôle de gardienne du droit au développement des populations autochtones parallèlement aux tribunaux qui seront prévus par la future annexe relative aux mécanismes de règlement des différends entre investisseurs et États, toujours en négociation en vertu de l’article 46(3) du protocole d’investissement de la ZLECAf.

6 CONCLUSION

Dans un obiter dictum, le tribunal arbitral CIRDI dans l’affaire, SAUR International SA c. République d’Argentine, (ARB/04/4), du 6 juin 2012 déclara54

en réalité, les droits de l’homme en général, et le droit à l’eau en particulier constituent l’une des diverses sources que le Tribunal devra prendre en compte pour résoudre le différend car ces droits sont élevés au sein du système juridique argentin au rang de droits constitutionnels, et, de plus, ils font partie des principes généraux du droit international.

En définitive, ce qui résulte de cet accord d’investissement c’est le droit de l’Etat de réglementer pour se conformer aux engagements internationaux relatifs aux droits des peuples au développement économique. Le droit de réglementer pour la promotion du développement régional, national et local comme nouvel apport de ce traité. Cela passe par l’énumération de sept mesures réglementaires pour la réalisation des objectifs de développement prioritaires pour le continent africain.55 Les standards de protection de l’investissement ont tous été formulés avec des exceptions systématiques ayant pour unique objectif la contribution de l’investissement étranger à la réalisation du développement durable. Cette multitude d’innovations juridiques dans cet accord ne doit pas nous faire oublier que l’un des enjeux actuels notamment à la lumière de la réforme des accords internationaux d’investissement et du système de règlement des différends entre investisseurs et Etats demeure l’interprétation de ces dispositions conventionnelles nouvelles. L’interprétation harmonieuse et cohérente sera-t-elle au rendez-vous devant les tribunaux arbitraux ou des juridictions lors des futurs différends entre investisseurs et Etats ou serions-nous face à la problématique encore une fois du forum non conveniens.56 Face aux changements climatiques ainsi qu’aux différents défis économiques et sociaux qui pèsent sur le continent placent les arbitres d’investissement au cœur du système ZLECAf.

Dans cette perspective, l’une des questions qui demeure en suspens est celle de savoir dans quelle mesure la future pratique arbitrale développée par les tribunaux d’investissement au sein de la ZLECAf, prendra-t-elle en considération le droit à l’eau dans le sillage du droit matriciel au développement. Tout cela conformément à l’article 19 du projet d’annexe de l’ancienne version du protocole d’investissement relatif à l’interprétation des traités et aux articles 22 et 24 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples?57 L’interprétation des traités africains devient dès lors, l’enjeu majeur dans le cadre de la ZLECAf pour pouvoir mettre en œuvre un investissement conforme aux objectifs du développement durable. Un guide d’interprétation serait-il une éventualité et un moyen efficace pour éviter les égarements de l’affaire Eco Oro?

 

 

 


1. AY Ba ‘Droit au développement’ Dictionnaire des droits de l’homme (2008) 277-280.

3. K M’baye Les droits de l’homme en Afrique (1992) 208-209.

4. M Bennouna Le droit international du développement (1983) 21.

9. H Cassan, PF Mercure & MA Bekhechi Droit international du développement (2019) 30.

10. L’ordre économique africain se base sur les objectifs généraux et spécifiques de la ZLECAf énoncés dans les articles 3 et 4 ainsi que les principes de la zone énoncés dans l’article 5 de l’accord ZLECAf.

11. H Culot, H Tourard & P Vincent Pays émergents et droit international économique à la recherche d’une définition (2021) 89-90.

12. Traité d’investissement de nouvelle génération rentre dans le cadre de la réforme entamée sous l’égide de la CNUCED en 2016 et qui vise à consolider la substance des traités d’investissement par l’intégration des normes environnementales, sociales et les droits de l’homme dans le cadre des traités d’investissement.

13. N Zugliani ‘Human rights in international investment law: The 2016 Morocco-Nigeria Bilateral Investment Treaty’ (2019) 68 International and Comparative Law Quarterly 768-769.

14. N Wannous ‘Le principe de la liberté d’investir: l’exemple des législations tunisienne, égyptienne et saoudienne’ (2016) 29 Revue Quebecoise de Droit international 278-279.

15. CIRDI Salini SPA c. Royaume du Maroc décision sur la compétence (31 juillet 2001) (ARB/00/04). CIRDI M.C.I Power Group LC et New Turbine Inc c. Equateur décision sur le fond (19 octobre 2009) (ARB/03/6).

16. A Gilles La définition de l’investissement international (2012) 152-154.

17. A Bjorklund ‘Sustainable development and international investment law’ (2019) Environment and Investment Law 38.

18. Human Rights Council, Expert mechanism on the right to development ‘Right to development in international investment Law’, 1 March 2022, A/HRC/EMRTD/5/CRP.2 3-4.

19. RJ Dupuy ‘Communauté internationale et disparités de développement’ (1979) 165 Recueil des Cours de l’Académie de droit international 40.

20. K Arts & A Tamo ‘The right to development in international law: New momentum thirty years down the line’ (2016) 63 Netherland International Law Review 243-246.

23. SW Schill, CJ Tams & R Hofmann ‘International investment law and development: friends or foes?’ in SW Schill, CJ Tams & and R Hofmann (eds) International investment law and development: bridging the gap (2016) 32-33.

24. M Eugenia & R Palop ‘Le droit au développement et la liberté économique: une relation conflictuelle’ Libertés économiques et droits de l’homme (2011) 133-143.

25. Le rapport du groupe de travail sur les droits de l’homme et les sociétés transnationales avait été transmis dans une note à l’Assemblée générale par le secrétaire général des Nations Unies en 2021 et reprend plusieurs préoccupations relatives aux incompatibilités entre les traités d’investissement et les droits de l’homme qui sont indispensables pour la réalisation du droit au développement. En effet, le protocole d’investissement de la ZLECAf constitue une révolution silencieuse parce qu’il dépasse la compatibilité et met en place une combinaison entre les deux. Note du secrétaire général des Nations Unies ‘Accords internationaux d’investissement compatibles avec les droits de l’homme’ (21 juillet 2021), A/76/238-15-17.

26. P McDougall ‘Le couple Droit/économie dans la théorie et le droit international du développement’ (2018) 1 Revue internationale de Droit économique 61-66.

27. D Kennedy ‘Laws and developments’ in J Hatchard & A Perry-Kessaris (eds) Law and development: facing complexity in the 21st century (2003) 17-19.

28. MM Mbengue ‘Africa’s voice in the formation, shaping and redesign of international investment law’ (2019) 34 ICSID Review 55-81.

29. J Calamita & A Berman ‘Assessing the rule of law promise’ in J Calamita & A Berman Investment treaties and the rule of law promise (2022) 1-37.

30. P Fitzpatrick Le modernisme et les fondements du droit (2012) 228-229.

31. L Liberti ‘Investissements et droits de l’homme’ Les aspects nouveaux du droit des investissements internationaux - New Aspects of International Investment Law (2007) 809-815.

32. N Monebhurunn La fonction du développement dans le droit international des investissements (2016) 215-223.

33. CIJ Certains actifs iraniens (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique) arrêt (30 mars 2023) paras 170-177.

34. A Mahiou ‘Le droit au développement’ (1997) 72 Die Friedens-Warte 143-144. L’impérativité du droit au développement peut trouver son fondement dans la pratique des Etats du sud visant à rendre ce droit comme indérogeable et à l’opposer à automatiquement à d’autres règles internationales visant à réduire la marge de manœuvre des Etats pour se développer.

35. Voir articles 1, 55 et 56 de la Charte des Nations Unies du 26 juin 1945.

36. M Reisman ‘Souveraineté et droits de l’homme dans le droit international contemporain’ (2010) L’école de New Haven de Droit international 254-255.

37. CNUDCI arbitrage ad hoc Saluka c. République Tchèque (17 mars 2006).

38. Résolution adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 20 décembre 2012 para 24 (A/RES/67/171).

39. O Abe Implementing business and human rights norms in Africa: law and policy interventions (2022) 64-84.

40. L Chiussi ‘Responsabilité des entreprises en matière de droits de l’homme: un rôle effectif du droit international de l’investissement?’ (2019) Droits de l’Homme et Droit international économique 14-25.

41. AK Bjorklund ‘Sustainable development and international investment law’ in K Miles (ed) Research handbook on environment and investment law (2019) 38-68.

42. CIRDI Eco Oro Minerals c. Colombie (9 septembre 2021) Sentence arbitrale (ARB/16/41) paragraphe 748: ‘The Preamble to the FTA provides that its purpose is, inter alia, to “ensure a predictable commercial framework for business planning and investment” and “enhance and enforce environmental laws and regulations, and to strengthen cooperation on environmental matters”.’ Applying the ordinary meaning of article 805 to the object and purpose of the FTA (as relevant to Eco Oro’s claim), Eco Oro was entitled to expect that Colombia would

43. treat its investment in an even-handed and just manner to ensure a predictable business environment and foster the promotion of foreign investment but that, in doing so, it would ensure the enhancement and enforcement of environmental laws and regulations, such that neither investment protection nor environmental protection takes precedence.

43 G Ditstefano & PC Mavroidis ‘L’interprétation systémique: le liant du droit international’ Pour un droit équitable, engagé et chaleureux Mélanges en l’honneur de Pierre Wessner (2011) 753.

44. R Beauchard & S Albertin L’assujettissement des nations-controverses autour du règlement des différends entre Etats et investisseurs (2017) 159.

45. K Besson Un droit au développement politiques internationales du développement et approche fondées sur les droits (2019) 172-173.

46. SH Nikièma L’expropriation indirecte en droit international des investissements (2012) 71-72.

48. G Destefano ‘L’interprétation évolutive de la norme internationale’ (2011) 2 Revue générale de droit international public 384.

49. Commission africaine des droits de l’homme et des peuples c. Kenya, Affaire du Peuple Ogiek, Arrêt CAfDHP (26 mai 2017) paras 208-210.

50. E Serrurier ‘L’évolution du droit au développement devant les juridictions et quasi-juridictions africaines’ (2016) 226/227 Revue du Tiers Monde 189.

51. Commission africaine des droits de l’homme et des peuples c. Kenya, Affaire du peuple Ogiek, Arrêt CAfDHP (23 juin 2022) para 160.

52. Serrurier (n 50) 181.

53. N Monebhuruun La fonction du développement dans le droit international des investissements (2016) 264-311.

54. CIRDI (fond) Sauri c. République d’Argentine (6 juin 2012) para 330 (ARB/04/4).

55. Le droit de réglementer des investissements étrangers au service du développement à l’instar de l’article 28(a,b) (le développement de la branche production locale, nationale ou infrarégionale) le choix de la politique économique, article 28(c,d) (le développement de l’économie de la connaissance), le choix de la politique sociale. D’un autre côté, un droit de règlementer pour réduire les disparités et le sous-développement: article 28(e,f) (le développement humain et du savoir) le choix de la politique de l’enseignement et de la recherche scientifique, article 28(g) (le développement inclusif pour lutter contre les disparités de développement) discrimination positive en faveur des populations autochtones et des minorités), le choix de la politique d’inclusion économique et sociale.

56. Pour une étude plus détaillée sur toutes ces questions voire: D Fernandez Arroyo & G Cordero-Moss Questions de droit applicable dans l’arbitrage international, Applicable Law Issues in international arbitration, Centre d’étude et de recherche de l’Académie de Droit international de La Haye, Brill (2023) 25 600.

57. AM Daza-Clark International investment law and water resources management: an appraisal of indirect expropriation (2017) 178-179.